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Chapitre 3
RECOMMANDATIONS

Recommandations concernant la situation au Niger

Les cinq premières recommandations ne visent pas spécifiquement les quatre projets, objets des études de cas, mais plutôt la politique sectorielle globale appliquée à la gestion des ressources forestières au Niger. Ces recommandations sont divisées en deux groupes: (1) celles qui concernent les orientations de fond, et (2) celles qui touchent aux procédures de conception des projets de ressources forestières.

ORIENTATIONS DE FOND

Comme on le voit d'après les quatre études de cas, au cours de la dernière décennie, le Niger a autorisé et même encouragé, plusieurs expériences intéressantes de participation populaire à la gestion des ressources forestières. L'attitude du Service forestier envers ces expériences a progressivement changé, passant de l'hésitation du début, à un soutien croissant. Cette lente évolution est probablement une bonne chose. Les projets, qui constituent des expériences, ont proposé des changements radicaux dans les régimes concernant les droits de propriété sur les ressources forestières. Les forestiers nigériens, formés selon une tradition qui met l'accent sur la réglementation par l'Etat de l'environnement et des ressources environnementales, continuent à voir dans ces changements une déviation marquée vis-à-vis des méthodes standard de foresterie, appliquées au Niger il y a dix ans encore. Quelques-uns, sûrement, considèrent encore actuellement que ces déviations sont une erreur. Néanmoins, le Service forestier, en tant qu'organisation bureaucratique, réoriente lentement son approche de manière à promouvoir et à augmenter la participation populaire à la gestion des ressources forestières.

Les recommandations de fond touchent au fait qu'il semble souhaitable de rendre le contrôle sur la propriété des arbres plus local. Il y a de fortes chances, à ce stade, pour que le Code rural proposé adopte cette approche, au moment de sa promulgation éventuelle. Dans l'intervalle, le Service forestier peut, dans son interprétation du Code forestier, favoriser une augmentation progressive des responsabilités locales, ainsi que l'exercice local de la gestion des ressources forestières. L'engagement national actuel du Niger, qui vise à faire de la Société de développement un modèle de participation et de responsabilité locales en cette matière, apporterait un soutien considérable à cette politique.

Recommandation 1.

Publication d'un document traitant des politiques applicables à une gestion en participation des ressources naturelles

Le Gouvernement nigérien pourrait envisager de publier un document qui soulignerait les conséquences des politiques de décentralisation et de participation de la Société de développement, dans le cadre de la gestion des ressources naturelles. Un tel document pourrait, entre autres objectifs, promouvoir la gestion locale des ressources forestières.

Il n'est pas possible pour deux raisons de formuler des recommandations simples et uniformes concernant les modalités d'allocation des droits de propriété sur les arbres au niveau local. Premièrement, pour des raisons d'efficacité, il est souhaitable que les communautés locales entreprennent de faire appliquer leur propre réglementation des ressources forestières. Deuxièmement, des considérations d'équité peuvent suggérer de gérer les ressources forestières en tant que ressources de propriété commune, afin d'assurer que les moins fortunés ne soient pas exclus de l'accès au bois de chauffage, aux poteaux de charpente et autres matériaux provenant de la forêt qui sont indispensables à la survie dans le Niger rural.

Permettre aux communautés de veiller à l'application de leurs propres règles locales, concernant la propriété des arbres et la gestion des ressources forestières, introduirait un élément d'ambiguïté, tout en ouvrant la porte aux choix locaux dans le processus d'élaboration des règles. Dans certaines communautés, comme par exemple celles qui ressemblent aux villages haoussa du centre-sud de la zone du projet CRDI, les individus ou les familles peuvent préférer investir dans la production d'arbres ou de brousse sur leurs propres terres. Dans ces circonstances, la solution appropriée semble être de privatiser les droits sur les arbres. Dans d'autres, l'opinion générale peut se déclarer en faveur de la gestion conjointe de quelques-unes ou de la totalité des ressources forestières des terres villageoises pour assurer que tous aient accès aux produits essentiels tirés de la forêt. Un souci d'équité peut motiver une telle décision. De même que des considérations d'efficacité: il se pourrait que les règles du système de gestion ne réussissent que lorsqu'elles n'entraînent pas d'incitations à tricher.

