Dans les systèmes d'exploitation agricole, l'arboriculture peut contribuer, tant au plan nutritionnel qu'au plan des revenus, à la sécurité alimentaire: les arbres, en effet, fournissent des aliments, des intrants nécessaires à la productivité du système agricole, du bois de feu pour la cuisson, et des produits susceptibles d'être vendus. Les arbres contribuent aussi à l'économie de l'exploitation de bien d'autres façons. Par ailleurs, leur présence sur l'exploitation absorbe une part des ressources du ménage, et entraîne des coûts divers. Nous tenterons dans le présent chapitre d'identifier plus clairement: les liens entre les arbres et le reste de l'économie des ménages agricoles; les facteurs qui incitent les agriculteurs à planter ou non des arbres; et l'incidence des cultures de rente sur la sécurité alimentaire des ménages.
Traditionnellement, les agriculteurs protègent les arbres présents sur leurs exploitations, leur appliquent des soins culturaux, et partent de jeunes exemplaires, afin de garantir leur approvisionnement en produits prisés qu'ils ne peuvent plus obtenir d'une forêt naturelle qui disparaît, se dégrade, ou leur est de moins en moins accessible. Campbell et al. (1987) ont par exemple constaté que dans la zone des collines au Népal, où les ressources forestières diminuent progressivement, les ménages interrogés ont réduit leur dépendance vis-à-vis des disponibilités naturelles en produits forestiers en accroissant le nombre d'arbres sur leurs exploitations. Plus de la moitié des 41 types d'arbres dénombrés avaient été plantés par leurs soins au cours des cinq années précédentes (voir Tableau 28). Les essences fourragères figurent en bonne place parmi les arbres cultivés, et les essences à bois d'œuvre prennent une part croissante dans les plantations les plus récentes.
D'autres facteurs importants interviennent, qui expliquent la présence ou l'absence d'arbres dans les systèmes agricoles, comme l'aptitude du sol et le mode d'utilisation des terres. La plantation d'arbres, ou leur conservation, a souvent, entre autres buts, celui de préserver la productivité du site (tout comme l'agriculture itinérante avec son alternance de cultures et de jachère forestière). On conserve ou plante aussi des arbres sur les terres impropres à d'autres productions végétales, ou bien là où leur présence, en association avec d'autres cultures, est requise pour prévenir ou réduire l'érosion du sol. Le Tableau 29 donne la répartition, dans une zone d'altitude de l'est de Java (Indonésie), des cultures, des associations d'arbres et de cultures, et du couvert boisé, ce dernier devenant prépondérant à mesure que la pente du sol s'accentue (McCauley 1983).
Les décisions relatives à l'introduction de pratiques arboricoles ou à d'autres activités agricoles, sont aussi influencées par des facteurs économiques intervenant plus directement: disponibilité absolue et relative de la terre, de la main-d'œuvre et du capital; besoins de subsistance et débouchés commerciaux; etc. Ces décisions sont, en outre, souvent influencées par des considérations sociales, culturelles et institutionnelles. A Java, le jardin de case est un important symbole de prestige (Soemarwoto et Soemarwoto 1984). Dans beaucoup de régions, notamment en Afrique, les arbres sont étroitement associés aux droits fonciers. Le système de droits régissant la propriété de l'arbre et de la terre est un facteur crucial, qui joue pour ou contre la plantation d'arbres (Fortmann 1984). Au Népal, dans la zone des collines, l'accroissement de la plantation d'arbres reflète notamment la recherche de solutions alternatives au renforcement de la gestion communautaire des ressources forestières restantes. Molnar (1981) montre que ces attitudes sont déterminées, entre autres, par la perception locale des facteurs suivants: l'état de la ressource et le potentiel correspondant d'accroissement de la production, dans l'hypothèse d'un aménagement collectif plus efficace; les perspectives d'action collective efficace.
TABLEAU 28 Terre, bétail et arbres
Dhading | Kaski, Parbat et Baglung | Total | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Moyenne | Pourcentage des ménages | Moyenne | Pourcentage des ménages | Moyenne | Pourcentage des ménages | ||||
Terre (ropani) | |||||||||
Khet | 8,4 | 82 | 8,6 | 88 | 8,5 | 86 | |||
Dari | 11,4 | 98 | 6,0 | 99 | 8,0 | 99 | |||
Khar-bari | 0,7 | 61 | 1,7 | 65 | 1,3 | 66 | |||
Bétail | |||||||||
Vaches | 1,8 | 78 | 0,9 | 33 | 1,1 | 49 | |||
Boeufs/bouvillons | 1,3 | 58 | 0,9 | 62 | 1,1 | 61 | |||
Bufflesses | 1,7 | 78 | 1,8 | 91 | 1,8 | 86 | |||
Buffles | 0,3 | 20 | 0,1 | 6 | 0,1 | 11 | |||
Caprins | 3,5 | 82 | 1,2 | 39 | 2,0 | 65 | |||
Ovins | 0,2 | 4 | 0,5 | 6 | 0,4 | 5 | |||
Total | 8,8 | 5,1 | 6,5 | ||||||
Arbres plantés | |||||||||
Moins de 5 ans | |||||||||
fruitiers | 5,7 | 53 | 1,1 | 35 | 2,8 | 62 | |||
fourragers | 13,2 | 42 | 5,3 | 61 | 8,2 | 54 | |||
bois de feu/d'œuvre | 2,2 | 22 | 12,7 | 53 | 9,0 | 62 | |||
bambous | 0,1 | 6 | 1,5 | 34 | 1,0 | 33 | |||
total partiel | 21,0 | 20,6 | 21,0 | ||||||
Plus de 5 ans | |||||||||
fruitiers | 6,4 | 59 | 2,7 | 55 | 4,1 | 67 | |||
fourragers | 12,0 | 88 | 4,8 | 75 | 7,4 | 80 | |||
bois de feu/d'œuvre | 9,3 | 67 | 4,6 | 57 | 6,3 | 61 | |||
bambous | 0,6 | 39 | 3,1 | 67 | 2,2 | 67 | |||
total partiel | 28,3 | 15,2 | 20,0 | ||||||
Total | 49,3 | 35,8 | 41,0 |
Source: Campbell et al. 1987
TABLEAU 29 Relation entre la pente et le type de jardin
Pourcentage de la pente | jardin potager | jardin mixte | jardin forestier | Tous types de jardins en culture sèche |
---|---|---|---|---|
(pentes types) | (58) | (108) | (64) | (231) |
Pente douce (3%) | 6,9 | 0,9 | 1.6 | 2,6 |
Pente modérée (10%) | 34,5 | 20,4 | 17.2 | 23,0 |
Pente prononcée (30%) | 34,5 | 37,9 | 26.6 | 33,9 |
Pente très raide (50%) | 12,1 | 22,2 | 23.4 | 20,0 |
Pente extrêmement raide (60%) | 12,1 | 18,5 | 31.2 | 20,4 |
Pourcentage moyen de pente pour chaque catégorie de jardin | 29,1 | 38,5 | 44.9 | 37,9 |
Notes: • Les chiffres expriment le pourcentage de chaque catégorie de jardin représentée dans chaque classe de pente. Les valeurs de chaque colonne, additionnées, donnent donc un total de cent. La dernière colonne à droite donne le pourcentage des jardins, tous types confondus, dans chacune des cinq classes de pente.
