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4.3 Analyse

Il est difficile de tirer des conclusions générales quant à la viabilité d'un SLCG donné, car chaque groupe a dû faire face à des contraintes et à des facteurs de transformation différents. Dans certains cas, le système tout entier s'est effondré. Dans d'autres, il continue d'exister et d'absorber les pressions extérieures. En général, un système n'est plus viable lorsque les connaissances et les techniques sur lesquelles il se fondait ne sont plus utilisées, et que seuls quelques membres de la communauté en gardent encore le souvenir. Là où le système social traditionnel s'est effondré, il n'existe plus de coordination au sein du groupe pour l'application des techniques de gestion et des systèmes d'action collective, comme les réserves de pâturage, la mise en défens et les techniques d'aménagement. Mais l'attitude varie aussi de groupe à groupe en ce qui concerne le désir de voir réinstituer ces règlements. Par exemple, les Somali et les Berbères voudraient réinstituer l'ancien système, alors que pour les Pokot, ce serait un effort inutile.

CADRE 4.14

Les habitants du Lesotho semblent avoir conservé leur système de réserves.177 Mais la plupart des groupes les ont perdus. Chez les Pokot, les réserves traditionnelles de pâturage n'ont pas été utilisées depuis la fin des années trente ou le début des années quarante.178 Un programme de rotation introduit par les autorités coloniales, et qui plus tard est devenu le programme pastoral de Batei, semblait bien fonctionner au début, mais il s'est effondré vers la fin des années soixantedix.179 Les anciens des Pokot se plaignent que les "kaplelach" (la génération des 25 à 35 ans) qui ont reçu une éducation moderne, refusent de suivre les normes traditionnelles et veulent installer des enclos privés.180 En outre, avec l'écroulement de l'autorité traditionnelle, le chef Pokot local ne peut plus en référer à une autorité énigmatique et distante, et hésite souvent à imposer des règles qui concernent ses voisins.181 Les cultures sont en train d'envahir les régions réservées des Berbères du Maroc.182 En outre, plusieurs longues périodes de sécheresse sont venues s'ajouter à la crise générale de l'autorité et du respect des règlements traditionnels, et ont contribué à l'effondrement du système des réserves. La majorité des Berbères croient que les réserves sont utiles, mais ils disent que, de nos jours, il est "impossible de se mettre tous d'accord sur quelque chose.183 De même, le déclin de toute coopération aux niveaux supérieurs parmi les Somali a fait que le projet initié par le Protectorat britannique pour la création de resserves de pâturage qui devait laisser reposer les parcours et protéger les sols n'a été bien reçu par les populations que dans le mesure où il s'agissait de protéger les droits de pâturage d'un seul clan; les habitants n'ont pas été favorables au projet lorsqu'il a été question d'assurer de tels droits à plusieurs clans.184 Chez les Il Chamus, le système des réserves traditionnelles a cessé de fonctionner: d'une part, le pouvoir politique des anciens s'est affaibli et de l'autre, les hommes jeunes chargés de faire respecter les règles entreprennent de plus en plus des activités non pastorales . 185

Chez les Luo du Kenya, le système traditionnel des réserves est en train de disparaître à cause des nombreuses appropriations privées par les cultivateurs locaux qui profitent de la loi de 1963 sur les terres enregistrées (Registered Land Act).186 De même, les Masaï du Kenya sont en train de profiter du programme de ranchs collectifs pour s'approprier des terres comprises dans les réserves "olopololi" et les louer à des ranchs commerciaux pour l'engraissage de bétail destiné à la boucherie. En outre, certains Masaï ont commencé à construire des maisons sur les réserves traditionnelles de saison sèche. D'après certaines indications, il semble néanmoins que les habitants locaux commencent à réagir et même parfois à obliger ces nouveaux colons à quitter les réserves.187 La mise en valeur des ressources en eau a fait que des régions qui n'étaient jadis utilisées que pendant les sécheresses sont à présent utilisées chaque année.188 L'administration coloniale anglaise du Soudan avait tenté de réserver quelques hafirs et quelques pâturages dans l'Est du Butana pour les Lahawin et les Shukriya, mais ces réserves ont été maintenant abandonnées.189 Il faut en conclure que, sans une base traditionnelle, les réserves ne sont respectées que s'il y a intervention constante de la part des autorités publiques.

