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3. Description des différents éléments de la boîte à outils

Il existe deux façons d'organiser la discussion sur les techniques composant la panoplie du DRR et sur les situations dans lesquelles les appliquer. L'une consiste à procéder par finalité, l'autre par catégorie de techniques. Nous avons choisi ici de procéder par techniques, en donnant une description rapide et en indiquant certains de leurs domaines d'application. Lorsque l'application de certaines est contestable ou controversée, comme c'est le cas en ce qui concerne la validité et l'applicabilité de l'échantillonnage classique en DRR, ces points sont examinés séparément, de façon plus approfondie.

3.1 METHODES GENERALES

Les méthodes de caractère général utilisées en DRR pour compenser le temps limité accordé à la collecte et à l'analyse des données sont les suivantes: pratique du recoupement ou de la triangulation, importance accordée aux données secondaires disponibles, utilisation de grilles d'entretien détaillées mais en même temps ouvertes pour s'assurer que les questions pertinentes sont traitées, et forte interaction au sein de l'équipe pour garantir une perspective multidisciplinaire. Nous ne traiterons pas ici en détail de ces méthodes générales. L'encadré ci-après indique d'excellents ouvrages de référence qui décrivent les principes généraux d'utilisation des outils du DRR.

Le principe le plus important est l'ouverture d'esprit. Dans les DRR, la plupart des erreurs tiennent à ce que l'équipe a renoncé à tester plus avant ses hypothèses et a accepté les résultats qu'elles fournissaient à un stade trop précoce. Une bonne équipe remet toujours en cause les résultats qui se dessinent, et choisit les outils et les méthodes qui procurent de nouveaux éléments d'informations et posent de nouvelles questions. N'utiliser le DRR que pour confirmer des postulats est la plus grave des erreurs dont il faut se garder.

3.1.1. Triangulation

La triangulation, ou le recoupement, n'est pas une méthode propre au DRR. Elle consiste tout simplement à réunir au moyen de méthodes de collecte différentes des renseignements de diverses provenances sur un sujet particulier. Si par exemple un agriculteur informe l'équipe que l'eucalyptus ne poussera pas en bordure de son champ sans réduire fortement le rendement des cultures, l'équipe devra vérifier cette information en interrogeant d'autres agriculteurs exploitant des champs analogues, en discutant de la question lors d'entretiens de groupe, en recherchant ce que les rapports de projets disent à ce sujet, ou en mesurant l'incidence des arbres existants sur les cultures dans d'autres champs. Si la même information se répète, elle a des chances d'être juste. L'art de bien manier le recoupement repose sur l'assurance que les différentes informations proviennent effectivement de sources distinctes. Les équipes trop pressées commettent souvent l'erreur de ne poser des questions que dans une zone géographique limitée, de ne consulter que les rapports qui concernent cette même zone, pour ensuite tirer des conclusions générales à partir d'un phénomène tout à fait spécifique à un site ou à une classe. Par exemple, tel expert en R&DSA mentionne une équipe d'enquête diagnostique qui avait conclu que la main-d'œuvre représentait une contrainte grave pour les agriculteurs à l'époque des récoltes. En fait, cette information n'était juste que pour le petit groupe d'agriculteurs interrogés, qui vivaient à proximité d'une zone de plantations de canne à sucre et qui migraient au moment de la récolte pour profiter des salaires élevés offerts par les planteurs. Leurs recoupements n'avaient pas porté sur une zone géographique de rayon suffisant.

Encadré 4
Bibliographie succincte sur les outils de DRR
Beebe, James, Rapid Rural Appraisal: The Critical First Step in a Farming Systems Approach to Research. Farming Systems Support Project, University of Florida, Gainesville, Networking Paper № 5, 1985.
Chambers, Robert, «Shortcut Methods of Gathering Social Information for Rural Development Projects», in Putting People First, M. Cernea, éd., Oxford University Press, New York, 1985.
Gow, David, «Rapid Rural Appraisal: Social Science as Investigative Journalism», in Finster-busch, Kurt, Jay Ingersoll and Lynn Llewellyn, éds., Fitting Projects: Methods for Social Analysis for Projects in Developing Countries. Lynne Rienner Publishers, Boulder, Colorado, 1987.
Honadle, George, «Rapid Reconnaissance for Development Administration: Mapping and Moulding Organizational Landscapes», World Development, 10(8): 623–649.
Khon Kaen University, Proceedings of the 1985 International Conference on Rapid Rural Appraisal, Rural Systems Research and Farming Systems Research Projects, Khon Kaen (Thaïlande), 1987 (Contient un certain nombre de documents cités ici séparément).
Kumar, Krishna, Rapid, Low-Cost Data Collection Methods for AID. USAID Program Design and Evaluation Methodology Report, № 10, U.S. Agency for International Development, Washington, D.C., 1987.
McCracken Jennifer A., Jules N. Pretty et Gordon R. Conway, An Introduction to Rapid Rural Appraisal for Agriculture Development, International Institute for Environment and Development (IIED), London, 1988.
Rhoades, Robert, The Art of the Informal Agricultural Survey, Lima, Peru; International Potato Center, 1982.
RRA Notes; A Newsletter for the RRA Network, Numbers 1–6, International Institute for Environment and Development (IIED), London, 1988–1989.
Shaner, W.W., P.F. Philipp et W.R. Schmehl, Farming Systems Research and Development: Guidelines for Developing Countries, Boulder, Colorado, 1982.

3.1.2. Données existantes

Cette question est bien traitée dans les ouvrages de référence susmentionnés. La bonne utilisation des données existantes et des données secondaires pose toujours des problèmes dans les DRR réalisés dans de brefs délais, car l'équipe dispose rarement du temps voulu pour passer en revue la documentation et en prendre connaissance. Certains chefs d'équipe s'efforcent de prévoir dans le calendrier le temps nécessaire pour prendre connaissance de documents, en particulier ceux que l'on découvre lors de la visite sur le terrain. En ce qui concerne la planification de l'aménagement des ressources naturelles, les cartes et les photographies de diverses natures sont un élément clé, et leur utilisation se développe rapidement. Les praticiens utilisent aussi les données brutes recueillies dans le cadre d'enquêtes, et en refont l'analyse, en fonction de thèmes clés, avant de se rendre sur le terrain. L'un des problèmes que pose la bonne utilisation de photographies aériennes et de l'imagerie fournie par la télédétection tient au fait que l'équipe ne comprend pas toujours des personnes convenablement formées à l'interprétation de ce type de documents, ou ne peut pas y faire appel aisément. En effet, pour bien interpréter ces documents, il faut non seulement bien connaître la zone concernée, mais aussi être spécialiste de l'interprétation des cartes ou des photographies.

3.1.3. Guides d'orientation pour les entretiens

A ce sujet, nous avons pu faire notamment les deux observations suivantes: 1) on note un nombre croissant d'initiatives de systématisation des guides d'orientation pour les entretiens dans le domaine de la gestion des ressources naturelles en milieu rural; 2) ce domaine méthodologique tirerait grand profit d'un travail plus approfondi de compilation des guides d'entretien élaborés par les praticiens quant à différents thèmes. Les guides d'entretien se distinguent les uns des autres selon le sujet traité et la zone géographique à laquelle elles s'appliquent. De nouvelles directives concernant des sujets particuliers et des zones spécifiques sont en cours d'élaboration. Comme il a déjà été dit, John Bruce (1989) a élaboré une série de listes de contrôle se rapportant aux questions foncières. Barbara Grandin (voir coordonnées à l'Annexe 1) a mis au point un système de hiérarchisation pour faire apparaître les critères de richesse. Plusieurs institutions des pays en développement travaillent à l'élaboration de séries d'indicateurs de pertinence socio-économique, et de listes de contrôle thématiques pour les missions de courte durée sur le terrain. Des articles traitant de l'applicabilité d'indicateurs spécifiques dans différentes situations de terrain commencent à être publiés dans la documentation scientifique; consulter par exemple Schwartz (1988). Les «RRA Notes», bulletin périodique de l'IIED (Londres), s'efforcent de compiler les informations concernant l'évolution dans ce domaine.

