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Chapitre 2
ETUDES DE CAS DE PROJETS NIGERIENS DE FORESTERIE ET RESSOURCES FORESTIERES (continuer)

Etude de cas 4
GESTION EN PARTICIPATION D'UNE FORET NATIONALE — GUESSELBODI

Introduction

La présente section est consacrée à la description de l'effort déployé pendant huit ans pour créer un système de gestion en participation, à rendement soutenu, d'une propriété commune, appliqué à une forêt nationale dégradée située à 35 kilomètres à l'Est de Niamey, capitale du Niger.1 Ce cas est significatif pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il ouvre la voie à un système de gestion de propriété commune reposant sur une collaboration forestier-producteur. Le contrôle technique, la supervision, et l'autorité de soutien pour la mise en application assurés par le Service forestier sont associés à la participation des producteurs par le biais d'une organisation coopérative. La collaboration intervient au cours de l'adaptation progressive du plan de gestion de la forêt aux circonstances locales, et de la mise en œuvre des éléments majeurs du système de gestion. Deuxièmement, il montre comment un ensemble complexe de ressources renouvelables peut être soumis à un régime de rendement soutenu, dans lequel les coûts de gestion sont largement couverts par la vente des produits. Troisièmement, il établit un précédent pour l'exploitation commerciale des forêts nationales par les habitants des villages voisins; une telle exploitation, si on l'étendait à des forêts moins dégradées du «domaine protégé» pourrait permettre dans une large mesure de satisfaire la demande en énergie domestique urbaine et rurale, au Niger. Quatrièmement, il démontre la faisabilité technique — bien qu'avec de très hauts niveaux d'assistance — de la régénération d'un écosystème sérieusement dégradé.

L'activité de gestion de la forêt de Guesselbodi a été organisée en tant que composante du Projet de planification et utilisation des sols et forêts (PUSF). Ce projet a été financé par l'USAID, et mis en œuvre, depuis la fin de 1980, par une succession de forestiers nigériens et conseillers techniques. La composante «sites modèles» du PUSF avait été conçue pour démontrer comment les techniques de gestion pouvaient être appliquées à des environnements nigériens spécifiques, pour enrichir la base de ressources naturelles renouvelables. Pour sélectionner les approches, parmi une gamme de techniques possibles, on a appliqué un critère important: les populations locales devaient être capables d'adopter les approches, si elles se révélaient satisfaisantes du point de vue technique. C'est ainsi que, tout en utilisant du matériel lourd à plusieurs stades du projet, pour faire l'essai de méthodes de régénération de l'écosystème, on s'est appliqué régulièrement à employer des techniques simples, peu coûteuses, à fort coefficient de main-d'œuvre. L'activité de Guesselbodi a trois objectifs principaux:

La stratégie d'ensemble qui a été adoptée cherchait à réaliser la gestion en participation et à rendement soutenu d'une ressource forestière polyvalente, en la traitant comme une propriété commune. Un groupe bien déterminé et identifié d'individus, se conformant à des règles d'accès et d'utilisation établies pour la forêt, devrait exploiter la ressource. Les approches techniques à la gestion d'une ressource dégradée ont été, dans une large mesure, mises à l'essai ailleurs. Dans la forêt de Guesselbodi, on les a combinées, d'une manière novatrice parfois, après les avoir adaptées judicieusement au contexte local.

Parmi les quatre caractéristiques citées tout d'abord, les deux plus importantes dans le cadre de la présente étude sont: (1) la démonstration qu'il est économiquement faisable d'exploiter la brousse et d'en tirer des pâturages, du foin et de la paille; (2) la tentative d'organisation d'un système de gestion de forêt de propriété commune au Niger. Si le système de gestion Service forestier/producteur se révèle viable, les perspectives de préservation et de développement des ressources des forêts nationales, comme des ressources forestières en général, au Niger, s'en trouveront considérablement modifiées.