Recommandation 2.

Encourager une approche locale de la gestion des ressources forestières dans les communautés rurales

Pour améliorer le degré d'adaptation effective aux conditions locales des règles de droit à la propriété des arbres et de gestion des ressources forestières, ce qui les rendrait attrayantes pour les producteurs ruraux, le Gouvernement nigérien pourrait envisager de permettre une mise au point progressive de ces règles, par l'entremise d'une série d'essais locaux. Les populations locales, mettant à profit l'expérience acquise, pourraient amender et modifier graduellement les règles au cours du temps, jusqu'à ce qu'elles s'adaptent bien aux conditions régnant dans les divers milieux du pays.

Faire adopter cette approche locale pour la gestion des ressources forestières dans les zones rurales pourrait exiger davantage que l'approbation unanime d'une communauté donnée. La question primordiale concerne le moyen de faire respecter les règles, que le choix du système local particulier se soit porté sur la privatisation des ressources forestières locales, la gestion en propriété commune, ou une combinaison des deux. A moins qu'il ne soit possible d'exercer une surveillance régulière toute l'année, du fait des modes d'utilisation des terres (ce qui n'est généralement pas le cas, bien qu'on rencontre des exceptions), il peut être nécessaire de mettre sur pied un système de patrouilles organisées.

La question critique est: comment mettre sur pied ce système et comment le financer? Plusieurs options peuvent être envisagées à titre expérimental, par exemple: les propriétaires fournissant comme gardes les membres de leur famille ou les personnes à leur charge, par roulement; des gardes au niveau villageois, payés par les propriétaires, sur la base d'une contribution privée et volontaire, un peu comme les propriétaires embauchent des bergers dans certaines zones pour s'occuper de leur bétail durant la saison des pluies; ou bien une certaine forme de financement public, à la charge de tous les résidents de la communauté, par le biais d'impôts payés en espèces ou en nature.

Recommandation 3.

Promouvoir différentes approches du financement de la gestion des ressources par les cadres locaux

Au cas où il s'intéresserait à la promotion d'une participation plus intense des usagers des ressources au contrôle et à la gestion de ces mêmes ressources, le Gouvernement nigérien pourrait prendre en considération un examen des questions de finances publiques liées à l'augmentation des responsabilités locales pour la gestion des ressources. Selon les résultats de cet examen, le gouvernement pourrait envisager de formuler des directives sur les méthodes permettant d'assurer légitimement le financement de la gestion des ressources forestières, à l'intention des administrateurs des échelons inférieurs, des cadres traditionnels tels que les chefs de village et de canton, et des Conseils de tous niveaux de la Société de développement.

PROCEDURES DE CONCEPTION DES PROJETS CONCERNANT LES RESSOURCES FORESTIERES

Aucune de ces modifications des orientations de fond, pas plus que leur transposition en des systèmes fiables de gestion des ressources forestières au niveau local, ne sera facile à mettre en œuvre, même si le gouvernement nigérien décide de promulguer des mesures semblables à celles décrites plus haut. Il semble donc recommandé de poursuivre des essais partiels, suivant les grandes lignes qui ont guidé les quatre projets de gestion des ressources forestières susmentionnés.

Tout nouveau projet de foresterie ou de gestion des ressources forestières, envisageant une participation populaire accrue à la gestion, ainsi que tout projet existant susceptible de voir sa conception remaniée dans un proche avenir, pour encourager une plus grande participation, doit s'attaquer aux questions de politique que nous venons de définir dans leurs grandes lignes. Des approches diverses pourront convenir, selon les conditions locales. Il ne semble pas évident que les conceptions des projets doivent être dominées par des considérations d'équité dans tous les cas ou même dans la plupart des cas. Cette question demeure problématique. Dans certaines circonstances, laisser tout simplement les élites locales arranger par elles-mêmes des systèmes de gestion des ressources forestières, semble être, à long terme, la manière la plus efficace de préserver ces ressources.