• Le pourcentage de la pente a été estimé sur la base d'observations sur le terrain, et les chiffres indiqués représentent en gros la valeur moyenne des classes de pente dans lesquelles chacune des parcelles a été rangée. La pente exprimée en pourcentage correspond à la tangente de l'angle qui la définit (45 degrés = 100 pour cent)
• Pour le calcul de la pente moyenne de chaque catégorie de jardin, la valeur de 75 pour cent a été retenue pour la classe «extrêmement raide», afin de mieux représenter la réalité. La valeur de 60 pour cent a été utilisée dans l'équation universelle des pertes de sol, faute de données disponibles pour les pentes de 75 pour cent.
Source: McCauley 1983
Dans le cadre élargi des facteurs ayant une incidence sur l'arboriculture, nous examinerons dans la présente section les informations fournies par les études économiques sur les systèmes agricoles où l'arbre occupe une place significative, afin de tenter d'identifier tant la contribution des arbres au budget de l'exploitation que les considérations de caractère économique ayant conduit les agriculteurs à les introduire ou les conserver. Nous chercherons pour ce faire à définir les avantages que l'arboriculture semble offrir aux agriculteurs en tant que moyen efficace d'exploiter les ressources disponibles pour réaliser les objectifs de production.
Les jardins de case (que l'on désigne aussi par les expressions «jardin de domestique», ou «jardin mixte») sont en général implantés, là où ils sont de tradition, aux abords immédiats de l'habitation, et constituent la fraction de l'exploitation agricole la plus intensivement cultivée. Ils sont caractérisés par une combinaison d'espèces végétales annuelles et pérennes, et présentent fréquemment une structure étagée, formée d'arbres, de buissons et de plantes de couverture, qui reproduit certains mécanismes de recyclage des nutriments, de protection du sol et d'utilisation efficace de l'espace (parties aériennes et souterraines), propre à la forêt naturelle. Les jardins de case sont très largement utilisés pour compléter les autres productions agricoles, et on y cultive de nombreuses denrées, de subsistance ou de rente. Ils ont aussi le mérite de permettre un meilleur étalement des travaux, de la production et du revenu agricoles sur l'année (Ninez 1984).
A Java (Indonésie), l'arbre est pésent depuis très longtemps, dans toute une gamme de différents systèmes de culture sèche. Leur étendue, leur structure et leur place dans le système d'exploitation agricole global varient en fonction de la densité de population, de l'altitude et du type de terres (Tarrant, communication personnelle). Les données examinées ici se rapportent essentiellement aux jardins de case des zones de bas-fond à forte densité de population du centre de Java. Ces jardins représentent le principal système d'exploitation agricole en culture sèche, la riziculture irriguée étant l'autre pôle de l'activité culturale. Les plantes pérennes dominent en général, plutôt que les plantes annuelles, et les espèces ligneuses l'emportent sur les espèces herbacées.
Dans les exploitations ayant une superficie rizicole permettant aux ménages d'être autosuffisants, la main-d'œuvre et le capital sont dirigés en priorité vers la production de riz. Les jardins de ces exploitations de bonne taille sont donc essentiellement des jardins forestiers, plantés d'arbres de valeur commerciale (Wiersum 1982, Hunink et Stoffers 1984, Stoler 1978).
A mesure qu'augmente la pression exercée sur la terre et que diminue la superficie arable disponible par personne, la proportion des terres dévolue aux jardins augmente, et atteint jusqu'à 75 pour cent de la superficie cultivée totale (Stoler 1978). Parallèlement, l'accès aux terres rizicoles se dégrade à tel point qu'une grande proportion des agriculteurs n'ont pas de rizière, ou du moins n'ont pas une superficie suffisante pour satisfaire leurs besoins minimaux. A mesure que décroît la superficie rizicole dont dispose le ménage, le jardin de case est cultivé de plus en plus intensivement, le jardin mixte remplaçant progressivement le jardin forestier avec l'introduction de plantes annuelles en nombre croissant pour se procurer des vivres et générer un revenu.
L'aménagement est intensifié en augmentant les apports de main-d'œuvre. Les possibilités d'accroître la productivité sont telles que les apports de main-d'œuvre dans les petits jardins seraient en moyenne trois fois plus élevés que dans les grands. La rentabilité foncière (voir Tableau 30) et celle des apports de main-d'œuvre sont élevées (Soemarwoto et Soemarwoto 1984). L'aménagement intensif des jardins permet de générer jusqu'à 20 pour cent du revenu du ménage (voir Tableau 31) et 40 pour cent des apports énergétiques (Stoler 1978).
Une autre manière d'intensifier l'exploitation de la superficie jardinée consiste à accroître la valeur ajoutée des produits du jardin. Penny et Singarimbun (1973) décrivent comment certains agriculteurs, parmi les plus pauvres, passent de la production de noix de coco à celle de sucre de coco, qui absorbe beaucoup de main-d'œuvre mais accroît les revenus tirés des plantations de cocotiers, malgré une faible rémunération de la main-d'œuvre (voir Tableau 32). Les autres activités génératrices de revenu liées à l'exploitation agricole sont notamment le sciage de long et le ramassage de bois de feu (Hunink et Stoffers 1984).
A mesure que la taille des exploitations continue de se réduire, les villageois cherchent de plus en plus à se procurer un revenu hors de l'exploitation. La culture de plantes annuelles, qui demande beaucoup de main-d'œuvre, cède alors du terrain pour laisser le temps aux activités génératrices de revenu, et les arbres et autres végétaux pérennes prennent une place prépondérante dans le jardin (Stoler 1978).
Cette évolution vers une plus grande dépendance vis-à-vis des jardins arborés, et leur aménagement de plus en plus intensif sont donc liés, dans les zones de bas-fond de Java, à la réduction de la superficie agricole disponible, et au fait que le jardin soit un mode particulièrement productif d'utilisation des terres. Cette solution est mieux adaptée que tous les autres modes d'aménagement à l'évolution de la base de ressources et des objectifs de production des agriculteurs.