Il faut noter que ce projet diffère complètement des trois premiers dans ses intentions. Pour ceuxlà, il s'agit d'opérations d'agroforesterie. Ils cherchent à améliorer les rendements des systèmes de production agricole, en renforçant les fonctions positives des arbres ou en les créant, dans le cadre des systèmes. Le site modèle de Guesselbodi est essentiellement un projet de foresterie, encore que son approche soit fort peu traditionnelle. Il fait appel à quelques activités directes d'agroforesterie dans l'enceinte de la forêt. On y découvre des aspects techniques intéressants pour la gestion de la brousse — la seule ressource forestière subsistant maintenant dans la plus grande partie du Niger — favorisant son intégration dans les systèmes de production agricole (réserve de fourrage, bois de chauffage, poteaux de charpente, brise-vent, rangées de haies, apiculture, etc…).

Le projet est toutefois principalement orienté vers la foresterie polyvalente, plutôt que vers l'agroforesterie. Ceci explique la place prépondérante donnée aux fonctions des forestiers dans le système de gestion conjointe. En tant que dirigeants techniciens, ils doivent participer activement à la supervision de la gestion de la forêt, quoique toujours en collaboration étroite avec les producteurs ruraux organisés en coopératives (ou peut-être, par la suite, en entreprises privées).

Ici aussi, nous présentons le cas selon le schéma d'analyse habituel, en quatre sections: nature du bien, institutions, interactions et résultats.

Le projet

ATTRIBUTS DES BIENS ET SERVICES

La caractérisation de la plupart des produits forestiers dépend à la fois de la faisabilité économique de l'exclusion et des structures du régime foncier. La forêt de Guesselbodi fournit ou pourrait fournir de multiples produits. Ceci tient à la fois à la diversité des terrains et des sols et au niveau de production auquel on peut porter diverses parties de la forêt en les restaurant. Ces produits comprennent principalement le bois de chauffage, le fourrage (foin, paille et brout) et les poteaux de charpente, pour lesquels il existe une forte demande locale et régionale. L'agriculture est possible lorsque la nature des sols le permet. Les habitants des villages voisins cultivaient les terres arables de la zone forestière, avant leur expropriation en 1950, au moment de la création de la forêt nationale.2 Des produits secondaires de valeur, tels que miel, couvertures de chaume, rembourrage d'oreillers, plantes médicinales, etc.., peuvent être également fournis par la forêt en des quantités se prêtant à la commercialisation.

Biens privés. Parmi ces divers produits, seuls les biens qui résultent des usages agricoles ont un caractère intrinsèquement privé. Les récoltes agricoles, tout comme les plantes herbacées utilisées pour la construction des huttes et des clôtures, qui sont souvent cultivées dans les champs, sont sujettes à exclusion dans les conditions typiques d'exploitation agricole nigérienne. L'exclusion est économiquement praticable dans ces systèmes parce que les exploitants surveillent leurs champs durant la saison de végétation et jusqu'à la récolte, en tant qu'effet secondaire indirect de leurs travaux de culture. Leur présence matérielle dans les zones cultivées suffit généralement pour empêcher toute utilisation non autorisée. La consommation des récoltes agricoles est compétitive.

D'autres produits forestiers — le bois, le fourrage, le miel, etc.. — n'ont un caractère privé que s'ils engendrent suffisamment de revenus pour rendre l'exclusion économiquement praticable. De ce point de vue, les circonstances entourant le site de Guesselbodi sont favorables: présence d'une gamme de produits pouvant être commercialisés, pour lesquels il existe une forte demande dans un centre de population proche. Les gains sont suffisants pour financer une exclusion moyennant des rondes de surveillance organisées et continues. Toutefois, il faudrait qu'un individu, une entreprise ou une coopérative privés, contrôlent une parcelle de terrain forestier assez étendue pour fournir les économies d'échelle qui rendraient le système de patrouilles économiquement justifié. La consommation des biens est compétitive.

Biens de propriété commune. La plupart des produits forestiers consommables stationnaires ne sont pas, de par leur nature, des biens de propriété commune ou d'accès libre, puisque l'exclusion est faisable et que la consommation de la plupart des produits de la forêt est séparable ou compétitive.