Il serait fort recommandé pour les concepteurs de projets d'avoir une idée claire des conséquences probables des diverses approches en matières de gestion des ressources forestières. Ils doivent se livrer à des choix conscients, compte tenu des avantages, des inconvénients, des certitudes et des incertitudes des diverses options. Ils devraient éviter à tout prix de supposer tout simplement que «les villageois le feront» sans préalablement (1) évaluer ce qu'implique une telle déclaration, et (2) s'assurer que des règles formant un cadre approprié ont été mises en place. Un règlement-cadre devrait être mis au point pour l'aspect institutionnel, comme pour l'aspect de financement public de la gestion des ressources forestières. Si les enquêtes de la phase de préparation du projet indiquent que la simple privatisation des ressources forestières locales ne sera pas suffisante pour encourager une gestion efficace, alors il faudrait exiger comme condition du financement du projet, l'autorisation d'un règlement-cadre approprié.

Recommandation 4.

Concevoir des projets qui permettent aux communautés locales de développer leurs propres systèmes de gestion et de les équiper en personnel

Afin d'augmenter la probabilité de voir les usagers des ressources participer activement à leur contrôle et à leur gestion, il faudrait donner dans le cadre de la conception des projets toute latitude aux communautés locales pour élaborer leurs propres systèmes de gestion des ressources forestières. Si le gouvernement nigérien veut rendre la gestion des ressources renouvelables plus attrayante aux yeux des populations locales, il faudra veiller, dans la conception des projets, à s'assurer que les communautés locales disposent de l'autorité voulue en matière d'élaboration et d'application des règles, ainsi que de jugement dans le cadre de ces règles et de finances publiques, pour que de tels systèmes de gestion locale soient faisables.

Les concepteurs de projets, et particulièrement ceux qui sont chargés de leur mise en œuvre, peuvent — pour accompagner l'accent mis sur l'accroissement de la responsabilité et de l'autonomie locales en matière d'élaboration et d'application des systèmes de gestion des ressources forestières, en tant que politique et stratégie d'encouragement à la participation — désirer collaborer étroitement avec les responsables locaux (personnalités élues et ex officio de la Société de développement, administrateurs et cadres traditionnels) en vue d'examiner les incidences de la nature économique des biens formant les ressources forestières, sur l'efficacité probable des divers systèmes de gestion. La base de ces systèmes serait: gestion et propriété privées des arbres, régime de propriété commune et d'accès illimité, et système de gestion de propriété commune et d'accès illimité, et régime de propriété, ainsi que système de gestion, de bien public. Le choix final du système le mieux adapté à un milieu donné doit être laissé aux populations locales. Mais, en dispensant des conseils qui font ressortir les avantages et les inconvénients des divers systèmes, et montrent la nécessité d'assurer que les systèmes de gestion soient modelés et adaptés selon la nature du ou des biens à gérer, on pourrait relever graduellement le niveau et la qualité de la gestion en participation des ressources forestières. Ceci se vérifierait en particulier si le Gouvernement nigérien autorisait les communautés locales à ajuster, par degrés progressifs, les régimes de propriété et les règles concernant les arbres, à peu de frais, au fur et à mesure que l'expérience apporte la preuve des faiblesses des systèmes existants et que de nouvelles approches sont proposées.

Recommandation 5.

Adopter une approche flexible qui rende les systèmes de gestion des ressources forestières bien adaptés aux circonstances locales

Si le Gouvernement nigérien veut encourager la participation à la gestion et au contrôle des ressources forestières, il serait opportun de concevoir et de mettre en œuvre des projets populaires de foresterie et de gestion des ressources ligneuses, en tant qu'expériences continues, placées sous le signe de la théorie des biens publics, et de mettre au point des systèmes de gestion des ressources forestières tenant compte de la nature des biens gérés, ainsi que des circonstances locales d'ordre social, économique et institutionnel.