L'un des sujets qui commence tout juste à faire l'objet d'une attention particulière dans les grilles d'entretien est celui des capacités et des contraintes en matière institutionnelle et de ressources humaines. Alors que les équipes ont tendance à veiller étroitement aux questions biophysiques, socio-économiques, ou de ressources humaines liées à la population bénéficiaire/clientèle, l'un des points faibles tient souvent à l'insuffisance des questions sur la dynamique du fonctionnement local d'un organisme ou d'une institution, en ce qui concerne les incitations dont fait l'objet leur personnel, les relations entre l'encadrement et les agents de terrain, le statut du personnel vis-à-vis de la clientèle, les stratégies de décision, et les priorités organisationnelles.

3.1.4 Interaction au sein de l'équipe interdisciplinaire

L'un des systèmes couramment recommandés pour répartir les ressources de l'équipe au cours du travail de DRR est celui du sondeo. C'est là un terme espagnol par lequel on désigne un système d'interaction au sein d'une équipe mis au point dans les GCRAI, initialement par Peter Hildebrand. Ce système veut que les membres de l'équipe se répartissent par paires pour chacune des journées passées sur le terrain, par roulement, de telle sorte que les participants issus de disciplines différentes bénéficient tous de l'interaction avec un représentant d'une spécialité différente. Les membres de l'équipe se réunissent régulièrement au complet pour redéfinir leurs objectifs, débattre des hypothèses qui se dessinent et reventiler le temps disponible pour la suite du travail de diagnostic. La plupart des travaux de DRR préconisent d'une façon ou d'une autre de panacher et d'apparier de manière optimale diverses disciplines. En réalité, cette démarche reste plus au rang des principes qu'elle ne passe dans la pratique, par manque de temps ou en raison de la difficulté qu'il y a à imposer une systématisation des interactions entre les membres de l'équipe.

L'interaction au sein d'une équipe multidisciplinaire devient une question centrale pour les membres des équipes de DRR qui ont une formation en sciences sociales. Ce sont souvent eux qui sont les plus avertis des pièges que réservent les enquêtes sur le terrain, et qui veillent le plus assidûment à les éviter. Ils éprouvent un sentiment de frustration dans les entretiens de terrain lorsque les autres membres de l'équipe ne perçoivent pas que certains modes d'interrogation ou certaines orientations de l'enquête produisent des informations biaisées. En revanche, il est difficile de décider si ces spécialistes seraient mieux employés ou pas à travailler une grande partie de leur temps à l'écart du gros de l'équipe. C'est notamment le cas lorsque le DRR est utilisé pour défricher le terrain lors d'un exercice exploratoire où les membres de l'équipe poursuivent des objectifs multiples: recueillir des données fiables sur la situation locale, ouvrir des perspectives multidisciplinaires sur les questions présentes, interagir étroitement avec la population locale, et sensibiliser les planificateurs et les décideurs présents sur le terrain aux problèmes particulièrement épineux. Jamieson (1987) a écrit un article intéressant sur le paradigme de l'interaction dans les DRR, et sur les raisons pour lesquelles celui-ci ouvre une perspective sur le processus de planification des projets de développement rural, tout à fait différente par rapport aux autres formes de diagnostic.

3.1.5 Pratique de l'entretien par les équipes multidisciplinaires

Les entretiens conduits pour réaliser ce bilan, en particulier avec les spécialistes des sciences sociales utilisant les techniques de DRR de façon régulière, ont permis à un ensemble intéressant d'opinions de s'exprimer quant aux meilleures manières de susciter une bonne interaction au sein de l'équipe, tout en permettant aux spécialistes des sciences sociales de maximiser la qualité des informations recueillies auprès de la population locale. Certains soutenaient fermement que le rôle de ces spécialistes au sein de l'équipe était triple: recueillir des informations socio-économiques pertinentes pour recommander une ligne d'intervention, ouvrir une perspective sociale aux scientifiques et techniciens de l'équipe, ainsi qu'aux administrateurs de projets, enfin, former les administrateurs et les vulgarisateurs aux méthodes d'entretien avec les bénéficiaires dans le cadre du travail de DRR proprement dit. Livrer l'équipe à elle-même pendant plusieurs journées d'entretiens indépendants, le cas échéant accompagnée d'un interprète ou d'un membre peu expérimenté de l'équipe de projet, est rarement conseillé, sauf si un groupe cible particulier risque d'être exclu de l'échantillon si le sociologue ne va pas en personne s'entretenir avec lui. Ce qui importe à ces spécialistes est que les autres membres de l'équipe et les administrateurs aient confiance en leurs observations - confiance qui ne peut s'établir que si d'autres membres de l'équipe et les responsables de la planification sont témoins des entretiens. Les opinions de ce groupe concordent avec les conclusions de Jamieson, selon lesquelles un bon DRR révolutionne la planification des projets parce qu'elle conduit les planificateurs à établir un dialogue authentique avec les futurs participants - que ces planificateurs soient des nationaux ou des expatriés.

Pour les tenants de ce point de vue, la façon dont l'équipe se répartit sur le terrain est fonction de la logistique - véhicules disponibles et caractère plus ou moins officiel de l'enquête. Dans une enquête de type officiel, si l'on dispose de plus d'un véhicule, l'un peut prendre l'itinéraire «officiel» et l'autre suivre un itinéraire «parallèle». Moyennant une bonne préparation de l'équipe, chaque sous-groupe peut poser des questions pour le compte des autres, les notes étant comparées dans la soirée. En pratique, cela se produit rarement quand l'équipe est nombreuse et son programme chargé: si les spécialistes manquent déjà de temps pour faire le tour des sujets qui les intéressent en priorité, ils ont volontiers tendance à négliger les sujets qui intéressent d'autres membres de l'équipe.

Dans les entrevues de terrain, la fonction de formation est aussi considérée comme capitale. Conduire des entretiens accompagné d'agents de vulgarisation est extrêmement formateur pour ces derniers, qui seront appelés à animer ultérieurement des entretiens délicats, et leur permet de se sensibiliser à l'importance de facteurs socio-économiques qu'ils n'avaient pas perçus jusque-là. Cet effort répondra au souci de l'organisme donateur qui souhaite qu'un projet soit également «participatif» à l'échelon du personnel de terrain; ceci est capital dans les projets de plantation ou de conservation des sols et de l'eau, qui ont habituellement tendance à mettre un accent excessif sur la seule réalisation d'objectifs physiques mesurables.

3.1.6. Le cas des entretiens conduits indépendamment des autres membres de l'équipe

Un deuxième groupe de spécialistes soutient qu'un temps suffisant doit être réservé pour travailler indépendamment de l'équipe et des personnalités officielles. Ce n'est que dans ces conditions qu'ils peuvent avoir suffisamment confiance en leurs observations pour faire valoir des arguments forts en faveur de telle ou telle ligne d'intervention au moment de la rédaction du rapport. Bien qu'ils comprennent les compromis proposés par l'autre groupe, ils estiment que la collecte systématique et fiable d'informations sur les questions socio-économiques est plus importante encore. Les contraintes liées à un travail réalisé exclusivement en équipe proviennent de ce que les autres membres de l'équipe omettent souvent les conversations d'entrée en matière, nécessaires lors d'un entretien, empêchant ainsi de saisir la dynamique sociale dans toute sa finesse et d'aborder des questions que les villageois sont réticents à discuter. La plupart des tenants de cette attitude passent seuls au moins la moitié de leur temps sur le terrain. Les responsables d'équipe, afin d'atteindre les deux objectifs, ont coutume d'embaucher le sociologue et le cas échéant un autre technicien intéressé par la situation locale pour une période plus longue que le reste de l'équipe, afin qu'ils puissent passer sur le site une semaine ou deux avant l'arrivée des autres chercheurs pour recueillir les renseignements qu'ils souhaitent.

On peut citer notamment comme exemple du type d'informations que ces praticiens jugent difficiles d'obtenir: celles qui ont trait à la pénurie de combustible et à la structure de l'utilisation de ce combustible, telles qu'elles sont perçues par les hommes et les femmes d'une région; les attitudes liées au rôle des hommes et des femmes en général; les critères de décision en matière de pratiques agroforestières dans un cadre écologique et commercial complexe; ainsi que les questions sensibles que la population a tendance à éluder, par exemple en matière de droits fonciers et de gestion du bien commun. Les spécialistes de la réinstallation signalent que les visites de type officiel tendaient à donner une image plus positive de la situation des nouveaux colons (un spécialiste indonésien a observé que si les personnes interrogées déclaraient que cela pouvait aller, et non pas que tout était merveilleux, il fallait comprendre que l'on se heurtait à des problèmes très sérieux).