Une classe de biens représente cependant potentiellement une ressource de propriété commune: les espèces de faune naturelle qui se sont réintroduites peu à peu dans la forêt, à mesure que la couverture végétale s'est graduellement enrichie jusqu'au point où les animaux peuvent de nouveau y trouver à la fois abri et nourriture. Les mouvements de la faune naturelle ne peuvent être contrôlés d'une manière économique, mais la plupart des animaux restent dans l'enceinte de la forêt parce que les environnements voisins sont moins attrayants. Ainsi, ceux qui contrôlent les terrains forestiers ou y ont accès, peuvent exploiter les espèces de faune naturelle. S'il n'y a qu'un seul individu ou une seule firme contrôlant la zone de la forêt, il est possible de gérer la population de cette faune comme un bien privé. Si plusieurs individus ou plusieurs entreprises contrôlent les terres, alors la faune devient automatiquement un bien de propriété commune.

Figure 17
Types de biens et services

 PROJET DE FORET NATIONALE DE GUESSELBODI 
   
 Attributs des biens et services de la forêt, compte tenu de la technologie, des modes d'utilisation, et en l'absence de règles 
  FACILITE D'EXCLUSION  
  DifficileFaisable  
  Biens et services publicsBiens et services à péage  
Conjointe(sur le site)   
  -qualité de l'environnement   
CARACTERE DE  LA CONSOMMATIONBiens et services d'usage communBiens et services privés  
SéparablePropriété commune(sur le site)  
  (sur le site)-cultures de plein champ  
  -flore et faune naturelles   
      
  (produits de consommation)   
  -bois   
  -miel   
  -brout   
  -foin et paille   
  -produits médicinaux   
     
     

Biens publics. Sous sa forme de gestion actuelle, la forêt engendre un certain degré d'amélioration de la qualité de l'environnement dans les alentours, dont bénéficient tous ceux qui fréquentent la zone. La consommation d'un environnement de qualité améliorée est conjointe et non compétitive.

INSTITUTIONS

Selon la législation cadre nationale, incorporée dans le Code forestier en vigueur, les forêts nationales sont des biens de propriéte commune. Elles doivent être gérées par le Service forestier comme des ressources de propriété commune de niveau national. Le Service forestier est chargé d'en contrôler l'accès, d'en réglementer l'usage et d'entreprendre les investissements nécessaires à la survie de ces ressources. L'ensemble des usagers potentiels a un caractère national ou même international.

La Constitution et les politiques actuelles du Niger prescrivent que l'on établisse des assemblées appelées conseils de développement, à chaque niveau de la société. Les villages sédentaires et les tribus «nomades», les cantons sédentaires et les groupes «nomades», les arrondissements, les départements, et le niveau national, possèdent tous maintenant ces conseils. De la même manière, il est prévu d'établir des organisations coopératives à chacun de ces niveaux.

Le Projet PUSF a organisé une coopérative qui devrait faire partie de la structure de gestion de la forêt. Ses membres sont les habitants des neuf villages à la lisière de la forêt. Ils sont organisés en mutuelles villageoises, chacune étant dirigée par ses propres cadres. Tous ceux qui résident dans le village sont membres d'office de l'assemblée mutuelle. Les membres de l'assemblée élisent un président, un trésorier et un secrétaire. Ces trois personnes forment le conseil administratif de la mutuelle. L'assemblée élit également deux vérificateurs aux comptes, qui constituent le service de comptabilité de la mutuelle.

Les cinq administrateurs de chaque mutuelle forment l'assemblée de la coopérative. A leur tour, ils élisent un président de coopérative, un vice-président, un trésorier, un secrétaire, trois conseillers et deux vérificateurs aux comptes, tous tirés de leur rangs. Les sept premiers cadres forment le conseil administratif de la coopérative, les deux derniers forment le service de comptabilité. Ceci impartit à chaque village un membre du groupe dirigeant. La coopérative affecte un gestionnaire qui est chargé du centre des ressources sur pied de la forêt de Guesselbodi. Ce gestionnaire doit superviser les activités de coupe et les ventes de bois, et assurer la bonne marche des opérations commerciales de la coopérative.