La théorie des biens publics et des ressources d'usage commun, ainsi que l'étude des institutions, qui toutes deux figurent au Chapitre I, «Schéma analytique» peuvent aider à comprendre comment rendre plus attrayante la gestion des ressources forestières, aux yeux des producteurs ruraux nigériens, dans des contextes locaux bien déterminés. Les incitations positives et négatives inhérentes à la nature des différents types de biens — biens privés et biens de propriété commune d'une part, et biens d'accès libre et biens publics, de l'autre — poussant à investir dans la gestion des ressources forestières et décourager les pique-assiette, ont une influence significative. Dans plusieurs chapitres, nous avons étudié ces questions de fond et suggéré des moyens de formuler les règles pour encourager certains types de comportement, en dotant les individus et les associations de certains droits et certaines libertés.

Extension des recommandations aux autres pays du Sahel

Comme il est mentionné au début du présent chapitre, les cinq recommandations qui précèdent ont été formulées spécialement dans le contexte de la situation nigérienne. Toutefois, d'une manière plus générale, elles peuvent s'appliquer à bien d'autres pays francophones du Sahel qui connaissent des problèmes analogues. Les questions d'intérêt commun sont les suivantes:

Le reste du chapitre est consacré à trois recommandations supplémentaires dont la pertinence s'étend au cadre géographique plus général des pays francophones du Sahel. Par la force des choses, une telle étude situe les problèmes de gestion technique des ressources forestières et les possibilités offertes dans ce domaine, dans le contexte plus vaste des réflexions contemporaines sur la répartition du pouvoir de décision au sein de ces pays. Une gestion technique, comme une gestion politique des ressources forestières, ayant un caractère productif et un rendement soutenu, ne pourra être réalisée sur une grande échelle qui si des changements institutionnels sont introduits dans ces pays.

Recommandation 1.

Réviser les règles du régime de propriété des arbres pour promouvoir l'exercice d'un contrôle local sur les ressources forestières

De nombreux Etats du Sahel occidental continuent à s'inspirer largement des principes généraux de gestion des ressources énoncés dans le code forestier colonial français de 1935. Et pourtant, en raison des modifications radicales qui ont affecté la démographie, le taux d'occupation des terres et la disponibilité des ressources forestières, on a vu augmenter les incitations poussant les populations locales à gérer leurs ressources renouvelables en général, et les ressources forestières en particulier. La plupart des populations rurales du Sahel sont, à l'heure actuelle, engagées dans le processus pénible qui consiste à passer des systèmes de production extensifs, adaptés aux environnements relativement riches en ressources, à des systèmes plus intensifs permettant de produire lorsque les ressources naturelles renouvelables sont moins abondantes.

Dans bien des pays du Sahel, jusqu'au milieu du vingtième siècle, la pression démographique était plus limitée et la plupart des environnements sahéliens pouvaient être gérés convenablement par le biais de diverses formes de rotation des cultures et des pâturages, ce qui était souvent le cas. Dans de telles conditions, il n'y avait guère de raisons économiques de s'engager dans une gestion active des ressources forestières: pour la plupart d'entre elles, une régénération suffisante se produisait si on les laissait reposer après une période d'utilisation modérée. C'est pourquoi des droits de propriété personnalisés sur les arbres, sauf sur ceux cultivés pour la production de denrées alimentaires de valeur, ne se justifiaient pas. Les forestiers de l'époque coloniale, examinant ce problème et craignant une surexploitation éventuelle des ressources forestières, ont nationalisé le contrôle exercé sur celles-ci.