3.1.7. Quelques options possibles

C'est lorsque l'équipe de chercheurs ou d'évaluateurs a un effectif réduit (2 à 6 membres) que le DRR donne de meilleurs résultats. Lorsque des équipes de planification plus nombreuses (7 à 14 membres, voire davantage), constituées de nationaux ou de représentants des bailleurs de fonds, tentent d'utiliser l'outillage du DRR de façon systématique dans leur travail, de nombreux problèmes logistiques se posent. Dans l'avenir, les organismes de développement feraient bien de réévaluer leur stratégie actuelle consistant à déployer massivement des équipes lourdes sur le terrain. Il est plus avantageux et efficace de dépêcher sur le terrain deux petites équipes à plusieurs reprises pour établir ensuite un rapport consolidé de leurs visites. Lorsque l'équipe est trop nombreuse, la dynamique productive et structurée d'interaction au sein de l'équipe de DRR au cours des entretiens et de l'analyse des problèmes est tout simplement inopérante. Ce changement d'optique, même s'il suppose un remaniement en profondeur des procédures administratives, accroîtrait grandement la qualité de la planification sans forte majoration des coûts.

Nous donnons ci-après quelques conseils à observer lorsque les équipe sont trop nombreuses, pour permettre une interaction efficace entre leurs membres lorsqu'ils se déplacent sur le terrain en un seul groupe.

  1. Peut-on disposer d'autres véhicules? -Si oui, subdiviser l'équipe.
  2. L'équipe en général peut-elle essayer de se montrer plutôt discrète? -Si ce n'est pas le cas, la subdiviser en deux groupes au moins, l'un de type officiel, les autres plus informels.
  3. La présence du spécialiste des sciences sociales est-elle nécessaire pour élucider des questions essentielles de caractère social au profit de l'équipe et du personnel de projet au cours des visites sur le terrain? - Dans l'affirmative, il doit passer plus de temps au sein de l'équipe. - Dans la négative, il peut travailler plus indépendamment, assisté d'un collaborateur ou interprète local.
  4. Les principales questions sont-elles essentiellement de caractère multidisciplinaire, nécessitant que des spécialistes de différentes disciplines soient présents à chaque interrogation? - Dans l'affirmative, composer les équipes en conséquence (forestiers et sociologues, économistes et spécialistes de l'écologie, etc).

3.2. TECHNIQUES D'ENTRETIEN ET FORMULATION DES QUESTIONS POUR LES ENTRETIENS INDIVIDUELS, AVEC LES MENAGES ET AVEC DES INFORMATEURS CLES

Dans toutes les applications de DRR, on pratique des entretiens individuels, avec les ménages et avec des informateurs clés, pour recueillir des renseignements sur la situation locale. Certains des principes généraux régissant l'utilisation des outils ont pour objet de réduire le biais lié à la formulation des questions. Rhoades (1982), avec son «Art of the Informal Survey», fournit des directives utiles, ainsi que Warwick (1976) dans «The Sample Survey: Theory and Practice». Il faut beaucoup de temps, beaucoup de connaissances et une longue expérience du terrain pour interroger les gens sur des sujets sensibles sans orienter leurs réponses. Les praticiens de l'école de Khon Kaen préconisent de développer cette capacité en incorporant toujours aux équipes de DRR une proportion limitée de néophytes ou de personnes incomplètement formées à ces techniques, de telle sorte que les autres membres de l'équipe puissent consacrer le temps nécessaire à leur initiation à la pratique du DRR au fur et à mesure du déroulement de celui-ci. L'humilité est un facteur clé. Le bon enquêteur expérimenté sait faire preuve de modestie lorsqu'il évalue l'efficacité des techniques qu'il pratique. Si l'usage d'une technique fausse les résultats, il faut la remplacer par une autre.

3.2.1. Outils communs aux entretiens avec les individus et les ménages

Les techniques d'entretien sont un élément central de la panoplie d'outils du DRR. Etant donné que toute une série de techniques possibles sont décrites dans la documentation classique et dans la documentation sur le DRR, mentionnée sous le point 3.2. et plus loin à la section 3.2.5., nous ne citerons ici que quelques-unes des règles capitales de bonne conduite des entretiens:

Encadré 5
Le sondage, méthode clé du DRR
Situation: En Afrique, une équipe a eu des difficultés à évaluer la fiabilité des réponses apportées par les hommes et les femmes à la question de savoir si les disponibilités vivrières étaient suffisantes toute l'année. Hommes et femmes répondaient systématiquement par l'affirmative, jusqu'à ce que d'autres méthodes d'enquête soient mises en œuvre. Un membre de l'équipe s'est approché d'un grenier et a demandé aux femmes s'il contenait toujours assez de céréales pour nourrir la maisonnée. «Pas toute l'année», ont-elles répondu. «Souvent?», a-t-il demandé? «Au cours de quels mois?». Peu à peu s'est dessinée une image très différente de l'affirmation première, faisant apparaître des périodes de vive pénurie, ainsi que d'autres pendant lesquelles les femmes consommaient moins de céréales que les hommes.

3.2.2. Entretiens avec les ménages

Lorsque l'on s'entretient avec des ménages et non point avec des individus, il importe de ne pas présumer qu'un membre du ménage peut parler au nom de tous les autres. Les femmes ont des connaissances et des opinions distinctes de celles des hommes, et les personnes âgées voient les choses différemment des jeunes. Les aînés ont des points de vue différents, et des priorités distinctes de celles des jeunes mariés et des célibataires. La part que prennent les enfants dans les systèmes de production agricoles et la gestion des ressources locales passe souvent inaperçue, car les adultes, hommes aussi bien que femmes, omettent en général de donner ce genre d'informations au cours des entretiens. La différence entre les bases de connaissances des divers membres du ménage peut influer sur les responsabilités qu'ils assument ou sur la perception qu'ils ont de leurs nécessités et intérêts.

3.2.3. Interroger les femmes: un groupe fréquemment ignoré

Les manuels de DRR considèrent généralement comme acquis que les équipes doivent nécessairement compter des femmes parmi leurs membres pour solliciter des renseignements et des opinions auprès de l'élément féminin de la population locale. Si la présence de femmes au sein de l'équipe apporte une perspective spécifique au travail de terrain, et permet souvent de mieux connaître le rôle des femmes et les problèmes de développement qui leur sont propres, cette règle ne doit toutefois pas exempter les hommes membres de l'équipe, du dialogue et de la recherche d'informations auprès des femmes. Une praticienne expérimentée, spécialiste des femmes et du développement, s'est déclarée fermement convaincue que les hommes sont susceptibles de réunir des quantités exceptionnelles d'informations sur les femmes, directement auprès de celles-ci, s'ils s'en donnent la peine. L'un des rôles que se donne cette praticienne dans les exercices de DRR consiste à encourager les hommes de l'équipe-chercheurs aussi bien qu'agents locaux de vulgarisation-à rechercher eux-mêmes des informations concernant les femmes, sans lui laisser systématiquement ce soin. Cette spécialiste, et un nombre croissant de ses consoeurs, parviennent à la conclusion que même dans les sociétés où la séparation entre les hommes et les femmes est très marquée, les hommes-chercheurs et agents de développement-peuvent obtenir auprès des femmes des informations sur les modes d'utilisation des terres et sur les questions de gestion des ressources les concernant, à condition qu'ils acquièrent la confiance en soi et le tact nécessaires.