Le Ministère de l'Hydrologie et de l'Environnement, considérant le succès de la régénération de la couverture végétale et des ressources forestières durant les années 80, ainsi que le développement d'une coopérative forestière active, et devant faire face d'autre part aux requêtes du personnel du Projet PUSF pour que la coopérative se voie accorder les droits exclusifs d'exploitation des produits forestiers en échange du financement des dépenses renouvelables de gestion, a signé un contrat avec la coopérative de Guesselbodi, à la fin de 1986.

Ce contrat a, en fait, converti la forêt de Guesselbodi d'une ressource d'accès libre laissée pratiquement sans gestion, à une ressource de propriété commune dûment gérée. Le groupe de gestion — ceux qui disposent de la liberté d'exploiter les ressources de la forêt — sont tous des membres de la coopérative. Ils sont requis aux termes du contrat de mettre à exécution le plan de gestion, fruit de huit années d'expérimentation en matière de gestion des pâturages et des ressources forestières dans cette zone. Le directeur de la forêt est un employé à plein temps du Service forestier, affecté à ce poste à titre permanent. Il a pour superviseur le chef du Service forestier de l'arrondissement de Kolo. Lorsque le système fonctionnera comme prévu, et que le directeur, les membres de la coopérative, et les gardes forestiers auront fourni la preuve de leur aptitude à bien remplir leurs fonctions, le forestier de Kolo consacrera progressivement moins de temps à la supervision directe. Toutefois, il doit continuer pendant un certain temps encore à exercer une surveillance périodique.

Aux termes de la structure institutionnelle établie par contrat, les membres de la coopérative jouissent d'un droit selon lequel tous les autres s'abstiennent d'exploiter les produits forestiers sans avoir reçu d'autorisation expresse du directeur de la forêt. Les gens n'appartenant pas à la coopérative, à l'exception des pasteurs, ne sont pas autorisés pour le moment à exploiter les produits forestiers. Même les pasteurs sont soumis à un nouveau devoir, celui de se plier à la réglementation du pacage, ce qui fait partie de la conversion de la forêt de Guesselbodi d'une ressource qui autrefois, en ce qui concerne les pasteurs, était d'accès libre, en une ressource gérée de propriété commune.

Les membres de la coopérative disposent de la liberté d'exploiter plusieurs produits de la forêt, conformément aux clauses et conditions établies par le plan de gestion et le règlement de la coopérative. Les règlements sont relativement complexes. Ils reflètent les objectifs du plan de gestion, qui sont de maintenir et d'enrichir la productivité d'ensemble de la forêt, tout en assurant un apport régulier des trois produits principaux: bois de chauffage, ressources en fourrage (herbe sur pied, foin, paille et brout) et poteaux de charpente. La clé du système consiste à rationner la demande pour ces divers produits en fonction de l'offre (capacité de charge de la ressource) afin de préserver la productivité de la ressource.

Pour rester proportionnelle à l'offre, la demande doit être répartie annuellement, au moyen de deux systèmes généraux, dans le cadre des limites établies par le plan de gestion. Le plan de gestion établit une stratégie d'ensemble étalée sur plusieurs années. La superficie de la forêt, quelque 5 000 hectares, a été divisée en 10 parcelles sensiblement égales. Ces dernières forment la base du système de gestion. Il est prévu de les récolter pour le bois de chauffage et les poteaux de charpente, selon une rotation de dix ans, à raison d'une parcelle par an. Les règlements de coupe spécifient le type et les dimensions du bois (bois mort, bois vert mûr et tiges vertes immatures) pouvant être récolté dans chaque séquence de rotation. Une fois que la coupe a été effectuée sur une parcelle, celle-ci est retirée du circuit pour une période d'au moins trois ans, afin de permettre à la brousse récoltée de rejeter de nouvelles pousses et d'atteindre une grosseur et une hauteur telles que le broutement ne soit plus une menace pour la continuation de la pousse. Durant cette période, les plantes herbacées ont également la possibilité de se régénérer, étant donné qu'elles sont protégées par l'interdiction totale d'utilisation. Selon les besoins, il est prévu de planter, de manière sélective, des broussailles et des plantes herbacées.