Sous-district (kecamatan) Province: Java oriental | Revenu moyen | Revenu moyen des jardins de case | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Rizière (Rp/ha/an) | Coût1 (%) | Cultures en sec | Coût1 (%) | Rp/ha/an (%) | Coût1 | Pourcentage | ||||
rizière | c. en sec | |||||||||
Sumbergempul | Brut | 932,575 | 66,6 | 957,363 | 77,5 | 483,566 | 20,9 | 51,9 | 50,5 | |
Net | 311,120 | 215,130 | 382,668 | 123,0 | 177,9 | |||||
Wongsoredjo | Brut | 1 187,834 | 47,4 | 366,250 | 52,7 | 312,705 | 10,9 | 26,3 | 85,4 | |
Net | 624,271 | 173,275 | 278,736 | 44,6 | 160,9 | |||||
Ngimbang | Brut | - | - | 361,838 | 65,5 | 287,229 | 6,9 | - | 79,4 | |
Net | - | - | 124,825 | 267,526 | - | 214,3 | ||||
Moyenne | Brut | 1 060,205 | 55,9 | 561,817 | 69,5 | 361,167 | 14,3 | 39,1 | 71,8 | |
Net | 476,696 | 171,077 | 309,643 | 83,8 | 184,4 |
1 Coût exprimé en pourcentage du revenu brut.
Source: Soemarwoto et Soemarwoto 1984, à partir de Danoesastro 1980
TABLEAU 31 Revenu des jardins de case par rapport au revenu total
Sous-district: (kecamatan) Province: Yogyakarta | Revenu total moyen | Revenu moyen des jardins de case | |||
---|---|---|---|---|---|
Roupies | Coût1 (%) | Revenu total (%) | |||
Berban | 727 077 | Brut | 144 682 | 6,2 | 20,0 |
Net | 135 769 | 18,7 | |||
Sewon | 355 931 | Brut | 88 323 | 9,8 | 24,8 |
Net | 79 681 | 22,4 | |||
Rongkop | 199 507 | Brut | 155 333 | 28,5 | 77,9 |
Net | 111 108 | 55,7 | |||
Kalibawang | 387 367 | Brut | 26 703 | 4,7 | 6,9 |
Net | 25 444 | 6,6 | |||
Moyenne | 417 471 | Brut | 103 760 | 15,1 | 24,9 |
Net | 88 001 | 21,1 |
1 Exprimé en pourcentage du revenu brut.
Source: Soemarwoto et Soemarwoto 1984, à partir de Danoesastro 1980
TABLEAU 32 Miri: noix de coco, valeur ajoutée annuelle (moyenne par exploitation)
Groupes d'exploitations, classés par superficie exploitée | Sucre et/ou rente des fruits produits en propre | Total procuré par les arbres en propre1 | Revenu de l'extraction de sève pour le compte d'autrui2 | Valeur ajoutée (revenu) par famille | Sucre en fraction du total | |
---|---|---|---|---|---|---|
milliers Rp | milliers Rp | milliers Rp | milliers Rp | milliers Rp | pourcentage | |
Plus grande exploitation | 27,0 | 4,1 | 32,1 | 0 | 32,1 | 16 |
Premier quintile | 10,6 | 10,8 | 21,2 | 0,3 | 21,5 | 51 |
Moyenne du village | 4,0 | 6,9 | 10,9 | 3,8 | 14,7 | 73 |
Cinquième quintile | 0,7 | 6,8 | 7,5 | 4,2 | 11,7 | 94 |
1 Le chiffre indiqué donne le revenu procuré à la famille par ses propres arbres (capital propre) et ce qu'elle peut gagner en saignant les arbres et en transformant la sève en sucre de coco.
2 Les chiffres de cette colonne ne représentent que le strict revenu lié à la main-d'œuvre.
Source: Penny et Singarimbun 1983
Dans une étude consacrée aux pratiques agricoles dans le sud-est du Nigéria, Lagemann (1977) note une relation similaire entre les pressions démographiques s'exerçant sur les terres et l'intensité des pratiques arboricoles. Les exploitations comportent une mosaïque de jachères, de champs éloignés et de champs proches, et un jardin de case cultivé en permanence autour de l'habitation. Ce jardin contient diverses essences, notamment palmier à huile, palmier raphia, cocotiers, bananiers et plantains qui sont associés au manioc, à l'igname, et à d'autres productions agricoles classiques.
L'accroissement de la pression démographique s'accompagne d'une réduction de la superficie des exploitations et d'une baisse de fertilité du sol. Quand les pressions s'exerçant sur les terres se font plus fortes, la proportion des terres cultivées en jardins de case augmente, de même que l'intensité des pratiques arboricoles et agricoles dans ces périmètres. Selon Langemann, ce changement intervient parce que les agriculteurs perçoivent que ce mode d'utilisation de la terre, combiné à la pratique du paillage et de la fumure, constitue la meilleure parade à la perte de fertilité des sols, tout en maintenant la production. Bien qu'à l'hectare, les apports de main-d'œuvre nécessaires ne soient pas plus importants que dans les champs, les rendements en valeur monétaire sont de cinq à dix fois supérieurs, et la rémunération des apports de main-d'œuvre est multipliée par un facteur allant de quatre à huit. Langemann observe aussi que semis et récolte dans le jardin de case s'inscrivent dans le calendrier agricole de telle sorte que la charge de travail se répartit mieux sur l'année, et que les conditions de travail, meilleures à proximité de l'habitation et à l'ombre des arbres, favorisent une meilleure productivité de la main-d'œuvre.
A mesure que croît la densité de population, les jardins de case arrivent à fournir 59 pour cent de la production végétale et une part de plus en plus importante du revenu de l'exploitation agricole, la part des produits arboricoles dans le revenu total pouvant égaler ou presque celle des cultures annuelles. L'élevage prend une place croissante dans le système d'exploitation, tant comme source de revenu que pour le fumier qu'il procure. Mais, si la densité de population dépasse un certain seuil, les rendements et la rémunération de la main-d'œuvre finissent par baisser, jusqu'au point où les agriculteurs doivent chercher des sources de revenu hors de l'agriculture. A mesure que l'emploi extra-agricole se généralise, le jardin de case est réaménagé de manière à n'exiger que peu de main-d'œuvre, et est à nouveau dominé par les arbres et autres plantes pérennes.