Par ailleurs, les changements sociaux et environnementaux rapides modifient sans cesse le rôle des systèmes traditionnels.190 Les conclusions que nous pouvons tirer aujourd'hui pour un groupe donné ne seront peut-être plus valables d'ici un an. La question se pose donc de savoir comment les agents de développement pourront évaluer la viabilité des techniques qu'ils songent peut-être à utiliser. Il serait bon, tout d'abord, de ne remplacer une institution locale qu'après avoir démontré qu'elle est inefficace et non adaptable.191 En d'autres termes, nous ne saurons si un système est effectivement viable que si nous essayons de l'utiliser ou de le remettre en fonction. Un modèle ou un schéma prospectif peut avoir une valeur indicative pour l'agent de développement, mais en définitive, les décisions doivent être prises dans chaque cas sur la base de l'expérience. La gestion des ressources communautaires exige de nos jours beaucoup plus d'autorité et ce n'est que par des recherches sur la situation socio-politique et écologique de chaque région concernée que nous pourrons apprendre dans quelle mesure les institutions locales sont capables de faire face à cette exigence.192

CADRE 4.15

Les lieux sacrés des Gabra, en Ethiopie, et les parcours qui les entourent sont actuellement utilisés en l'absence des Gabra par les Borana, éleveurs et mineurs de sel et de quartz. De temps en temps, les Gabra exigent la dévolution de leurs terres pour célébrer leurs anciens rites, mais les non Gabra s'y opposent et mettent ce droit en question. En outre, ces lieux sacrés se trouvent à présent à cheval entre différentes nations, ce qui engage les Gabra dans des conflits avec plus d'un gouvernement. A cause de l'emploi croissant fait actuellement de ces terres, de nombreuses espèces végétales sauvages seraient en voie de disparition dans les lieux sacrés.193 A Madagascar, les bosquets sacrés ne sont plus respectés autant qu'ils l'étaient; en effet, la scolarisation moderne fait que les gens ne croient plus aux superstitions et aux qualités mystiques qui jadis rendaient ces lieux sacrés. Le gouvernement malgache a cependant pu introduire avec succès l'idée de réserves, en les comparant aux bosquets sacrés (voir chapitre 5).

Chez les Kikuyu du Kenya, les bosquets sacrés n'ont plus la même importance religieuse et cérémoniale, à cause de l'effondrement du système des groupes d'âge et du grand nombre d'habitants convertis au Christianisme ou à Néanmoins, dans les années trente le Conseil local a pu prendre des mesures de défense de ces bosquets. Plus récemment, les communautés ont continué à protéger ces lieux et à les considérer inviolables, même lorsqu'ils ne sont plus utilisés pour des cérémonies religieuses.194 En 1951, les bosquets sacrés et les sanctuaires dédiés à la pluie des Tonga de Zambie étaient encore respectés195 mais nous n'avons pas de renseignements plus récents.

Les anciens systèmes ne sont pas tous intéressants, et leur redécouverte dans le contexte actuel n'est pas toujours souhaitable. Certaines stratégies traditionnelles, telles que les raids, l'esclavage et certains tabous vont à l'encontre des plans de développement et des attitudes modernes. Pour bien choisir les éléments qui sont viables et souhaitables, il faut qu'il y ait collaboration entre les populations locales et les agents du développement. La disparition de certains systèmes traditionnels, qu'elle soit désirable ou non, n'est peut-être pas réversible. Par exemple, l'égalité qui existait jadis chez beaucoup de peuples pasteurs a disparu pour être remplacée par des inégalités sans cesse croissantes de revenus; il ne sera pas facile de compenser ces écarts qui, d'ailleurs, sont souvent involontairement aggravés par certains projets de développement.