Encadré 6
Evaluer les gains et les pertes pour les femmes
Situation: Une équipe évalue un programme de développement rural participatif et cherche à mesurer les gains et les pertes du point de vue des femmes, notamment en ce qui concerne l'un des éléments positifs, le programme relatif au biogaz. L'un des aspects qui avait échappé aux concepteurs était l'incidence sur l'emploi du temps des femmes. Deux problèmes apparaissent: a) à la saison sèche, lorsque les animaux ne sont pas à l'étable, les femmes passent du temps à ramasser les bouses sur les pâturages pour alimenter les installations; b) le projet recommande d'épandre dans les champs les boues liquides, après fermentation; or elles sont lourdes à charrier; il faut donc faire appel aux hommes propriétaires de charrettes pour leur transport. Cependant, les hommes laissent les boues sécher et chargent les femmes de leur transport en paniers, conformément à la répartition traditionnelle des tâches. De plus, les femmes pauvres qui vendaient du combustible ont perdu la clientèle des maisonnées équipées pour la production de biogaz.
Source: Evaluation d'un projet de l'Aga Khan Foundation, au Gujarat, 1988.

Certaines pratiques d'entretien procurent de bien meilleurs résultats avec les femmes qu'avec les hommes. En général, elles sont plus familières des catégories culturelles, des intervalles de temps, des classes de taille, et des unités de mesure traditionnels. Un africaniste donne l'exemple d'un pays où le système métrique avait récemment été introduit pour les superficies. Les hommes d'un faible niveau d'éducation et la plupart des femmes ne convertissaient pas la superficie de leurs terres après que ce changement ait été introduit, se contentant de dire deux hectares au lieu de deux arpents, alors que la superficie de la parcelle n'avait bien entendu pas changé. Les femmes n'ont guère l'habitude des entretiens systématiques, et les questions doivent être exprimées de façon directe, en n'assumant pas que la personne qui répond ait nécessairement bien compris pourquoi on l'interroge ou ce que l'enquêteur cherche à découvrir.

Au cours d'un entretien bien conduit, les femmes peuvent toutefois fournir des informations très détaillées sur le volume des récoltes, le coût de la transformation, les pertes en cours de stockage, les structures de consommation, etc. Il appartient à l'enquêteur de trouver le moyen d'obtenir ces renseignements. Un des exemples classiques en Afrique est la forte sous-estimation de la production de plantes racines, car celles-ci sont prélevées au jardin en fonction des besoins, plutôt que récoltées en une seule fois (Hill, 1986). En posant des questions, il faut chercher à obtenir par des moyens créatifs des estimations de la production totale à partir des structures de consommation, plutôt que de se fier à des déclarations fantaisistes sur une récolte totale qui reste immatérielle.

Les femmes disposent souvent aussi d'un ensemble d'informations très différentes de celles des hommes quant à la disponibilité des ressources, leur utilisation et leur transformation. Interroger les femmes au sujet d'une ressource villageoise particulière, ou de tel système d'exploitation agricole produira invariablement des réponses différentes, et parfois opposées, sur les pratiques d'utilisation et de gestion optimales. Les femmes peuvent tirer d'une activité donnée des avantages très différents de ceux des hommes, et donc avoir une opinion bien à elles quant à l'intérêt de telle ou telle intervention particulière. Pour être efficace, le DRR doit impérativements'intéresser aux femmes aussi bien qu'aux hommes. L'équipe doit découvrir qui fait quoi dans quel secteur ou activité, et interroger cette personne-là plutôt que quelqu'un d'autre d'un abord plus aisé. Les informations sont facilement déformées si l'on interroge un patron sur le travail de son employé, ou l'agriculteur sur les contraintes que subit un pasteur, ou encore si l'on interroge des hommes sur des valeurs spécifiquement féminines.

Encadré 7
Entretiens avec les femmes
Un enquêteur, qui travaille souvent sur des projets de foresterie communautaire, a observé qu'en Asie, il lui est beaucoup plus facile de s'entretenir avec les femmes, en commençant par les questionner sur leurs fourneaux et leurs habitudes culinaires. Cela lui permet d'être introduit dans leur cuisine, où elles se sentent chez elles et en situation de force; une fois dans ce cadre, elles expriment très volontiers leurs opinions, leurs points de vue et leurs besoins sur toute la gamme des questions de caractère forestier ou économique.

En ce qui concerne la gestion des ressources, les femmes peuvent fort bien adopter des stratégies que les hommes du même village ne comprennent pas tous, ou dont ils se désintéressent. Les femmes peuvent pratiquer des techniques de collecte du bois de feu qui favorisent un recrû forestier maximal, ou bien elles peuvent décider entre elles, informellement, de techniques de protection de la forêt qui ne sont pas discutées en détail avec les hommes, puisque ceux-ci ne récoltent pas régulièrement les produits forestiers. Les femmes peuvent aussi faire des suggestions, concernant les activités du projet, qui seront tout à fait différentes de celles des hommes de la même localité.

3.2.4. Entretiens avec des informateurs clés

Les informateurs clés sont une source majeure d'informations pour ceux qui effectuent des recherches approfondies ou qui procèdent à des entretiens sans disposer de beaucoup de temps, comme c'est le cas lors d'un DRR. Pour en donner une définition simple, ce sont des personnes qui ont une connaissance particulière du sujet en question (chefs ou responsables respectés, personnel d'entretien des réseaux d'irrigation, président du comité forestier, etc). Les manuels de DRR décrivent avec une attention particulière comment et quand les interroger, et comment combiner les résultats de ces entretiens avec d'autres informations. Nombreux sont les manuels de DRR qui donnent des aperçus utiles à ce sujet, et indiquent comment pondérer les réponses de ces individus. Citons un excellent ouvrage à cet égard, «A Practical Guide to the Conduct of Field Research in the Social Sciences» (Westview Press, Boulder, Colorado, 1981), de Eliot J. Feldman. Le recours aux informateurs clés pose cependant un problème: une même personne peut être traitée comme source privilégiée d'informations ou comme n'importe quelle autre personne interrogée, selon les différents stades d'un même entretien. Le chef de village peut être un informateur-clé à un moment donné, lorsqu'il explique à l'équipe les modes d'utilisation des terres en vigueur dans le village et n'être qu'une personne interrogée parmi d'autres dans la minute qui suit, lorsqu'il décrit ses propres pratiques d'utilisation des terres. Les membres de l'équipe doivent veiller à bien distinguer ces rôles lorsqu'ils prennent des notes sur le vif, puis lorsqu'ils évaluent les informations ainsi recueillies.

3.2.5. Les techniques spéciales pour limiter les erreurs systématiques et les distorsions

Une documentation fournie porte sur les méthodes appropriées de conduite des entretiens. Citons notamment Warwick (1976), Rhoades (1982), Chambers (1985), Khon Kaen (1987), et Odell, Odell et Franzel (1986). Ces auteurs conseillent entre autres de soigner l'entrée en matière, d'ordonner les questions en une séquence ouverte et rassurante, de procéder aux entretiens là où se trouvent les interlocuteurs, sans les déranger indûment dans leur travail (de nombreux agriculteurs apprécient que l'enquêteur propose de leur donner un coup de main avant de main avant de les interrompre dans son travail pour répondre aux questions), d'interroger les gens dans des conditions confortables (les femmes s'expriment en général plus librement dans leur cuisine qu'à l'extérieur de leur maison), et de formuler des questions facilement compréhensibles par les personnes interrogées.

Un praticien recommande de demander, en fin d'entretien, si la personne interrogée a elle-même des questions à poser. Cela permet à l'enquêteur d'obtenir le cas échéant des informations qui lui auraient échappé, met son interlocuteur à l'aise puisque ce n'est pas toujours la même personne qui pose les questions, et permet aussi de s'assurer que la personne interrogée comme l'enquêteur ont bien saisi ce que l'autre cherchait à exprimer ou à savoir. Si la personne interrogée pose une question qui n'a aucun rapport avec ce qui précède, il y a de bonnes chances pour qu'elle n'ait pas vraiment compris à quoi pouvait servir l'entretien, et l'enquêteur risque de s'être fait une image erronée des comportements ou des attitudes de la personne interrogée.

Les outils interactifs (jeux de hiérarchisation, établissement de cartes, grilles de discussion) que nous examinerons dans d'autres sections sont autant d'outils qui permettent de limiter les erreurs et distorsions et garantissent que l'enquêteur et la personne interrogée comprennent ce que l'autre dit. Le choix rationnel des personnes interrogées et le recours aux méthodes d'échantillonnage permettent aussi de réduire la marge d'erreur systématique.