Le schéma global qui ressort de ceci est que, comme à Java, les agriculteurs réagissent à la diminution des terres disponibles en accordant une place de plus en plus grande aux systèmes agroforestiers, initialement parce que ceux-ci permettent une intensification plus soutenue et durable de l'utilisation des terres, et rémunèrent mieux la main-d'œuvre que d'autres modes culturaux. Si les pressions sur les terres augmentent jusqu'au point où le revenu du ménage provient majoritairement de l'activité extra-agricole, ces systèmes présentent l'avantage de pouvoir être maintenus, moyennant quelques modifications, sous forme de systèmes à faible niveau d'intrants et peu exigeants quant aux opérations de conduite.
Une étude consacrée aux pratiques arboricoles à la ferme dans le Kerala, en Inde, met en relief un processus similaire qui combine des cultures pérennes et annuelles intensives et l'exploitation de superficies conduites de manière plus extensive. Comme l'accroissement de la pression démographique sur les terres conduit à une réduction de la taille des exploitations, on observe, en premier lieu, la mise en valeur des terres non cultivées, ce qui se traduit par la disparition du couvert forestier naturel. Vient ensuite un aménagement plus intensif des jardins de case, la gamme des arbres qui y étaient représentés se réduisant progressivement aux essences à usages multiples. Priorité est donnée aux essences fruitières et fourragères, ainsi qu'à celles produisant du paillis ou aptes à tuteurer les plantations de poivriers, bétel et autres espèces grimpantes. Au fur et à mesure de cette transformation, la densité des arbres et l'intensité de leur conduite augmente (Nair et Krishnankutty 1984). Quand la pression sur les terres augmente encore, la taille des exploitations diminue au point où l'agriculture cesse d'être la principale source de revenu. La diminution de la main-d'œuvre disponible sur l'exploitation en raison de l'emploi extra-agricole s'accompagne d'un renforcement du rôle des arbres dans le jardin, jusqu'à ce que celui-ci redevienne quasiment de type forestier.
Contrairement aux cas de Java ou du sud-est du Nigéria, dans cette zone du Kerala, les possibilités de disposer d'un certain capital se sont sensiblement accrues, ce qui a permis à certains agriculteurs d'intensifier encore l'utilisation des terres en achetant des engrais et des herbicides. Le rôle des essences polyvalentes (recyclage des nutriments et prévention de l'envahissement d'adventices) s'en trouve diminué. La tendance est donc à la suppression des arbres, qui sont plus gênants qu'utiles dans les champs. Ce phénomène de déboisement se trouve accéléré par la hausse rapide des prix du bois d'œuvre et de la terre; cette dernière favorise l'adoption de cultures de rente. On ne cultive donc plus d'arbres que lorsqu'ils supportent la concurrence des productions de rente, par exemple Ailanthus triphysa qui sert à approvisionner en bois les usines d'allumettes (voir Figure 4).
Ainsi, l'évolution observée au Kerala a été sensiblement parallèle à celle constatée à Java et au Nigéria, jusqu'au point où certains agriculteurs ont eu la faculté d'investir notablement dans leur exploitation. L'abandon ultérieur des pratiques agroforestières semble confirmer qu'en l'absence de capital, les agriculteurs ont recours aux arbres pour remplacer les intrants qu'ils ne peuvent acheter, et parce qu'ils exigent moins de main-d'œuvre que les productions végétales classiques.
Les boisements dont il sera question dans la présente section sont essentiellement des plantations d'arbres, constituant des cultures de rente de plein champ. On peut donc penser que les décisions des agriculteurs sont basées sur la rentabilité comparative des arbres et d'autres cultures ou utilisations du sol. Dans toutes les situations évoquées ci-après, la plantation d'arbres sur les exploitations connaît une expansion rapide.
L'exemple le mieux étudié de ce type de boisement vient des Philippines, où les petits agriculteurs cultivent des arbres pour produire du bois pour la pâte à papier. Dans une zone où se pratiquait autrefois une agriculture extensive, les agriculteurs cultivent aujourd'hui Albizia falcateria en rotations de 6 à 8 ans pour approvisionner une société voisine de fabrication de pâte (la PICOP). La taille moyenne des exploitations est de 11 hectares; une partie est dévolue aux cultures vivrières. Dans 45 pour cent des exploitations, une partie des terres au moins était antérieurement affectée aux cultures vivrières, tandis que sur 31 pour cent des exploitations, d'autres cultures non vivrières avaient été pratiquées sur certains terrains. Des crédits ont été mis à la disposition des agriculteurs pour planter des arbres, mais cette possibilité n'a été utilisée que par 30 pour cent de ceux auxquels elle était offerte; en général, ce sont ceux qui exploitaient des boisements de taille supérieure à la moyenne qui s'en sont prévalus (Hyman 1983b).
L'analyse ex-post montre que les agriculteurs parvenaient à tirer un revenu acceptable de leurs boisements dans la plupart des situations courantes, avec un taux de rentabilité interne de 22 à 31 pour cent pour ceux qui réussissaient le mieux, compte tenu des coûts autres que ceux du foncier. On ne dispose pas de chiffres permettant de comparer cette rentabilité avec celle obtenue avec d'autres utilisations des terres. Cependant, selon les agriculteurs, les faibles apports de main-d'œuvre constituent la principale raison les incitant à préférer l'arboriculture (Hyman 1983b). Dans une zone où la taille moyenne de l'exploitation est largement supérieure à ce qu'une famille peut cultiver par ses propres moyens pour la production vivrière ou d'autres productions végétales «classiques», la production de bois à pâte permet aux agriculteurs d'accroître la superficie productive.
Un autre exemple d'introduction récente d'arboriculture commerciale nous vient d'Haïti. Ce programme, qui semble une réussite, a fait l'objet de plusieurs études socioéconomiques fournissant une multitude d'informations sur les motivations des agriculteurs. L'arboriculture a été introduite auprès des agriculteurs des collines comme moyen de se procurer un complément de revenu. Il existait déjà un marché pour le charbon de bois et les perches, une orientation marquée vers la génération de revenu et la pratique des cultures de rente. En outre, la majorité des agriculteurs étaient propriétaires de leurs terres. On espérait par ailleurs qu'en incorporant des arbres dans les systèmes de production agricole, on parviendrait à maîtriser les graves problèmes d'érosion qui se posaient.
FIGURE 4 Evolution dans la gestion des jardins de case, dans le Kerala (Inde) |
A. Culture intensive du jardin de case |
B. Evolution des jardins de case aménagés intensivement |
Source: basé sur Nair et Krishnankutty, 1984
Depuis 1982, environ 110 000 agriculteurs ont mis en terre plus de 25 millions de jeunes plants. Les pratiques de plantation varient considérablement d'un agriculteur à l'autre, mais les planteurs délaissent de plus en plus les essences se prêtant exclusivement à la production de bois de feu et de perches au profit des essences polyvalentes, et associent arbres et autres productions agricoles, comme le maïs, le sorgho et les haricots.