Le plan de gestion prévoit également d'alterner les années de pacage, et les coupes de foin et de paille sur les parcelles régénérées. Le pacage, effectué en fonction de la capacité de charge spécifique d'une parcelle pendant une année donnée, utilisera de manière efficace les ressources en pâturage de la forêt et recyclera les éléments nutritifs sous forme de fumier, en les restituant aux parcelles. Durant les années alternées, la fenaison (durant la saison des pluies lorsque les herbes sont en floraison et contiennent des niveaux élevés d'éléments nutritifs essentiels) et le coupage de paille (durant la saison sèche lorsque la matière fournie n'a de valeur qu'en tant que cellulose formant masse) représenteront un usage moins complet de la ressource, mais assureront que les graines des plantes pérennes, comme celles des plantes annuelles, sont distribuées généreusement sur tous les sols de la forêt.

La séquence de rotation est conçue de manière à éviter la récolte sur des parcelles voisines pendant des années consécutives. Son but est d'assurer que les pasteurs peuvent conduire facilement leurs animaux vers les parcelles — un ensemble de sept changeant chaque année — dont l'accès est autorisé, pour une année donnée, pour le pacage contrôlé.

Des règles ont été élaborées pour régir l'accès aux ressources en bois et en pâturages de la forêt. Le directeur de la forêt en poste fournit des permis de coupe à la coopérative. La participation à la coupe n'est possible que si l'on est membre de la coopérative de Guesselbodi. Les membres peuvent acheter des permis de coupe, dont le prix actuel est de 3,30 dollars E.-U.. Les permis sont valides pour une période d'un mois et couvrent des montants spécifiés de bois de chauffage. Les membres de la coopérative doivent couper le bois dans des parcelles désignées conformément au règlement du plan de gestion. Ils ne doivent le vendre qu'à la coopérative. Tout le bois livré est payé en espèces. Ceux qui commettent des infractions à la règle peuvent se voir retirer leur permis et être exclus des activités de coupe à l'avenir. La coopérative revend à son tour le bois avec bénéfice, à des marchands qui viennent l'acheter au bord de la route. Certains membres de la coopérative rachètent le bois de chauffage au prix de gros, et en font eux-mêmes la commercialisation.

Les recettes de la vente des permis de coupe sont déposées sur un compte en banque spécial, qui sert à financer des investissements pour la revalorisation de la forêt. Les recettes de la vente des produits forestiers sont déposées sur un fonds autorenouvelable. L'argent de ce fonds sert à financer les achats de bois coupé aux membres de la coopérative participant à la coupe. En principe, le solde du fonds doit croître dans la mesure où il est fonction, d'une part de la marge entre les prix d'achat et de revente et, de l'autre, de la quantité de bois (et autres produits) tirés de la forêt et vendus.

A la fin de chaque année, les frais d'exploitation et les frais d'investissement doivent être déduits des bénéfices bruts réalisés par la coopérative. Les premiers sont imputables à l'organisation et à la mise en œuvre de la coupe. Les seconds proviennent de décisions conjointes directeur de forêt/coopérative, relativement aux investissements dans la revalorisation des ressources forestières ou la modernisation de l'infrastructure. Les investissements sont la propriété de la coopérative, mais ne peuvent être vendus sans l'agrément de la Direction nationale du Service forestier. Les bénéfices nets sont partagés dans la proportion de 25 pour cent pour la coopérative et 75 pour cent pour le plan d'investissement en faveur de la forêt. La portion de la coopérative est distribuée aux membres sous forme de ristourne. Les sommes affectées au plan d'investissement pour la forêt forment une réserve spéciale pour les frais renouvelables, par exemple les salaires des gardiens et le marquage des arbres grainiers, à respecter pour favoriser le reboisement après la coupe.