3.2.6. Utilisation des services d'interprètes ou de traducteurs

Les opinions divergent quant à la meilleure façon d'utiliser les services d'interprètes ou de traducteurs au cours d'un DRR. Pratiquement tous les praticiens reconnaissent que pouvoir dialoguer directement avec les personnes interrogées, sans intermédiaire, présente assurément des avantages, et qu'il est donc extrêmement important de promouvoir les techniques de DRR auprès des institutions locales. Néanmoins nombreux sont les cas où le DRR doit être réalisé sans que les enquêteurs connaissent la langue locale. Pratiquement tout le monde convient que, chaque fois que possible, des locuteurs autochtones doivent être inclus dans l'équipe, et que leur présence peut être d'un grand secours. Toutefois, lors des entretiens proprement dits, il peut être délicat de faire jouer à un membre de l'équipe le rôle de traducteur. Chacun des membres de l'équipe a ses propres compétences et domaines d'intérêt, aussi est-il pour lui très frustrant de se borner à un rôle d'interprète. Dans le meilleur des cas, les réponses ont tendance à être filtrées ou interprétées, plutôt que fidèlement traduites.

Par ailleurs, faire appel à des interprètes professionnels (idéalement en interprétation simultanée) peut être difficile, même si c'est la solution la meilleure pour les entretiens. Les interprètes professionnels travaillant dans les deux langues requises ne sont pas toujours nombreux, et risquent de n'avoir guère d'expérience du travail en zone rurale, et moins encore des méthodes très délicates à mettre en œuvre lors des exercices de DRR. Il faut dans tous les cas veiller à de nombreux détails: contrôler son interprète, le faire asseoir derrière soi, un peu sur le côté; garder un contact direct avec la personne interrogée, s'adresser directement à celle-ci et non pas à l'interprète, écouter attentivement ses réponses, même si on ne comprend pas ce qu'elle dit, etc. Les praticiens soulignent en outre qu'il est plus important encore de prendre le temps de s'assurer d'avoir compris exactement ce qui a été dit et ce que cela signifie, et que l'interlocuteur comprend bien ce qu'on lui demande. Les entretiens réalisés avec un interprète sont nécessairement plus lents, plus difficiles et plus délicats à conduire que lorsqu'ils sont faits directement.

3.3 TECHNIQUES D'ENTRETIEN DE GROUPE

3.3.1. Généralités

Les entretiens de groupe sont un élément important de la panoplie d'outils du DRR en raison de leur utilité pour recueillir des informations auprès d'un échantillon diversifié de personnes dans un délai relativement bref; pour susciter un débat sur les problèmes, les questions et d'éventuelles solutions; et pour mener à bien le processus de planification des activités à l'échelon villageois. La documentation sur les techniques d'entretien de groupe est plus souvent axée sur les deux premiers objectifs que sur le troisième. En outre, les entretiens de groupe sont la plupart du temps inévitables, les entretiens avec les ménages devenant souvent de véritables entretiens de groupe à mesure que les passants s'arrêtent pour voir l'équipe au travail et doivent en fin de compte être inclus dans l'entretien initial. Les manuels proposent aussi des techniques visant à dissuader les nouveaux arrivants sur la scène d'un entretien de prendre une part prépondérante dans la discussion, ou bien à profiter de leur présence pour réorienter l'entretien.

On compte nombre d'excellents guides pour les entretiens de groupe, outre ceux qui sont mentionnés dans l'Encadré 4. Citons notamment Kumar (1987), Shaner, Philipp et Schmehl (1982), Chambers (1985), Khon Kaen (1987), et McCracken, Pretty et Conway (1988). Honadle (1982) et Hendricks (1987) proposent des diagrammes utiles illustrant les mérites respectifs des différentes techniques d'entretien de groupe.

Comme les entretiens individuels, les entretiens de groupe sont difficiles à conduire. Gow (1987) observe pertinemment que les entretiens réalisés à l'échelle d'une communauté donnent souvent à l'équipe une image faussée de la situation locale, car la discussion est dominée par les chefs ou responsables locaux, les personnes interrogées idéalisant la réalité plutôt qu'elles ne discutent de leurs véritables pratiques, et parce que les interlocuteurs s'approprient le débat et en excluent l'animateur; d'autre part, le grand nombre d'intervenants fait souvent dégénérer le débat en donnant une trop belle occasion d'exprimer des griefs et des revendications. Kumar (1987) suggère certaines stratégies permettant de contourner ces problèmes:

  1. poser des questions soigneusement formulées et donner des directives pour éviter que l'on n'élude les problèmes réels3;
  2. avoir préalablement un entretien avec un groupe de chefs ou responsables du village et ouvrir la réunion en rapportant leurs observations, leur caution encourageant d'autres personnes à s'exprimer;
  3. subdiviser le groupe en petits groupes de travail plus homogènes;
  4. varier les sujets pour entretenir l'intérêt d'un groupe nombreux; enfin
  5. le cas échéant, faire observer avec humour que certains sous-groupes participent peu.
Encadré 8
Le risque d'une visite trop peu discrète: les villageois ne disent que ce qu'ils veulent bien faire entendre
Situation: Une équipe visitait le site d'un projet de canal d'irrigation; l'élite locale, les petits exploitants, les femmes et les villageois pauvres étaient unanimes pour déclarer que le projet de canal, tel que les ingénieurs l'ont conçu, était inadéquat pour desservir le périmètre irrigué, et qu'un canal supplémentaire en amont était nécessaire pour alimenter correctement le réseau. Des investigations ultérieures ont révélé que le village avait unanimement cherché à convaincre l'équipe car tous ses habitants souhaitaient un canal supplémentaire, afin d'irriguer une autre zone, indépendamment du périmètre prévu, et savaient bien que les autorités n'accepteraient jamais de le construire si les fonctionnaires dépêchés sur place n'étaient pas convaincus que le canal prévu au départ manquerait d'eau s'il n'était alimenté par un autre. Hommes, femmes et enfants s'étaient ligués pour faire valoir ce point de vue, pour tenter d'emporter une décision allant dans leur sens.

Tel praticien du DRR, puisant dans son expérience en Afrique, estime que les discussions de groupe ont plus de chances de susciter le consensus villageois dans la direction souhaitée si l'équipe d'enquêteurs discute d'abord des questions importantes, de façon informelle, avec le chef traditionnel de la communauté, puis laisse ce chef provoquer le débat, ce qui donne au groupe de villageois présents la conviction que ce sujet mérite leur intérêt et leur attention. Lorsque l'on discute par exemple des solutions optimales pour gérer au mieux une ressource communautaire, comme telle parcelle forestière du patrimoine collectif, les villageois seront plus enclins à envisager sérieusement des solutions nouvelles et à donner à l'équipe d'enquêteurs leur véritable opinion si le débat est lancé par une personnalité locale respectée dans cette sphère, que si les membres de l'équipe proposent d'éventuelles solutions conçues d'un point de vue extérieur à la situation.

On imagine souvent que la présence dans l'équipe de membres nationaux hôte et d'agents de projet locaux permet de générer un débat équilibré et positif avec les populations locales. Bien qu'il soit possible que les professionnels locaux comprennent mieux les attitudes et les situations spécifiques, et provoquent donc une discussion plus honnête et plus pertinente, ce n'est pas une condition suffisante si les techniques d'entretien et l'utilisation des outils du DRR ne sont pas bien maîtrisés. Les membres nationaux de l'équipe peuvent avoir autant de préjugés - même si ceux-ci sont différents - sur «ce que les villageois pensent ou font» qu'un intervenant extérieur. Ou bien ils comprendront très clairement la situation d'un certain groupe ou d'une certaine classe au sein du village, mais sans saisir toute la diversité des différentes situations familiales. Lorsqu'ils choisissent les questions à poser, les formulent, ou guident un débat, les membres nationaux de l'équipe doivent mettre de côté leurs propres préjugés.