Depuis 1950, la pression démographique a connu une augmentation dramatique dans la plupart des Etats sahéliens. Maintenant, les exploitants agricoles pris individuellement, les familles d'agriculteurs et les groupes pastoraux sont de plus en plus soumis à des incitations les poussant à gérer les ressources forestières sous toutes leurs formes, afin de s'assurer la fourniture de produits ligneux qu'ils consacrent à des usages tels que la construction, le chauffage, les clôtures et le brout, et d'en tirer des services sur le site tels que la gestion des bassins versants et la recharge des nappes aquifères, la lutte contre l'érosion éolienne et le pompage des éléments nutritifs qui maintient ou augmente la fertilité des terres arables. Mais cependant, les règles de propriété des ressources forestières n'ont pas changé. Les coûts, en temps, énergie et argent, des transactions nécessaires pour établir un droit sur les arbres plantés ou se régénérant naturellement, sont souvent si élevés qu'ils découragent fortement les producteurs ruraux de faire de tels investissements. Ainsi, la plupart des politiques et des projets en matière de foresterie ont pour effet de décourager les investissements locaux dans la gestion des ressources forestières. Cette situation est particulièrement désolante, si l'on considère l'engagement apparent de la plupart des gouvernements nationaux du Sahel dans la lutte contre la désertification. Elle est encore plus désolante compte tenu des demandes incessantes d'assistance étrangère pour financer des activités anti-désertification lancées par les Etats.

Les gouvernements nationaux du Sahel devraient faciliter dans toute la mesure du possible l'auto-assistance en matière de gestion des ressources forestières. Les études de cas au Niger indiquent certaines voies dans lesquelles il est possible de s'engager pour encourager un plus grand degré d'auto-assistance dans ce secteur. Toutefois, jusqu'à ce que l'on accorde aux populations et communautés locales l'autorité voulue pour établir et modifier leurs propres régimes de propriété sur les arbres et droits de propriété sur les ressources forestières, les systèmes de gestion soutenable des ressources forestières resteront plutôt du domaine de la théorie que de la pratique.

Recommandation 2.

Concevoir des stratégies pour promouvoir la participation à la gestion des ressources forestières

Les gouvernements nationaux du Sahel peuvent changer certaines politiques, autres que les régimes de propriété des arbres, pour encourager les populations rurales à gérer ou à cogérer d'une manière plus efficace leurs ressources forestières. La gestion ou la cogestion suppose la capacité d'arrêter son choix sur des modes de comportement souhaitables et de les faire appliquer. Dans le cadre du schéma analytique dont on s'est servi ici, les rapports d'autorisation — les droits, les devoirs, les libertés et la vulnérabilité concernant les ressources forestières — des populations rurales et des autres acteurs, doivent être modifiés afin que les populations locales aient davantage de chances de trouver une telle gestion juridiquement et politiquement faisable, et offrant des avantages économiques. Pour assurer que les nouveaux rapports d'autorisation sont respectés, les rapports d'autorité devront également être modifiés, en particulier en ce qui concerne la répartition des pouvoirs, des responsablités, des immunités et des incapacités touchant à la création, la mise en vigueur, et la modification des règles de gestion des ressources forestières. Enfin, il faudra examiner les pouvoirs déterminants des cadres au titre de tout nouveau système, pour déterminer s'ils servent ou non les intérêts de ceux qui sont intéressés par la gestion de ressources forestières particulières. Il y a des chances pour que se produisent des erreurs dans les conceptions institutionnelles. Il y a des chances pour que les conditions changent. Ces deux facteurs feront naître la tentation de tricher vis-à-vis des rapports d'autorisation en matière de gestion des ressources forestières. Si les nouveaux rapports d'autorité ne dotent pas les cadres locaux de l'autorité voulue pour modifier les droits de propriété et les règles de gestion en matière de ressources forestières, il est fort probable que les systèmes de gestion se révéleront inapplicables et qu'ils échoueront.

Les réformes des politiques, entreprises pour augmenter les incitations à la gestion des ressources forestières, doivent également reconnaître le fait que l'organisation collective n'est jamais gratuite. S'il est prévu de prendre des décisions sur les régimes de propriété et les systèmes de gestion des arbres, puis de les surveiller, de les faire respecter, de les modifier à la lumière de l'expérience et de résoudre les conflits relatifs à ces questions, il faut qu'il y ait au moins quelqu'un qui consacre du temps à veiller à ce que toutes ces activités s'accomplissent. Et même si diverses «personnes importantes» offrent bénévolement leur temps pour accomplir ces tâches, des efforts sont inévitablement déployés, et représentent un coût. Dans bien d'autres situations, une gestion soutenue peut se révéler impossible sans la capacité locale de mobiliser des ressources d'une façon régulière et fiable, par exemple pour suivre les structures d'utilisation des terres et des ressources forestières, pour construire et entretenir les clôtures et pour recueillir et planter des graines ou des jeunes plants.