Un système analogue doit être employé pour l'organisation de l'exploitation des pâturages. Dans les parcelles où le pacage est permis pendant une année donnée, une estimation de la capacité de charge au cours de la saison sèche suivante doit être faite par le directeur de la forêt.3 A mesure qu'une certaine expérience est acquise, les estimations des quantités de fourrage seront fondées sur l'observation de l'aspect de la ressource. Ces évaluations porteront à la fois sur les composantes herbage et brout. Le directeur de la forêt délivrera ensuite des permis de pacage à la coopérative. Le gérant de la coopérative les vendra aux demandeurs, dans l'ordre où ils se présenteront.

Les terres arables représentent une autre ressource forestière d'intérêt majeur pour les membres de la coopérative. Plusieurs parcelles ont été identifiées comme convenant bien aux cultures. L'accès à ces champs est accordé sur la base d'une simple loterie, aux membres des coopératives des villages les plus proches qui souhaitent participer. Les noms des parties intéressées sont placés dans un chapeau. Les gagnants du tirage se voient accorder un accès conditionnel aux champs. Pour conserver le contrôle sur ces terres, ils doivent se conformer aux règles de gestion forestière. On exige d'eux qu'ils plantent des haies vives le long des périmètres de leurs champs, et qu'ils plantent aussi des brise-vent et des arbres sur des sites disséminés. Les loteries ont été accueillies avec grand intérêt. Nombreux sont ceux qui voudraient se livrer à l'agriculture dans la forêt et ne peuvent recevoir satisfaction.

Les règles concernant l'accès à la forêt, propriété commune, et son exploitation, sont appliquées par le directeur de la forêt, par une équipe de gardes à cheval embauchée par le projet, et par le gérant de la coopérative. Le directeur de la forêt est chargé de la supervision globale. Il effectue des vérifications périodiques pour s'assurer que les membres de la coopérative observent les règlements de coupe lorsqu'ils récoltent le bois de chauffage. Il est également investi d'une autorité générale en ce qui concerne le soutien de base accordé à la mise en vigueur des règlements de pacage. Les gardes font des rondes sur les parcelles forestières en cours de régénération, et s'assurent également qu'il n'y a pas de coupes effectuées hors de la parcelle actuellement désignée pour la récolte. Le gérant de la coopérative est chargé de faire respecter les règles concernant la participation aux opérations de coupe de bois, et d'appliquer les modalités de commercialisation.

INTERACTIONS

Contexte

Le système de gestion conjointe appliqué à Guesselbodi est tout à fait nouveau. Les opérations commerciales effectuées selon les nouvelles règles ont été mises en route en mars 1987. Les observations concernant les interactions ne reflètent donc qu'une expérience préliminaire. Il faut les replacer dans le contexte des structures antérieures d'interaction concernant la forêt.

En dépit de l'autorité indiscutable que lui accorde la loi, le Service forestier a eu de grandes difficultés, au cours des trois dernières décennies, à contrôler l'accès à un certain nombre des quelque quatre-vingt-dix forêts du pays. Les ressources ligneuses de nombre de ces forêts ont été gravement compromises par les bûcherons coupant le bois de chauffage pour en faire le commerce. Dans certains cas, des cultivateurs se sont réinstallés dans les forêts pour exploiter les terrains déboisés, en réaffirmant souvent des droits de propriété sur les terres, perdus par eux ou par leurs parents lors des procédures d'expropriation ayant accompagné la création de la forêt.

Dans le cas de la forêt de Guesselbodi, l'armée nationale était largement responsable de l'abattage systématique des arbres pouvant être commercialisés. L'armée a poursuivi ses activités en forêt de 1955 jusqu' au milieu des années 70. Beaucoup de bois a été consommé pour les feux de camp de l'armée, et il semble qu'une quantité importante ait été transformée en charbon de bois et vendue à Niamey. L'armée a laissé la forêt dans un état de sérieuse dégradation.

Il y a certainement eu quelques récoltes illégales de produits forestiers effectuées par des villageois et des bûcherons, mais tous comptes faits, ceci n'était qu'un problème mineur dans la forêt de Guesselbodi. La forêt était facile à surveiller en raison de sa proximité de la grande route. Des sources abondantes de bois de chauffage existaient ailleurs dans la région de Niamey. Ceci réduisait la tentation de braconner du bois dans la forêt nationale.