Encadré 9
Croire sur parole ou croire sur pièces
Situation: Une équipe évaluait l'avancement d'un projet national de foresterie sociale en Inde, et visitait un boisement communautaire récemment exploité par la population locale sous la conduite des responsables administratifs locaux, le panchayat. Les chefs de la communauté annoncèrent à l'équipe que les produits forestiers avaient été répartis équitablement entre les villageois, et leur montrèrent un document portant les signatures ou les empreintes digitales de ceux qui avaient reçu du bois. Un membre de l'équipe, sceptique, conversa avec quelques-uns des villageois démunis présents, et leur demanda s'ils avaient apposé leur empreinte sur la liste. lls avaient effectivement «signé», mais il apparaît que ni eux, ni d'autes villageois pauvres, n'avaient reçu quoi que ce soit.

3.3.2. Quand pratiquer l'entretien de groupe

Les entretiens de groupe sont utiles pour obtenir des données complétant celles dérivant des entretiens individuels, dans les situations suivantes:

  1. Pour recueillir des informations à l'échelon du village, ou pour définir de façon préliminaire l'éventail des situations que l'on affinera par des entretiens avec les ménages ou des entretiens individuels (par exemple combien de têtes de bétail possèdent les gens, les pâturages sont-ils adéquats, quelle est l'incidence du temps consacré à la collecte du bois de feu dans l'emploi du temps global du ménage agricole typique, les gens vont-ils chercher du travail à l'extérieur, quelle est l'importance relative de cette source de revenus pour les différents types de ménages);
  2. Lorsque des petits groupes homogènes de personnes sont déjà constitués pour une raison ou une autre quand l'équipe arrive au village - femmes, paysans sans terres, petits exploitants, propriétaires de terres irriguées - l'entretien de groupe produit des informations approfondies sur les perspectives divergentes de différentes catégories de villageois);
  3. Pour obtenir des informations d'un groupe socio-professionnel qui, lors d'un entretien individuel, risque de parler de ses problèmes avec moins de franchise - agents de vulgarisation, personnel médical local, agents forestiers locaux - afin de préciser l'éventail des opinions sur tel ou tel sujet;
  4. Lorsque les informations obtenues lors des entretiens individuels semblent incohérentes, les entretiens de groupe peuvent permettre d'éclaircir et de mieux expliquer la situation en apportant des données complémentaires; les groupes peuvent aussi réagir de façon émotionnelle aux informations présentées, révélant ainsi l'existence d'un problème à approfondir;
  5. Pour faire ressortir des informations sur certaines catégories de connaissances locales, ce qui permet de poser, lors des entretiens individuels ou avec les ménages, des questions plus pertinentes et d'obtenir des réponses plus fructueuses (les techniques de DRR à utiliser en ce sens sont les jeux de hiérarchisation, par exemple ceux que décrit Chambers (Encadré 14), ou les questions qui révèlent comment les populations locales prennent leurs décisions en matière de collecte ou de récolte de certains produits, comme par exemple celles posées par Eric Rustin [Travail en cours], dans ses recherches sur le combustible et le fourrage dans le système agroforestier népalais).
Encadré 10
Entretiens avec des groupes spécifiques
Les entretiens avec des groupes spécifiques permettent aux gens de s'exprimer sur les difficultés qu'ils rencontrent quotidiennement. Prenons par exemple les vulgarisateurs: réunir les agents villageois de vulgarisation hors de la présence de leurs supérieurs favorise le débat sur les questions importantes. En Inde, des entretiens avec des agents forestiers locaux ont révélé nombre de contraintes entravant la participation communautaire à la création de plantations, notamment le fait que les terres allouées par les chefs villageois pour les plantations étaient souvent choisies parce que des personnes influentes s'en étaient illégalement approprié l'usage, et que les chefs comptaient sur l'autorité des forestiers pour les récupérer. Or les forestiers en question n'étaient aucunement formés pour trouver des solutions à ce type de problème sur le terrain.

3.3.3. Entretiens avec des groupes spécifiques

La technique de l'entretien avec des groupes spécifiques est de plus en vogue dans les enquêtes portant sur l'aménagement des ressources naturelles. Ce type d'entretien dérive des méthodes de marketing social des industries du secteur privé et consiste à interroger des groupes relativement homogènes choisis dans la population locale, ou des groupes socio-professionnels: femmes sollicitant des soins médicaux, petits exploitants cultivant des essences fourragères, ou gardes forestiers par exemple. Cette technique est appropriée lorsque de petits groupes homogènes se trouvent naturellement rassemblés lors de visites sur le terrain-toutes les femmes, tous les paysans sans terres, tous les petits exploitants, tous les propriétaires de terres irriguées - et permet de recueillir des informations approfondies sur certaines questions. Elle est aussi utilisée pour obtenir une opinion commune, un consensus, de la part d'un groupe socio-professionnel - agents forestiers, personnel local de vulgarisation sanitaire, etc.

Les questions posées lors de ces entretiens sont étroitement axées sur quelques points clés. Il est en général inutile d'effectuer ce genre d'entretien à un stade exploratoire, avant que l'équipe ne maîtrise bien les paramètres généraux du problème. Il est en revanche utile d'évaluer la gamme des situations inhérentes au groupe, de prévoir pour l'entretien un lieu et des circonstances dans lesquelles chacune des personnes interrogées collectivement se sente à l'aise pour exprimer ses impressions ou ses opinions.

3 A noter que, dans ce cas, les questions directives sont un artifice utilisé pour un problème spécifique. L'enquêteur conduit alors délibérément la discussion dans une direction que les personnes interrogées chercheraient probablement à éviter si elles en avaient la latitude.

3.4 CHOIX DES INFORMATEURS ET TECHNIQUES D'ECHANTILLONNAGE

3.4.1 Généralités

Le problème le plus critique et le plus controversé pour ce qui est de la bonne utilisation de la panoplie d'outils du DRR est celui du choix des personnes interrogées et de l'échantillonnage. Les avis divergent fortement à cet égard, certains praticiens s'efforçant d'opérer une sélection délibérée (échantillonnage fonctionnalisé), pour procéder à des entretiens avec des personnes et des groupes de caractéristiques différentes en termes de classes, appartenances ethniques, âge, sexe, niveaux de ressources, et de rechercher de nouvelles personnes à interroger pour combler les lacunes qui apparaissent. D'autres trouvent que cette façon de procéder introduit des biais inacceptables, et soit combinent cette méthode avec un échantillonnage aléatoire, soit opèrent des choix délibérés fondés sur les principes classiques de l'échantillonnage.

Des études ont comparé les résultats d'enquêtes statistiques de caractère formel et informel dans un lieu géographique donné sur un sujet particulier (Franzel [1987], Ngamsomsuke et al. [1987]). Les avis sur les éventuelles applications plus générales de ces études semblent très partagés.

3.4.2. Utilisations possibles de la théorie classique de l'échantillonnage en DRR

La controverse principale porte moins sur le fait de savoir si le DRR peut permettre de constituer un échantillon en bonne et due forme de la population - mission de toute évidence impossible - que sur l'opportunité d'appliquer certains principes statistiques d'échantillonnage dans le cadre des travaux de DRR pour corriger utilement certains biais. Les tenants de cette dernière proposition n'estiment pas pour autant que toutes les personnes interrogées doivent être choisies de cette manière, mais ils souhaitent qu'au moins une partie d'entre elles le soient. Les praticiens qui partagent cette position estiment que, même lorsqu'une équipe fait tout son possible pour corriger les biais imputables à l'échantillonnage (en utilisant certains des indicateurs de Carruthers et Chambers [1981])4, elle ne saurait se dispenser de pratiquer des entretiens avec un groupe d'interlocuteurs choisis selon les critères de l'échantillonnage statistique. Ils estiment qu'il importe particulièrement que les personnes qui n'ont pas encore acquis une solide expérience de terrain ne se hasardent pas à constituer un échantillon fonctionnalisé équilibré.

Encadré 11
Techniques d'échantillonnage
  
Sources de faible fiabilité (biais)Mesures de renforcement de la fiabilité
Petite taille de l'échantillonPetite enquête complémentaire
Non représentation de minoritésStratification
Procédures de sélection biaiséesEffort de constitution d'un échantillon aléatoire
Absence de validité statistiqueDémonstration de validité (test Hypothèse nulle)
Echantillonnage dans un seul contexte
Recoupement par triangulation avec d'autres méthodes
Influence du contexte (biais)Gestion créative du contexte
Distorsion fonctionnaliséeCompétence et expérience
Manque d'intelligibilitéCompétence et expérience
 
Source: Campbell J.G., Communication lors d'un atelier sur les méthodes de DRR, Banque mondiale, Washington, D.C., Décembre 1988.
 