Dans les situations où les caractéristiques économiques des biens et services que l'on souhaite tirer des ressources forestières, indiquent que certains, ou la totalité des aspects de la gestion des ressources forestières devraient faire l'objet d'opérations collectives, il est impératif de donner aux communautés locales l'autorité de mobiliser les ressources nécessaires pour financer les activités de gestion. Mais, arriver à une telle législation habilitante n'est pas une entreprise simple. Elle suppose des changements assez spectaculaires dans la manière dont est répartie l'autorité en matière de finances publiques dans la plupart des pays francophones du Sahel. A l'heure actuelle, l'autorité fiscale est fortement centralisée. A l'occasion, des communautés locales — villages, petits groupes de villages, cantons — reçoivent du gouvernement national, une aide concessionnelle pour fournir certains services publics. Ordinairement, ces montants sont très limités et réservés à des buts spécifiques, et n'ont pas de caractère discrétionnaire. Les communautés locales devraient être investies de l'autorité de mobiliser les ressources sur une base discrétionnaire pour s'attaquer aux problèmes qu'elles considèrent comme importants. Si la gestion des ressources forestières est l'un de ces problèmes, elles devraient pouvoir se fixer des impôts en nature, en travail ou en espèces, pour financer les investissements nécessaires et les activités de maintenance, dont la surveillance.

L'adoption d'une législation habilitante est un moyen en vue de résoudre ces questions. On pourrait formuler une législation habilitante autorisant des communautés locales à caractère informel, telles que les villages, à être reconnues officiellement en tant que gouvernements locaux, autonomes, à objectifs multiples, ayant des pouvoirs limités et bien définis. Une législation habilitante pourrait également être rédigée afin d'autoriser les populations locales à créer des districts à objectif spécialisé, c'est-à-dire des gouvernements à objectif spécialisé créés et mandatés par ladite législation habilitante pour se charger d'une question spécifique telle que la gestion des ressources forestières.

Bien évidemment, ces questions n'intéressent pas seulement les forestiers. Ce sont les résidents qui sont principalement et le plus dramatiquement affectés par le bon état ou la détérioration des environnements locaux du Sahel. Si l'on tient compte des défaillances institutionnelles dont ont souffert de nombreux efforts nationaux, organisés du haut vers le bas et consacrés à la gestion des ressources forestières, il est possible de soutenir avec force que les populations rurales locales, qui sont le plus directement affectées par les conséquences de la bonne gestion ou de la mauvaise gestion des ressources forestières, devraient être davantage autorisées à chercher leurs propres solutions à ces problèmes.

Recommandation 3.

Concevoir des activités de gestion politique et de gestion technique des ressources forestières avec, par et pour les utilisateurs de ces ressources

Le schéma analytique exposé ici est axé sur deux sources principales d'incitations à une meilleure gestion des ressources forestières, qui en inversant la situation peuvent devenir des effets dissuasifs, entraînant des pratiques qui dégradent ces mêmes ressources. La première de ces sources est la nature économique des biens et services tirés des ressources forestières ciblées pour la gestion. On y fait figurer par exemple les produits de consommation tels que le bois de chauffage, les matériaux de construction et le brout, ainsi que les services sur le site comme la lutte contre l'érosion, le pompage des éléments nutritifs, la gestion des bassins versants et la délimitation des droits de propriété, produits des arbres, broussailles et arbustes. La seconde source importante d'incitations positives ou négatives à la gestion des ressources forestières est constituée par les règles concernant le régime de propriété des arbres, l'action collective locale, ainsi que la mobilisation de ressources en nature, travail et espèces pour gérer les ressources ligneuses renouvelables.