Une analyse coûts-avantages effectuée récemment indique que la plupart de ces associations arbres-cultures présentent une valeur nette actualisée supérieure à celles des successions de cultures pures (voir Tableau 33), et que l'adoption d'associations végétales semble être viable au plan économique pour la plupart des agriculteurs (Grosenick 1986). Les enquêtes auprès des agriculteurs participants confirment qu'ils perçoivent l'accroissement de leur revenu comme le principal avantage, mais qu'ils sont aussi sensibles à d'autres aspects.
Beaucoup d'entre eux prévoient de se constituer ainsi une forme d'épargne, et apprécient le fait que l'on peut puiser dans le capital en abattant des arbres en fonction des besoins et au moment de son choix. Dans une zone sujette à la sécheresse et aux mauvaises récoltes, les arbres sont considérés moins vulnérables, et réduisent ainsi les risques. Quatre-vingt huit pour cent des personnes interrogées doivent faire appel à une main-d'œuvre extérieure, mais sont limitées en cela par le manque de ressources en espèces. Aussi l'arboriculture est-elle avantageuse en tant que mode peu coûteux d'utilisation des terres. Comme dans l'exemple précédent des Philippines, cultiver des arbres permet aux agriculteurs pauvres d'exploiter une plus grande superficie (Conway 1986, Balzano 1986 cité dans Conway 1987).
Dewees a rassemblé dans une étude réalisée pour le compte de la Banque mondiale (Banque mondiale 1986) les informations disponibles sur l'expansion rapide de l'arboriculture de rente observée récemment dans certaines zones du Kenya. On cultive volontiers deux essences, l'eucalyptus, qui donne des perches, et l'acacia noir, commercialisé sous forme de perches, de charbon de bois, de bois de feu et de branches servant à construire en pisé. Le marché de ces produits, qui va jusqu'au bois à pâte et au bois de sciage dans certaines localités, se développe rapidement, la production des exploitations individuelles y contribuant pour une bonne part.
L'arboriculture a tendance à être le fait d'agriculteurs pauvres dont l'exploitation ne suffit pas à produire assez pour satisfaire les besoins vivriers, et pour qui elle est devenue la principale source de revenu agricole. A Vihiga par exemple, dans le district de Kakamega, où la taille moyenne des exploitations est d'environ 0,6 hectare, jusqu'à 25 pour cent de la superficie est plantée d'eucalyptus (Gelder et Kerkhof 1984).
Le revenu brut à l'hectare de l'arboriculture est considérablement inférieur dans cette zone à celui des productions végétales classiques. Dewees suggère que la préférence des agriculteurs pour les arbres est, dans ce cas, liée aux limitations de capital et de main-d'œuvre, et dictée par un souci d'atténuer les risques. Les autres cultures imposent souvent des investissements notables, se situant à des niveaux que beaucoup de paysans ne peuvent envisager; à l'inverse, l'arboriculture nécessite peu d'investissements initiaux, et exige ensuite moins de main-d'oeuvre. Ce fait est d'autant plus important que la migration des hommes à la recherche d'un emploi non agricole entraîne souvent une pénurie de main-d'oeuvre familiale. Lorsque le marché est porteur, la rémunération des apports de main-d'oeuvre pour la production de perches est estimée être supérieure de 50 pour cent à celle que donne la production de maïs (Banque mondiale 1986). On voit donc bien que l'arboriculture représente un mode rationnel d'utilisation des ressources pour les agriculteurs pauvres qui doivent réserver une fraction importante de leur temps à l'emploi hors exploitation.
Année | VNA (1) | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Maïs, sorgho, ambrevade | 26,11 | -2,85 | 0,00 | -24,57 | 30,31 | 2,51 | 2,98 | -22,67 | 41,41 |
Maïs, haricots | 13,42 | -2,85 | 0,00 | -12,63 | 42,01 | 1,29 | 1,53 | -11,65 | 52,20 |
Igname, patate (Ipomoea batatas) | 17,06 | -2,85 | 0,00 | -16,06 | 38,66 | 1,64 | 1,95 | -14,81 | 49,11 |
Maïs, manioc, patate | 25,97 | -2,85 | 0,00 | -24,44 | 30,44 | 2,49 | 2,96 | -22,54 | 41,53 |
Maïs, sorgho | 29,10 | -2,85 | 0,00 | -27,39 | 27,54 | 2,80 | 3,32 | -25,27 | 38,86 |
Sorgho, patate, igname | 42,25 | -2,85 | 0,00 | -39,77 | 15,42 | 4,06 | 4,82 | -36,68 | 27,67 |
Année | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | VNA (2) |
Maïs, sorgho, ambrevade | 4,34 | 4,78 | -20,91 | 53,94 | 6,03 | 6,43 | -19,28 | 68,17 | 37,77 |
Maïs, haricots | 2,23 | 2,46 | -10,75 | 63,90 | 3,10 | 3,31 | -9,91 | 77,35 | 71,36 |
Igname, patate (Ipomoea batatas) | 2,84 | 3,12 | -13,66 | 61,04 | 3,94 | 4,20 | -12,60 | 74,72 | 61,74 |
Maïs, manioc, patate | 4,32 | 4,75 | -20,79 | 54,05 | 6,00 | 6,40 | -19,18 | 68,27 | 38,15 |
Maïs, sorgho | 4,84 | 5,32 | -23,31 | 51,59 | 6,72 | 7,17 | -21,50 | 66,00 | 29,84 |
Sorgho, patate, igname | 7,02 | 7,73 | -33,83 | 41,28 | 9,76 | 10,41 | -31,20 | 56,49 | -4,96 |
Source: basé sur Grosenick 1986
Quoique contenant moins de données de terrain quantitatives et détaillées que les études citées ci-dessus, plusieurs rapports d'évaluation récents donnent un excellent aperçu des motivations des agriculteurs, qui jouent un rôle important dans l'expansion considérable de l'arboriculture sur les exploitations agricoles dans plusieurs régions de l'Inde. Ce qui suit emprunte notamment aux études qui ont porté sur les programmes de foresterie communautaire menés dans les Etats du Goudjarat (Noronha 1982, FAO 1985, Skutsch 1987), du Maharashtra (Blair 1983), du Tamil Nadu (Arnold et al. 1988a), et du Bengale occidental (Tushaar Shah 1987).