Les projets de développement les plus récents semblent indiquer que la condition préalable essentielle au développement pastoral est d'assurer aux sous-groupes traditionnels (clans, lignages, etc.) des droits de propriété officiels sur la terre et sur les ressources. S'il n'existe plus de groupes traditionnels, ces droits doivent être accordés à des associations nouvelles qui soient suffisamment viables et unifiées pour assurer le contrôle des ressources sur ces terres.196 S'il est vrai que le facteur de transformation le plus puissant est sans doute l'absence d'un régime de tenure des ressources, il ne faut pas oublier que son action est intensifiée par d'autres facteurs tels que l'accroissement démographique, l'épuisement des ressources et la scolarisation moderne. Pour encourager le renouveau des pratiques de gestion traditionnelles, il ne suffit donc pas de réinstituer les anciens modes de tenure. Des programmes supplémentaires sont indispensables, notamment:

- une planification effective de l'utilisation des terres, accompagnée des mesures nécessaires pour en assurer la mise en oeuvre;
- la réhabilitation des parcours;
- des programmes novateurs pour former des éleveurs locaux au rôle d'interprètes chargés de faciliter la communication entre les agents de développement et les populations locales,197 en ce qui concerne les notions scientifiques modernes et celles des SLCG;
- la formation de pasteurs traditionnels comme "conseillers techniques" des comités de gestion des ressources198; et, des mesures pour encourager les habitants à rester sur les parcours, tout en améliorant leur niveau de vie.

Notes de fin de chapitre

1. Stenning, 1959, p.229.
2. Gillespie 1966, p.19.
3. Benoit 1978, p.35.
4. Jacobs 1980, p.291.
5. Little 1987, p.197.
6. Stenning 1959, p.208.
7. Benoit 1978, p.35.
8. Gallais 1975, p.49.
9. Allan et al 1948, p.117.
10. Stenning 1959, pp.88,90.
11. Jacobs 1980, p. 275; Little & Brokensha 1987, p.197.
12. Campbell 1981, p.45.
13. Stenning 1959, p.222.
14. McDowell 1969, p.273.
15. Jacobs 1980, p.292.
16. Little & Brokensha 1987, pp. 194-196.
17. Homewood & Rodgers 1984, p.435.
18. Homewood & Rodgers, 1984, p.433.
19. Ware 1977, p.187.
20. Benoit 1978, p.35.
21. Abu-Lugod 1984, p.7.
22. Bedoian 1978, p.77.
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40. FAO 1972, p.7.
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123. Marchal 1983, pp. 171-174.
124. Horowitz & Badi 1981, p.20.
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158. Little 1984, p.12.
159. Artz et al 1986.
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161. Barrow 1988, p.20.
162. Almagor 1978 et Devitt 1981 cité dans Devitt 1982.
163. Noronha & Lethem 1983, p.3.
164. Wilson et al 1984, pp. 243-244.
165. Tubiana & Tubiana 1977, p.94.
166. Jacobs 1980, p.285.
167. Abu-Lughod 1984, p.9.
168. Little & Brokensha 1987, p.204.
169. Jacobs 1980, p.285.
170. Spencer 1965, p.278.
171. Behnke 1985, pp. 15-18.
172. Behnke 1988, p.24.
173. Wilson et al. 1984, p.249.
174. Ahmed 1978, p.12.
175. Bernus 1974, p.123.
176. Lewis 1961, p.35.
177. Devitt 1982, p.17; Odell 1982, p.5.
178. Schneider 1953 cité dans Ostberg 1988, pp. 62-64.
179. Galle 1986 cité dans Ostberg 1988, pp.62-64.
180. Ostberg 1988, pp. 62-64.
181. Ostberg 1988, pp. 64-65.
182. Sandford 1984, p.10.
184. Lewis 1961, p.51.
185. Little 1984, p.206.
186. Coldham 1978, p.95.
187. Little & Brokensha 1987, p.199.
188. Western 1982, p.205.
189. Morton 1988, p.6.
190. Richards 1980, p.182.
191. Little 1984, p.206.
192. Odell 1982, p.7.
193. Schlee 1987, pp. 3-12.
194. Brokensha & Castro 1987, pp. 20-21
195. Colson 1951, p.160.
196. Bernus 1981; Ostberg 1988, p.65.
197. Stenning 1959, p.245.
198. Swift & Maliki 1984, p.723.


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