Pourquoi est-il important d'analyser la nature économique des biens et services, et le caractère des règles affectant la gestion des ressources? Comme le démontrent les études de cas présentées ici, il y a une énorme différence selon que la ressource en question a les caractéristiques d'un bien privé, d'une ressource d'usage commun, ou d'un bien public. Lorsque la demande est forte, et que l'offre est limitée, dans le cas d'un bien ou d'un service dont la nature est celle d'un bien privé — l'exclusion est faisable et la consommation compétitive — on peut prévoir que les gens, de leur propre initiative, investiront pour produire plus, afin de répondre à leurs besoins de subsistance et peut-être pour le marché. D'autre part, si le bien ou service a la nature d'un bien public, même si la demande est forte, les individus n'essaieront probablement pas, de leur propre initiative individuelle, d'en produire plus. S'ils le font, d'autres tireront la plus grande partie des bénéfices de leur effort, en profitant des caractéristiques de ce bien — l'exclusion est difficile et la consommation est conjointe — pour prélever en pique-assiette une partie de cette fourniture bénévole. Comme les biens publics, les biens d'usage commun ne peuvent être gérés d'une manière soutenable que par l'action collective à partir du moment où la demande excède l'offre. Si l'on ne tient pas compte des caractéristiques fondamentales des biens et services, on peut aboutir à des conceptions institutionnelles très mal adaptées à leur gestion politique et technique.

Il en va de même en ce qui concerne l'analyse des règles qui constituent le cadre institutionnel pour le régime de propriété des arbres et la gestion des ressources forestières. Que ces règles soient des règles officielles et formelles, comme dans le cas des dispositions du code forestier, ou qu'elles soient informelles, comme celles qui régissent la mobilisation de la main-d'œuvre, au niveau du village, pour la plantation des jeunes plants, les rapports d'autorisation qu'elles créent ne manqueront pas d'influencer le comportement. Si les droits permettant l'exploitation des arbres dans un bois de village en propriété commune ne sont pas explicites et clairement compris par tous les utilisateurs éventuels, la valeur de ces droits est ambiguë, et l'incitation à investir de ceux qui détiennent les droits sur les ressources forestières s'affaiblit. De la même manière, si les rapports d'autorité implicites dans les règles formelles ou informelles ne sont pas clairement établis, ou si les cadres chargés de faire appliquer les rapports d'autorité jouissent de pouvoirs déterminants très larges, on voit alors se réduire la sécurité des détenteurs de droits, tandis qu'augmentent les chances de voir se multiplier les activités des pique-assiette et des tire-au-flanc, ainsi que les cas de corruption et de vol pur et simple.

Expliciter les droits, les devoirs, les libertés et la vulnérabilité, ainsi que les rapports d'autorité qui les sous-tendent, rend plus facile l'estimation des incitations propres aux règles et aux institutions. Ceci ne garantit pas automatiquement une répartition appropriée des incitations à agir, et n'élimine pas non plus les contraintes pesant sur les comportements vis-à-vis des ressources forestières. Il faut donc examiner les règles existantes et les règles proposées pour voir comment elles affectent le comportement. S'il faut beaucoup de temps et d'énergie pour obtenir un permis de récolte, comme c'est le cas aux termes de la plupart des codes forestiers sahéliens, les risques de coupe illicite des arbres augmentent. Si les utilisateurs des arbres en milieu rural peuvent résoudre facilement, et à peu de frais, les conflits relatifs aux droits et aux libertés d'usage d'une ressource forestière donnée, il y a des chances pour que les règles soient bien comprises et que les infractions aux régimes de propriété des arbres soient dûment sanctionnées. Si les rapports d'autorité concernant les ressources forestières empêchent les communautés locales de faire respecter leurs propres règles locales de propriété des arbres, il y a peu de chances pour que ces règles soient rapidement adaptées pour faire face à l'évolution de la situation.