Dans tous les cas, on cultive des arbres là où il existe des marchés actifs et porteurs pour les perches et autres produits (par exemple bois à pâte). Les principaux facteurs intervenant dans la décision des agriculteurs de se convertir à l'arboriculture plutôt qu'à d'autres cultures de rente sont notamment la hausse des coûts de la main-d'oeuvre et sa rareté croissante, la baisse des rendements, et les mauvaises récoltes fréquentes sous l'effet de la sécheresse et des difficultés croissantes d'accès à l'eau d'irrigation. Dans ces conditions, les avantages des arbres sont perçus comme suit: faibles apports de main-d'oeuvre, donc réduction des coûts de main-d'œuvre et des problèmes de gestion de celle-ci; faibles besoins en eau une fois les plantations établies, et ensuite meilleure résistance à la sécheresse, donc réduction des risques et de l'incertitude. La perspective de pouvoir accumuler un capital en plantant des arbres est un autre facteur important, en particulier pour les agriculteurs les plus pauvres.
Une grande partie de l'activité de reboisement se produit sur les exploitations de bonne taille, où les avantages principaux semblent être une meilleure rémunération des apports de main-d'œuvre, à mesure que le coût de cette dernière augmente, et une meilleure rentabilité de certaines terres où la disponibilité en eau d'irrigation diminue. Les petits agriculteurs ont tendance à adopter ce type de culture de rente quand les cultures annuelles ne sont plus rentables ou suffisantes, et qu'il leur faut se tourner vers d'autres sources de revenu; les arbres ont alors l'avantage de ne pas demander beaucoup d'apports et de constituer un capital. Une enquête menée dans une zone du Bengale occidental auprès de petits agriculteurs qui avaient récemment vendu du bois provenant d'arbres cultivés sur des terres agricoles marginales a révélé qu'environ 40 pour cent du produit des ventes avait été investi dans l'achat de terres rizicoles, tandis que 20 autres pour cent avaient été consacrés à d'autres investissements productifs (la majeure partie du solde étant absorbée par les dépenses de mariage et autres dépenses extraordinaires) (Tushaar Shah 1987).
Les plantations des agriculteurs, petits et grands, sont en très grande majorité monospécifiques, et se partagent entre un petit nombre d'essences à bois de feu, surtout l'eucalyptus. Même chez les très petits exploitants, les pratiques agroforestières sont fort peu répandues.
Dans tous les exemples de boisements ruraux que nous venons de voir, le choix de cultiver des arbres semble avoir été influencé par un ou plusieurs des trois facteurs principaux suivants: premièrement, la génération de revenu, en complément de la production vivrière, joue un rôle de premier plan dans les objectifs de production des agriculteurs; deuxièmement, l'arboriculture est avantageuse quand le capital et la main-d'oeuvre sont rares; enfin l'arboriculture réduit les aléas de production et les risques pour l'exploitant.
Arbres fruitiers et légumes dans un jardin de case, ouest de Java |
Les exemples donnés dans les deux sections qui précèdent suggèrent que les agriculteurs cultivent des arbres essentiellement parce qu'ils perçoivent que cette activité est le moyen le plus efficace d'atteindre leurs objectifs de production compte tenu des ressources en terre, en main-d'oeuvre et en capital dont ils disposent. A mesure qu'évolue la base de ressources il y a des chances pour que leurs stratégies agricoles se modifient; par ailleurs, leur appréciation de la stratégie la plus efficace risque d'être influencée par un large ensemble de besoins et de débouchés, liés à la situation extra-agricole locale. L'analyse de ce que pourrait être une utilisation efficace des ressources doit donc être fondée sur les objectifs de production que les agriculteurs se fixent dans leur situation spécifique. Dans la présente section nous nous intéresserons aux formes plus extensives d'agroforesterie, à commencer par l'agriculture itinérante.
Là où elle est de tradition, l'agriculture itinérante (culture sur brûlis) est le mode le plus efficace d'utilisation des ressources pour les agriculteurs; dans le cas de l'agriculteur itinérant, celles-ci se réduisent le plus souvent à la main-d'oeuvre familiale. Quand il y a assez de terre pour permettre la jachère, nul autre système cultural ne procure une rentabilité supérieure de la main-d'oeuvre sans apport de capital. La végétation qui se réinstalle pendant la jachère maintient la productivité du sol, et le défrichage suivi de brûlis dispense de la majeure partie des opérations de travail du sol et de désherbage. Si, en enlevant plus régulièrement les mauvaises herbes, on peut prolonger la période de culture, il est plus facile d'écobuer une nouvelle parcelle, parce que cela demande moins de main-d'oeuvre. De même, les rendements pourraient être accrus par des façons culturales plus intensives, mais au prix d'une productivité moindre par unité de main-d'oeuvre. Tant qu'ils peuvent atteindre leurs objectifs de production en appliquant les méthodes les moins consommatrices de main-d'oeuvre, les agriculteurs ne s'en écartent généralement pas (Rambo 1984, Raintree et Warner 1986).
Un exemple d'agriculture itinérante |
On peut distinguer un phénomène séquentiel de caractère général: à mesure que l'accès à la terre devient plus difficile, les méthodes traditionnelles sont de moins en moins viables, et les agriculteurs finissent par essayer d'intensifier leurs pratiques (Olofson 1983, Raintree et Warner 1986). On constate d'ordinaire de petits apports complémentaires de main-d'oeuvre, et parfois de capital, sous forme d'engrais, d'herbicides, etc.. Dans certains cas, la sédentarisation de l'agriculture se traduit par l'élimination des arbres, mais parfois, le nouveau système agricole leur réserve une place.
Une pratique largement diffusée à un stade précoce de ce processus consiste à enrichir la jachère en facilitant l'installation, ou en plantant, des essences qui soit accélèrent la régénération de la fertilité du sol, soit donnent des produits directement consommables ou commerciaux. La culture d'Acacia senegal comme essence de jachère au Soudan et dans d'autres zones semi-arides d'Afrique est un bon exemple de pluralité d'emploi: c'est une légumineuse qui produit, en outre, de la gomme arabique pour la vente, du bois de feu, des fibres et d'autres produits d'usage domestique. Il existe d'autres exemples: l'exploitation du palmier babassou, qui donne des produits de subsistance et des produits commerciaux dans les systèmes d'agriculture itinérante qui occupent de vastes superficies dans le nord-est du Brésil (May et al., 1985a); la plantation de rotin à des fins commerciales dans les rotations de culture sur brûlis, à Bornéo (Weinstock, 1983); les rotations aménagées pour obtenir de multiples produits des Ifugao aux Philippines (Conklin in Olofson 1983); et les systèmes agroforestiers cycliques à vocation commerciale qui se pratiquent dans diverses zones de l'Amazonie péruvienne (Padoch et al. 1985). Bien que les données chiffrées soient peu nombreuses en ce qui concerne les apports et les produits dans ces systèmes, on peut considérer qu'ils rémunèrent bien la main-d'oeuvre, vu qu'ils permettent de relever le revenu moyennant des accroissements minimes d'apports de main-d'oeuvre et des modifications mineures des systèmes de rotation originels (Raintree et Warner 1986).