Au cours des dernières décennies, ce sont les pasteurs qui semblent avoir exercé la pression la plus forte sur les ressources de la forêt. Ils jouissaient de l'accès sans restriction à la forêt. Beaucoup s'en étaient servis comme d'une réserve de pacage durant la saison des pluies, lorsque les propriétaires de bétail doivent tenir leurs animaux à l'écart des cultures en pleine croissance. Beaucoup d'exploitants de la région ont remis leur bétail aux pasteurs locaux, ces derniers conduisant les troupeaux dans la forêt. Il a pu se produire une surexploitation du pâturage, conduisant à la dégradation des herbages de plantes pérennes, ainsi qu'une pression indue sur les formations de broussaille de l'espèce Combretum, le compactage du sol et, pour les pâturages de forêt, une réduction de la capacité de se reconstituer.

Nouvelles interactions de système

La coopérative de Guesselbodi, de création récente, semble avoir pris un bon départ. Elle est en cours d'établissement depuis 1985. Un ancien agent de l'Union nationale des coopératives et du crédit (UNCC), organisme maintenant disparu, a été chargé du travail direct de mise en place, en coopération avec les villageois de la zone de Guesselbodi. L'assistance technique est assurée par un représentant de la Ligue coopérative des Etats-Unis (CLUSA).

Durant la période de démarrage, des infractions aux nouvelles règles de gestion se sont produites de temps à autre, notamment: du bétail errant dans les parcelles mises en coupe, où aucun pacage n'est permis durant trois ans au moins, pendant que les ressources forestières et les pâturages se régénèrent et, de temps en temps, la transgression du plan de coupe du bois de chauffage. Ces deux types d'infractions ont fait l'objet de sanctions de la part des gardes forestiers. Les animaux sont conduits dans une fourrière, mise en place dans chacun des neuf villages ayant une mutuelle, et contrôlée par le chef de village. Les propriétaires doivent payer une amende avant de pouvoir récupérer leurs animaux. Les bûcherons qui n'ont pas respecté les règles établies ont perdu leurs permis. Les membres des coopératives soutiennent en général ces règles parce qu'ils ont participé dans une certaine mesure à leur élaboration, et qu'ils comprennent que le respect du règlement leur vaudra des avantages à long terme, puisqu'il doit transformer la forêt en une ressource de plus grande valeur. La clause du contrat d'exploitation qui investit les membres de la coopérative du droit, exercé contre tous les autres, imposant de s'abstenir d'utiliser la forêt, semble jusqu'à présent avoir été respectée dans la pratique.

Les gardes forestiers ont été choisis hors de la population des neuf communautés locales. La raison en était que des étrangers seraient plus capables d'appliquer les règlements d'une manière impartiale, tandis que des gardes locaux seraient tentés de ne pas tenir compte des infractions commises par les membres de leur propre communauté, tout en punissant tous les autres. Jusqu'à présent, le système de garde assurée par des étrangers semble avoir donné satisfaction.

Faire effectuer la surveillance par des étrangers a toutefois certains désavantages. Cela renforce la dépendance des coopératives à l'égard des décisions du Service forestier, qui intervient dans la gestion pour embaucher et renvoyer les gardes. Des gardes venus du dehors ne se plient pas facilement aux procédures locales légitimes de prise de décision, sauf lorsque celles-ci passent par l'entremise du directeur de forêt. L'autonomie des coopératives est compromise. Il peut être possible, toutefois, de mettre au point des systèmes de gestion qui prévoient une protection de la forêt effectuée par les membres de la coopérative eux-mêmes. Ce système serait souhaitable, parce qu'il créerait avec le temps une solidarité de groupe, et instillerait la confiance dans la capacité du groupe de faire respecter un système raisonnable de règles.