Certains praticiens conseillent de compléter les diagnostics rapides par de petites enquêtes de type classique, pour confirmer ou infirmer les conclusions résultant du DRR. Un praticien de la Banque mondiale a mis au point un programme informatique permettant aux non statisticiens d'effectuer ces enquêtes dans le cadre du suivi et de l'évaluation des projets. Ce programme suppose tout de même que ses utilisateurs aient une idée au moins partielle de la question à laquelle se rapporte l'enquête. La taille de l'échantillon étant déterminée par ce que l'on sait déjà sur la question, elle est beaucoup plus petite (pour une précision égale et un coût moindre) que celle que l'on retient habituellement pour une enquête classique à grande échelle. (Voir la description de ce programme à l'Annexe 2).

3.4.3. Application de la théorie classique de l'échantillonnage du DRR

Que peut-on emprunter d'une manière réaliste à la théorie classique de l'échantillonnage pour le choix des personnes avec qui s'entretenir au cours des visites de terrain lors d'un DRR? L'échantillonnage classique dans les enquêtes statistiques permet de réduire la probabilité que les enquêteurs interrogent telle catégorie d'individus plutôt que telle autre, et reviennent avec une impression biaisée de la situation ou du problème local. Le bon échantillon statistique se caractérise par l'étroitesse de la marge d'erreur d'échantillonnage. Toute enquête, quel que soit son caractère statistique, court le risque d'autres sources de biais (distorsion des résultats) que l'on appelle de manière générique erreurs indépendantes de l'échantillonnage. L'une des critiques qui est souvent faite à l'encontre des enquêtes classiques est que, si les erreurs d'échantillonnage sont très faibles, les erreurs indépendantes de l'échantillonnage, résultant de la médiocre formulation des questions, du mauvais choix de l'ordre dans lequel elles sont posées, du manque d'attention au contexte dans lequel l'entretien se situe et de l'inadéquation du moment où se déroule l'entretien, peuvent avoir des effets beaucoup plus dommageables que les simples erreurs d'échantillonnage. L'échantillon a beau être irréprochable, les résultats de l'enquête peuvent être entachés d'erreurs et inutilisables.

Encadré 12
Confirmation de la validité de l'hypothèse nulle
Certes, les enquêtes rapides, comme les DRR, ne permettent pas aux enquêteurs de s'entretenir avec suffisamment d'interlocuteurs au sein de la population pour tirer des conclusions incontestables, mais il existe des moyens d'accroître la validité des données recueillies. L'un de ceux-ci consiste à infirmer l'hypothèse nulle. Toute analyse statistique se fonde sur des tests mathématiques permettant d'établir si une corrélation particulière de tendances est significative, ou si elle est due à la présence fortuite dans l'échantillon d'individus hors norme. Si une enquête portant sur 80 ménages indique que les arbres plantés présentent un taux de survie de 70%, les tests mathématiques servent à montrer qu'il est hautement improbable que ce taux de survie soit mesuré dans l'échantillon de population s'il n'est pas représentatif d'une tendance générale pour l'ensemble de la population. Si l'échantillon permet d'observer un taux de survie de 70% des arbres, dit le statisticien, il est très vraisemblable qu'il en va de même dans le reste de la population. Ces preuves infirment l'hypothèse nulle, selon laquelle l'échantillon ne serait pas représentatif, mais consisterait en un sous-groupe atypique de la population.
On peut appliquer ce principe aux enquêtes rapides qui n'ont pas recours à l'échantillonnage aléatoire, en utilisant un échantillon de population pour démontrer non pas la validité générale du taux de survie de 70%, mais sa non-validité.
Si la plupart des personnes de l'échantillon interrogé lors du diagnostic rapide indiquent des taux de survie très bas, la validité du taux de 70% fourni par l'enquête peut être mise en doute, car il est hautement improbable qu'il existe des exceptions si nombreuses par rapport au taux général.

Dans les entretiens approfondis et «ouverts», on s'efforce de réduire les erreurs indépendantes de l'échantillonnage en veillant étroitement à mettre l'interlocuteur à l'aise, à poser les questions de plusieurs façons différentes pour réduire le risque de malentendu, à solliciter des réponses développées pour bien comprendre ce que dit l'interlocuteur, etc. Quelle que soit la qualité de l'entretien, il reste difficile d'avoir la certitude que la personne ou le ménage interrogé est représentatif, marginal ou exceptionnel, ou bien illustre une situation universelle si le reste de la population n'a pas été convenablement échantillonné. Dans les situations où l'on utilise les outils de DRR, on a rarement le temps de rechercher des individus choisis dans un échantillon aléatoire complet, ou de codifier et d'analyser les informations recueillies. Faire appel à des informateurs clés connaissant bien ce qui se fait et ce qui se passe au village permet de s'assurer de la représentativité des individus avec lesquels on a eu un entretien privé. En outre, il est également possible d'appliquer certains des principes de la constitution d'échantillons aléatoires pour réduire en partie au moins les distorsions que produit un échantillon entièrement fonctionnalisé.

L'un de ces principes est la stratification. Dans les DRR, cette méthode est considérée comme une forme de triangulation (recoupement). C'est une technique utilisée pour constituer un échantillon classique, qui permet de s'assurer que certains groupes de la population y sont représentés, malgré la taille limitée de l'échantillon. Un échantillon stratifié se constitue en divisant la population en groupes d'importance prédéterminée. On peut soit incorporer dans l'échantillon un certain pourcentage de ces groupes, à la mesure de leur représentation dans la population-à savoir par exemple 50% de femmes parce que les hommes et les femmes sont plus ou moins en proportion égale dans la population, ou 20% de paysans sans terres si 20% des ruraux sont réputés tels. Ou bien l'échantillon peut comporter un nombre égal de représentants de chacune des strates - 30 pauvers, 30 paysans sans terres, 30 agriculteurs aisés et 30 petits exploitants. Ce principe est applicable à l'échantillonnage informel fonctionnalisé et permet de s'assurer que certains groupes sont convenablement représentés.

Le tableau ci-après présente sous forme condensée certaines des solutions applicables.

Figure 3: Techniques d'échantillonnage appliquées dans le cadre du DRR

ProblèmeSolutions possibles
1.Comment s'assurer que les opinions des groupes cibles les plus en retrait au sein de la population ne sont pas sous-représentées dans les entretiensStratifier l'échantillon au sein duquel on pratique des entretiens de terrain pour y faire figurer une proportion spécifique de diverses catégories (pauvres/riches, vieux/jeunes, paysans avec/sans terres, différents groupes ethniques)
2.Comment corriger le problème courant de sous-représentation des zones agro-écologiques les plus reculées dans les visites de terrain lors des DRRChoisir par avance les sites de manière à ce que ces zones ne soient pas négligées
3.Comment réserver une part à l'échantillonnage aléatoire, sans y passer trop de temps, pour composer un échantillon et trouver des interlocuteurs dans un délai relativement bref afin de produire des informations convaincantes à l'intention des planificateurs qui exigent des éléments de caractère plus statistique ou quantitatif corroborant les observations de l'équipe.Recourir à l'hypothèse nulle: interroger un petit nombre de personnes [4–8] pour infirmer plutôt que pour confirmer ce qui était une hypothèse de travail ou la constatation d'une enquête de suivi antérieure (par exemple la survie des plantes dans la concession est moindre qu'en bordure de champs, selon tel rapport officiel de projet). Si la majorité de l'échantillon se prononce contre ce qui est donné comme étant la règle, alors on peut être certain que l'hypothèse de travail est douteuse, car la probabilité d'un nombre aussi élevé d'exceptions est très faible.
a.Utiliser le programme d'échantillonnage «rapide et approximatif» mis au point par Ronald Ng. (voir Annexe 2) pour constituer un échantillon sur lequel effectuer une enquête complémentaire.
b.Utiliser sur le terrain les listes existantes pour constituer un échantillon rapide (registres de santé, registres de pépinière, listes électorales) au moyen d'une table de nombres aléatoires.
c.Interroger un petit sous-échantillon pris dans un échantillon d'enquête classique antérieure (étude menée par une unité de S&E, ou enquête de référence).
4.Que faire pour tester les hypothèses formulées en cours de DRR?Etablir un échantillon aléatoire lors des visites sur le terrain pour tester les hypothèses en question: Prévoir une deuxième visite et faire du DRR un processus itératif.
5.Que faire quand les ménages répugnent à donner des indications précises sur des sujets sensibles?Combiner les entretiens individuels avec:
 - les entretiens de groupe
 - l'observation participante
 - les mesures directes
 - l'examen des données secondaires
 - les conversations non structurées, «improvisées»
 - les jeux de hiérarchisation ou de planification
 - le recours aux informateurs clés
 - la visite d'autres ménages