A mesure que les pressions sur les terres obligent à passer à des systèmes de culture de plus en plus continus, on observe que diverses formes d'associations végétales peuvent être adoptées. En incorporant des essences qui enrichissent le sol dans les parcelles vivrières, on reproduit les fonctions de la jachère de façon durable. Il existe de nombreux exemples de stratégies de semi-jachère continue, par exemple le maintien d'Acacia albida dans les zones cultivées d'une grande partie de l'Afrique.
L'association de Sesbania sesban au maïs dans certaines zones de l'ouest du Kenya est elle aussi intéressante. Quand au bout de trois ans environ, le maïs ne pousse plus par excès d'ombrage, on laisse encore les Sesbania sur pied pendant un ou deux ans comme essence de jachère, puis on les abat pour produire du bois de feu, et le cycle recommence. Sur dix ans, on estime que la production de maïs à l'hectare n'atteint pas la moitié de celle d'un champ en culture pure; l'avantage, dans une zone qui connaît une pénurie de main-d'oeuvre, est que le travail est réduit de moitié, et que le rendement en maïs par unité de main-d'œuvre est supérieur - sans compter la production de bois de feu et la protection du sol qui sont ainsi assurées (Banque mondiale, 1986) (voir Tableau 34).
TABLEAU 34 Kenya: Aspects économiques de l'association agroforèstière de Sesbania sesban et du maïs
RENTABILITE DE LA CULTURE DU MAIS POUR LES PETITS EXPLOITANTS, NIVEAU TECHNOLOGIQUE I;
SANS ASSOCIATION AGROFORESTIERE
Taux de l'escompte | 15% | |
Marge actualis. | 16 414 shK/ha | |
M.O. actualis. | 976 j.t/an | |
Marge / M.O. | 16,81 shK/j.t |
Année | Campagne | Rendement maïs/ha (kg) | Valeur maïs/ha (shK) | Maïs: coût apports/ha (shK) | Marge brute/ha (shK) | Besoins de main-d'oeuvre | Année | Marge brute | M.O. totale. | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
(journées de travail/hectare) | |||||||||||
Maïs, semis | Maïs, récolte | Total, M. O. | |||||||||
1 | 1 | 1 200 | 2 556 | 561 | 1 995 | 68 | 35 | 103 | 1 | 3 533 | 199 |
2 | 960 | 2 045 | 507 | 1 538 | 68 | 28 | 96 | 2 | 3 451 | 197 | |
2 | 1 | 1 176 | 2 505 | 555 | 1 950 | 68 | 34 | 102 | 3 | 3 375 | 196 |
2 | 941 | 2 004 | 503 | 1 501 | 68 | 27 | 95 | 4 | 3 291 | 195 | |
3 | 1 | 1 152 | 2 455 | 550 | 1 905 | 68 | 33 | 101 | 5 | 3 210 | 194 |
2 | 922 | 1 964 | 494 | 1 470 | 68 | 27 | 95 | 6 | 3 137 | 193 | |
4 | 1 | 1 129 | 2 406 | 545 | 1 861 | 68 | 33 | 101 | 7 | 3 088 | 191 |
2 | 904 | 1 925 | 494 | 1 431 | 68 | 26 | 94 | 8 | 3 006 | 190 | |
5 | 1 | 1 107 | 2 358 | 540 | 1 818 | 68 | 32 | 100 | 9 | 2 926 | 189 |
2 | 885 | 1886 | 494 | 1 392 | 68 | 26 | 94 | 10 | 2 848 | 188 | |
6 | 1 | 1 085 | 2 310 | 535 | 1 775 | 68 | 31 | 99 | |||
2 | 868 | 1 848 | 487 | 1 362 | 68 | 25 | 93 | ||||
7 | 1 | 1 063 | 2 264 | 494 | 1 770 | 68 | 31 | 99 | |||
2 | 850 | 1 811 | 494 | 1 317 | 68 | 25 | 93 | ||||
8 | 1 | 1 042 | 2 219 | 494 | 1 725 | 68 | 30 | 98 | |||
2 | 833 | 1 775 | 494 | 1 281 | 68 | 24 | 92 | ||||
9 | 1 | 1 021 | 2 175 | 494 | 1 681 | 68 | 29 | 98 | |||
2 | 817 | 1 740 | 494 | 1 246 | 68 | 24 | 92 | ||||
10 | 1 | 1 000 | 2 131 | 494 | 1 637 | 68 | 29 | 97 | |||
2 | 800 | 1 705 | 494 | 1 211 | 68 | 23 | 91 |
Dans l'hypothèse où le rendement du maïs diminue de 2 pour cent chaque année sous ce régime en raison des pertes en sol et de l'appauvrissement en nutriments. Les rendements de la seconde saison des pluies sont estimés à 80 pour cent de ceux de la première campagne.