RESULTATS

Le système de coupe des ressources ligneuses a jusqu'ici bien fonctionné. Deux parcelles (environ 1 000 hectares) ont été récoltées. Toute la production a été vendue à des marchands de bois qui se rendent au marché le long de la voie publique, pour s'approvisionner en bois. Les membres de la coopérative ayant participé à l'opération ont gagné beaucoup d'argent, consistant principalement en paiements pour le bois récolté. Mais aussi, les ristournes ont été assez importantes pour financer les premiers versements pour un certain nombre de charrettes à âne. Avec ces charrettes, les bûcherons membres de la coopérative ont augmenté leur récolte journalière, gagnant relativement plus d'argent. Beaucoup ont pu rembourser les prêts pour leurs charrettes en l'espace d'une seule saison de récolte. Ces charrettes servent naturellement à transporter du bois tant pour l'agriculture que pour la vente.

Le système de coupe du bois semble être équitable. Il a été conçu pour récompenser le travail intensif. Ceux qui coupent plus de bois recevront en principe plus d'argent. Il est impossible de dire, sans pousser plus loin l'étude sur le terrain, si le système donne les résultats escomptés.

Il est possible que le système de gestion des pâturages comporte une faiblesse, en l'occurrence la possibilité que ceux qui ont une forte influence politique, soient toujours systématiquement les premiers dans la file d'attente des candidats à l'attribution. Cependant, les autres systèmes présentent également des faiblesses de conception. Un système d'enchères pourrait augmenter les revenus provenant des droits de pacage, mais orienterait le système en faveur des riches. Un système limitant l'accès aux seuls membres de la coopérative, pourrait exclure de nombreux pasteurs de la région qui ont traditionnellement considéré la forêt comme un refuge pour la saison des pluies, où l'on peut faire paître les animaux sans risquer d'endommager les cultures. Le système peut être modifié à mesure que l'expérience acquise sur plusieurs années fait apparaître des moyens de le renforcer.

Si le système de distribution des terrains agricoles sis dans la forêt n'a pu répondre à la demande, il s'agit là d'un manque d'équilibre entre l'offre et la demande, plutôt que d'un défaut d'efficacité dans le plan de gestion. L'équité, que l'on définit ici comme une chance égale dans le tirage des lots que constituent les terrains disponibles, semble avoir été satisfaite.

Il est trop tôt pour évaluer la performance du système. Les coûts de l'opération de gestion de la forêt sont subventionnées, dans la mesure où le salaire du directeur de la forêt est couvert par le budget national de la fonction publique, et non pas par les recettes des ventes des produits forestiers. Toutefois, si le projet réalise graduellement les objectifs fixés lors de sa conception, il aura réussi en ce sens que le Service forestier nigérien et les membres de la coopérative de Guesselbodi auront préservé une ressource précieuse qui était menacée. Si la forêt continue à fournir des produits de grande valeur à l'avenir, elle aura servi à améliorer les niveaux de vie des villageois d'alentour, et aura aussi contribué dans une large mesure à satisfaire les besoins de la capitale en énergie domestique.

Si ce projet peut être étendu à d'autres zones de brousse «inutile» dans le voisinage de Niamey, comme cela semble fort probable d'après des études préliminaires effectuées dans ce sens, il aura fourni une contribution très importante, à la fois à la stabilisation de l'environnement et au développement économique du Niger.

NOTES

1 Ministère de l'Hydrologie et de l'Environnement, Projet de planification et utilisation des sols et forêts (MHE/PUSF); «Guide to Forest Restoration and Management in the Sahel (Guide pour la restauration et la gestion des forêts dans le Sahel) d'après les études de cas des forêts nationales de Guesselbodi et de Gorou-Bassounga, au Niger», préparé par John Heermans et Greg Minnick, illustrations et édition de Cecilia Polansky (Niamey, Niger, juillet 1987). Ce chapitre s'inspire largement de ce document, qui fournit une vue d'ensemble historique de huit années d'expérience à Guesselbodi.

2 James T. Thomson, «La forêt de Guesselbodi: variantes de schémas pour une gestion à rendement soutenu». Document rédigé pour le Projet de planification et utilisation des sols et forêts, ordre de commande No 683-230-1-016, 25 août 1981, pages 6–8.

3 Se référer à l'ouvrage MHE/PUSF «Guide pour la restauration des forêts.......», pages 112–122, pour y trouver les détails du système d'aménagement pastoral.


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