Les règles ne deviennent des règles opératoires que lorsqu'elles sont généralement bien comprises par ceux dont elles sont censées influencer le comportement, et si une surveillance et une action coercitive sont appliquées.1 Si les usagers des ressources forestières disposent de l'autorité voulue pour modifier les règles opératoires à la lumière de l'expérience, celles-ci ont plus de chances d'acquérir de la valeur au cours du temps, que si des coûts de transaction élevés sont attachés à leur modification. Si l'on imagine un paysan essayant de changer le code forestier, on a un exemple de coûts de transaction élevés. Si, pour les utilisateurs des ressources forestières, les coûts de transaction attachés à la modification des règles opératoires en ce domaine sont modestes, alors on a des chances de voir les populations locales apporter aux questions de gestion des ressources forestières tout le bagage des connaissances locales concernant les structures d'utilisation du terroir villageois, les personnes concernées, la topographie, la variabilité de production de biomasse dans l'environnement local, les usages compétitifs et complémentaires des mêmes ressources forestières, etc.

Ceux qui s'intéressent à la conception de projets de ressources forestières soutenables feraient bien de commencer par porter leurs recherches sur les institutions locales régissant l'usage des ressources forestières, ainsi que leur préservation et leur destruction. Parmi celles-ci figurent les institutions locales dont les gens ont entendu parler, qu'elles continuent ou non à fonctionner. Dans bien des pays francophones du Sahel, les codes forestiers ont été employés pour affaiblir, et souvent même pour détruire les systèmes locaux de gestion des ressources forestières, bien qu'il ne s'agisse pas là d'un prolongement nécessaire des dispositions du code. Les institutions locales de gestion devraient être considérées comme un capital institutionnel d'une valeur potentielle, peut-être entamé, mais dans bien des cas encore susceptible d'être utilisé. Si les populations locales ont une bonne compréhension des institutions locales de gestion des ressources forestières, anciennes ou existantes, de sorte que les règles qui les constituent sont encore, ou pourraient facilement devenir, des règles opératoires suivies et mises en vigueur par ces mêmes populations, alors il existe un énorme potentiel d'évolution rapide vers des systèmes efficaces. Les concepteurs devraient, pour la rédaction de leurs propositions de projets de ressources forestières, s'inspirer des populations indigènes qui connaissent les institutions locales, afin d'éviter de gaspiller le capital institutionnel actuel.

Respecter le savoir, les connaissances et les institutions trouvés sur place est une attitude dont l'importance et les avantages peuvent être considérables. Inversement, il peut être désastreux de ne pas tenir compte de ces connaissances ni de ces institutions. Si les concepteurs agissent comme s'il n'y avait pas d'institutions locales présentes, ils imposent aux utilisateurs, comme aux gestionnaires futurs des ressources forestières, le fardeau d'un apprentissage portant sur un ensemble complètement nouveau de règles imposées, leurs rapports, leurs forces et leurs points faibles, ainsi que la manière de corriger ces points faibles. On ne peut être sûr que les usagers des ressources ressentiront un intérêt suffisant pour faire cet effort, ni garantir leur succès s'ils le font.

Les concepteurs des projets devraient aussi présumer que leur travail de conception, ainsi que les efforts de leurs collaborateurs locaux, ne seront pas parfaits. Autrement dit, leur conception doit prévoir certaines défaillances, ainsi que les moyens de les corriger. Dans le cadre de leur collaboration avec les populations locales, ils doivent incorporer à la conception du projet des moyens permettant aux usagers des ressources forestières, de modifier les institutions à la lumière des enseignements tirés de leur expérience relativement à une ressource donnée, régie par un ensemble particulier de règles opératoires, dans un certain environnement socio-politique et biophysique local. On peut escompter que les populations locales seront capables, d'une manière informelle et progressive, d'analyser les attributs des biens et services des ressources forestières qu'ils essaient de produire, ainsi que l'utilité de certaines règles en vue de cette production. Leur capacité d'acquérir des connaissances au cours du temps, tout en améliorant la structure des institutions locales de gestion des ressources forestières, en rectifiant les défauts de la conception et en tenant compte de l'évolution de la situation, constitue une forme précieuse de capital humain qu'il ne faut pas gaspiller.

NOTE DE FIN DE CHAPITRE

1 Elinor Ostrom, Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action (Cambridge Mass: Cambridge University Press, 1990), p. 51:

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