Deux facteurs aideront à décider si un effort de constitution d'un échantillon aléatoire renforcera la validité des informations recueillies. Premièrement, l'échantillonnage aléatoire n'apporte rien si les entretiens avec les personnes choisies par ce moyen sont médiocrement conduits. Deuxièmement, même si les techniques de DRR sont perçues comme apportant un gain de rentabilité, elles coûtent néanmoins du temps et de l'argent. En situation de pénurie, mieux vaut parfois introduire un peu plus de rigueur même si cela prend un peu de temps que d'avoir à revenir sur le terrain avec des spécialistes de toutes les disciplines concernées pour recueillir à nouveau le même type d'informations. C'est là une question qui retiendra l'attention du personnel des projets qui adaptent de plus en plus souvent les techniques du DRR aux programmes forestiers ou d'aménagement des ressources naturelles, et les appliquent à différents stades de mise en œuvre.

3.4.4. Raisons incitant à renoncer aux méthodes classiques d'échantillonnage en DRR

Deux raisons pour lesquelles l'échantillonnage classique pourrait ne pas être approprié ont été exprimées au cours de l'enquête que nous avons effectuée:

  1. L'échantillonnage classique n'a pas sa place dans un DRR, lequel consiste à faire un inventaire général des différentes situations présentes dans la zone du projet. L'objectif d'un DRR est en général de découvrir l'ampleur d'un problème ou le poids de différents facteurs. C'est en étant aux aguets et curieuse de tout que l'équipe fait le meilleur travail. Elle n'a pas de temps à consacrer à l'établissement d'un échantillon de type classique, et l'objectif - à savoir réunir des informations sur des questions ou des hypothèses de caractère général - ne justifie pas de constituer un échantillon dans les règles de l'art.
  2. C'est le temps qui fait le plus défaut pour permettre un échantillonnage de type classique en DRR. Quoique cette façon de procéder puisse contribuer notablement à renforcer la validité des informations, les enquêteurs n'ont pas le temps d'établir un échantillon aléatoire et de conduire des entretiens avec toutes les personnes qui le composeraient.

3.4.5. Autres méthodes permettant d'obtenir un échantillon représentatif

Un certain nombre de spécialistes des sciences sociales interrogés mettent beaucoup moins l'accent sur les mérites et les inconvénients de l'échantillonnage aléatoire, par rapport à l'échantillonnage fonctionnalisé ou «opportuniste», que sur la nécessité pour les praticiens du DRR de prendre davantage conscience de l'intérêt (et des limites) des méthodes de collecte de données qualitatives, qui sont habituellement mises en œuvre sur une durée plus longue, mais qui pourraient être adaptées dans le cadre du DRR. Une de ces méthodes est celle de l'«analyse situationnelle».

En ethnographie, l'analyse situationnelle peut se substituer au dialogue avec toute une gamme d'individus. L'enquêteurs'efforce de réunir des informations aussi complètes que possible sur une «situation» unique ou un ensemble de situations intéressant le projet (conflits de pâturage, allocation des terres communautaires, introduction du labour suivant les courbes de niveaux sur une exploitation, répartition de l'eau d'irrigation). Le choix des groupes et des individus interrogés est dicté par la «situation» plutôt que par la décision méthodologique d'enquêtes auprès d'une «gamme de types individuels» (petits et gros agriculteurs, exploitations d'amont et d'aval). Cette façon de procéder permet de comprendre en profondeur une situation que l'équipe considère comme une caractéristique marquante de la zone du projet. Les personnes interrogées exposent une gamme d'opinions ou de vues sur la situation, et les entretiens donnent à l'équipe une bonne idée des processus locaux de prise de décisions, qui sont d'un intérêt vital pour la gestion des ressources du terroir. Les recommandations faites sur la base de cette démarche (soit isolément, soit en combinaison avec d'autres méthodes) sont fondées sur une connaissance approfondie de la situation, mais la démarche tout entière repose sur la connaissance qu'a l'enquêteur des «lois» sociales et culturelles qui gouvernent les normes et les comportements, du moins en ce qui concerne l'aire géographique où s'effectue le travail.

Encadré 13
Analyse de situation
Les droits sur les parcours et leurs modes d'utilisation peuvent présenter une grande complexité, et les pasteurs sont en général réticents à donner des informations à des intervenants extérieurs sur la taille de leurs troupeaux, leurs déplacements, ou leurs droits fonciers. Cela rend l'utilisation de la boîte à outils du DRR extrêmement difficile dans les activités de planification villageoise ou dans les recherches touchant à ce domaine. Une bonne source d'informations à cet égard est fournie par l'historique des conflits autour de ces droits. Les différentes parties peuvent fournir des points de vue différents sur les événements conflictuels et sur la résolution des litiges, ce qui permettra de distinguer des ensembles de règles et de responsabilités en matière d'utilisation des terres et d'accès aux pâturages. Un praticien préconise les questions sur des situations hypothétiques, par exemple: «si c'était une femme, et non pas un homme, qui avait laissé ses bovins divaguer sur ce pâturage, la dispute aurait-elle pris un tour différent?»

Ce qui précède a un corollaire: l'importance à donner aux informations relatives à l'utilisation des ressources à travers le temps. Conway, dans «Agroecosystems Analysis» (1986) et Raintree dans «Diagnosis and Design» (1986) font intervenir dans leur analyse l'historique de l'utilisation sylvicole et agricole des terres. Outre l'inventaire des cultures pratiquées successivement, il importe de dresser l'historique des conflits d'utilisation des terres et de recueillir des informations sur la gestion des conflits potentiels ou effectifs. Il convient donc d'interroger les villageois sur les éventuels changements intervenus dans la composition des groupes de gestion, l'histoire de leur constitution, les changements de pouvoir, l'emploi de gardiens ou de personnes chargées des tâches d'entretien. Lorsque l'on fait l'historique des conflits, il importe de déterminer dans quelle mesure le rôle social ou économique des individus concernés a influencé les décisions. Y aurait-il eu conflit si une femme avait fait paître ses moutons sur la terre en question, ou bien est-il né parce qu'il s'agissait d'un homme menant un grand troupeau de bovins? En ce qui concerne les pratiques culturales et sylvicoles, l'approche proposée par Conway préconise le recueil d'informations sur une période de dix ans, portant à la fois sur les cultures et les prix, cette source de renseignements étant précieuse lorsque l'on en vient à évaluer les caractéristiques économiques d'une intervention dans la perspective de l'agriculteur.

L'approche qualitative exige en général la présence d'un spécialiste des sciences sociales dans l'équipe, celui-ci devant bien maîtriser la méthodologie de la recherche qualitative, pour pouvoir évaluer correctement les valeurs et les normes s'exprimant au travers des opinions ou des actes d'une personne donnée. Les applications du DRR à la planification participative peuvent se faire sans l'intervention obligée d'un tel spécialiste, mais le personnel local devra avoir été solidement formé avant d'entreprendre seul un tel travail, et très bien connaître les communautés avec lesquelles il se prépare à travailler, une identité nationale commune ne suffisant pas.

4 Ces auteurs conseillent notamment de quitter la route principale, de ne pas interroger seulement les élites, d'aller sur le terrain à la saison des pluies autant qu'à la saison sèche, d'interroger les hommes et les femmes, les vieux et les jeunes, et d'ajouter aux villages choisis pour les entretiens par le personnel de projet d'autres villages choisis par l'enquêteur lui-même.


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