RENTABILITE DE LA CULTURE DU MAIS POUR LES PETITS EXPLOITANTS, NIVEAU TECHNOLOGIQUE I;
ASSOCIATION AGROFORESTIERE MAIS/SESBANIA
Taux de l'escompte | 15% | |
Marge actualis. | 7 545shK/ha | |
M.O. actualis. | 432 j.t/an | |
Marge / M.O. | 17,45 shK/j.t |
Année | Campagne | % en sesbania | % en maïs | Incrément N2 disp./ha (kg) | Rend. maïs/ha (kg) | Val. maïs/ha (shK) | Coût intrants maïs/ha (shK) | brute/ha (shK) | Marge | Besoins de main d'œuvre | totale | Année | Marge brutes | M.O. totale | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Maïs | Sesbania | ||||||||||||||||
Semis | Récolte | Plantation | Eclaircissage | Coupe | |||||||||||||
1 | 1 | 0 | 100 | 0,0 | 1 200 | 2 556 | 561 | 1 995 | 68 | 35 | 5 | 5 | 0 | 113 | 1 | 3 320 | 194 |
2 | 20 | 80 | 1,8 | 797 | 1 697 | 372 | 1 325 | 55 | 23 | 0 | 4 | 0 | 81 | 2 | 2 065 | 108 | |
2 | 1 | 40 | 60 | 3,6 | 774 | 1 649 | 296 | 1 352 | 41 | 22 | 0 | 3 | 0 | 66 | 3 | 679 | 33 |
2 | 60 | 40 | 5,4 | 427 | 910 | 198 | 712 | 27 | 12 | 0 | 2 | 0 | 42 | 4 | 0 | 0 | |
3 | 1 | 80 | 20 | 7,2 | 276 | 588 | 99 | 489 | 14 | 8 | 0 | 1 | 0 | 23 | 5 | 0 | 32 |
2 | 90 | 10 | 8,1 | 112 | 239 | 49 | 190 | 7 | 3 | 0 | 0,5 | 0 | 11 | 6 | 3 821 | 197 | |
4 | 1 | 100 | 0 | 9,0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 7 | 2 065 | 108 |
2 | 100 | 0 | 9,0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 8 | 679 | 33 | |
5 | 1 | 100 | 0 | 9,0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 12 | 12 | 9 | 0 | 0 |
2 | 100 | 0 | 9,0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 20 | 20 | 10 | 0 | 32 | |
6 | 1 | 0 | 100 | 10,5 | 1 463 | 3 115 | 619 | 2 496 | 68 | 42 | 0 | 5 | 0 | 115 | |||
2 | 20 | 80 | 1,8 | 797 | 1 697 | 372 | 1 325 | 55 | 23 | 0 | 4 | 0 | 81 | ||||
7 | 1 | 40 | 60 | 3,6 | 774 | 1 649 | 296 | 1 352 | 41 | 22 | 0 | 3 | 0 | 66 | |||
2 | 60 | 40 | 5,4 | 427 | 910 | 198 | 712 | 27 | 12 | 0 | 2 | 0 | 42 | ||||
8 | 1 | 80 | 20 | 7,2 | 276 | 588 | 99 | 489 | 14 | 8 | 0 | 1 | 0 | 23 | |||
2 | 90 | 10 | 8,1 | 112 | 239 | 49 | 190 | 7 | 3 | 0 | 0,5 | 0 | 11 | ||||
9 | 1 | 100 | 0 | 9,0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |||
2 | 100 | 0 | 9,0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | ||||
10 | 1 | 100 | 0 | 9,0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 12 | 12 | |||
2 | 100 | 0 | 9,0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 20 | 20 |
Sesbania est établi par semis direct la première année: se multiplie naturellement à partir de la sixième année sans autre intervention. Sesbania fixe en théorie l'azote à raison de 300 kg/ha/an, valeur à comparer à celle des autres légumineuses, comme Leucanea (500 kg/ha/an). On compte que 3 pour cent de cet azote peut être utilisé par le maïs. L'apport de N2 aux sols accroît le rendement de 40 kg par d'azote. Ici, on a compté qu'un kg d'azote accroissait le rendement de 25 kg à l'ha. Il faut des apports de M.O. pour éclaircir sesbania. Les champs seront laissés en jachère les 4cme et 5cme années. La main-d'oeuvre pour la coupe de sesbania est évaluée à 0,4 journée de travail par mètre cube, pour 80 m3 à enlever à l'hectare. L'association avec sesbania devrait aider à limiter les pertes en sol et l'appauvrissement en nutriments. Le bois de feu obtenu peut contribuer notablement aux besoins de bois des ménages. Il n'est pas tenu compte de la valeur du bois de feu parce que celui-ci n'est guère commercialisé dans la zone de référence. Source: Banque mondiale 1986
TABLEAU 35 Evaluation de la culture en allées, association agroforestière Leucanea-maïs1
Différence par rapport au témoin | Rendement heures de travail | Rentabilité nette dollars E.-U./ha | Rapport bénéfices/coûts ha. | ||
---|---|---|---|---|---|
rendement kg/ha | h. travail/ha | ||||
Témoin, maïs | - | - | 3,3 | -438 | - |
Azote | 752 | 46 | 4,1 | -371 | 0,79 |
Herbicide | 453 | -173 | 5,9 | 480 | 1,18 |
Herbicide-azote | 1 123 | -127 | 6,8 | 146 | 1,10 |
Leucanea | 1 407 | 259 | 4,2 | 496 | 1,32 |
Leucanea-azote | 1 358 | 302 | 3,9 | 130 | 1,05 |
Leucanea-herbicide | 1 451 | 152 | 4,5 | 139 | 1,07 |
Leucanea-azote-herbicide | 1 892 | 199 | 4,8 | -58 | 0,97 |
1 En comparaison d'autres traitements du maïs, à partir des expériences de culture en allées de l'IIAT en 1981/82; valeurs moyennes par campagne.
Source: données de Ngambeki, 1985
On a récemment porté une attention paticulière á un système intensif de «jachère continue», connu sous le nom de cultures en allées: on pratique des cultures de plein champ entre des rangées d'arbres ou de buissons assurant le recyclage des nutriments, cette végétation ligneuse étant régulièrement élaguée pendant la période de végétation pour réduire l'ombrage et protéger les cultures vivrières par un paillis vert. On trouvera résumés au Tableau 35 les résultats d'une analyse économique des données produites dans le cadre des recherches sur les cultures en allées, réalisée par l'Institut international d'agriculture tropicale (IIAT) au Nigéria. Ces recherches ont porté sur l'association du maïs et de Leucanea leucocephala, et sur l'application d' engrais azotés et d'herbicides. De toutes les associations possibles, c'est celle avec Leucanea qui donne les meilleurs résultats économiques et les meilleurs rendements de maïs, mais elle exige plus d'apports de main-d'œuvre que le maïs en culture pure ou que l'application d' engrais et d'herbicides. La rémunération de la main-d' œuvre est cependant meilleure en culture associée qu'en culture de maïs pure (Ngambeki 1985).
II existe de réelles possibilités d' améliorer l' efficacité des pratiques agroforestières à faible intensité d' apports adoptées par les agriculteurs pour intensifier progressivement leurs systèmes d'exploitation. II faudra néanmoins valider les résultats des recherches en conditions réelles sur l'exploitation agricole pour s'assurer que: les disponibilités de main-d'œuvre et les compétences techniques des agriculteurs sont suffisantes en pratique; les coûts et les gains sont compatibles avec ce qu' attendent les intéressés; et les bilans expérimentaux apports/produits sont reproductibles sur l' exploitation (Balasubramanian 1983, Hoekstra, sans date).
On dispose aussi de données économiques sur quelques autres pratiques agroforestières intermédiaires. Une étude sur les planteurs de cocotiers d'une région du Sir Lanka montre par exemple que les cultures associées améliorent la rentabilité nette. Les cultures à forte intensité de travail comme le bétel, le gingembre et le curcuma sont souvent choisies par les petits agriculteurs disposant de main-d' œuvre familiale, tandis que les cultures qui rémunèrent mieux le travail, comme le poivrier et le caféier, sont plus appréciées des plus gros exploitants qui ont besoin de salariés (Karunanayake 1982). Une fois de plus, on constate donc que les agriculteurs adaptent leurs objectifs de production aux ressources disponibles.