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Chapitre 1
Régimes fonciers, gestion des ressources et diagnostic rapide

Pourquoi étudier les régimes fonciers?

Le régime foncier est un élément essentiel dont doivent tenir compte tous les projets ou toutes les activités visant à améliorer la gestion des ressources naturelles au niveau de la communauté locale. Par «régime foncier», on entend ici «l'ensemble des droits qu'une personne physique ou morale, privée ou publique, peut détenir sur la terre et les arbres» (Bruce, 1989). Cela comprend à la fois les questions de propriété et les questions d'accès. Les rapports fonciers au sein des communautés rurales sont plus complexes que ceux auxquels sont habitués les agents de développement, qui bien souvent sont d'origine urbaine ou ont reçu une formation théorique occidentale. L'étude d'un système foncier peut englober certains aspects de la législation officielle, mais aussi des éléments coutumiers ou traditionnels.

Ces régimes sont souvent extrêmement complexes: une seule personne ne détient pas forcément tous les droits sur une parcelle de terrain et sur les ressources que l'on peut en tirer, car le «faisceau de droits» est divisé. La division peut se faire en fonction des ressources, la terre étant la propriété de l'un, les arbres d'un deuxième et l'eau d'un troisième. Le système d'exploitation peut aussi être un critère de division: un individu peut être considéré comme le propriétaire d'un arbre et être l'unique personne à pouvoir l'abattre ou à ramasser du bois de feu, mais nombreux sont ceux qui ont le droit de ramasser ses fruits ou ses feuilles. Le facteur saisonnier peut encore intervenir: une parcelle appartient à un paysan pendant la saison des pluies et lui seul la cultive, mais en saison sèche l'accès en sera moins restreint, car cette terre se transforme en pâturage. Ces systèmes fonciers se caractérisent par leur possibilité d'adaptation, car avec le temps ils évoluent en fonction de l'évolution des conditions écologiques et/ou socio-économiques.

 L'influence des questions foncières sur
les activités des projets
 
  1. Le système foncier détermine l'accès aux ressources

    • Dans le cadre d'un projet visant à encourager les femmes à cultiver des jardins, on a constaté que celles-ci avaient du mal à obtenir de bonnes terres.
    • Pour un projet d'irrigation locale, l'obstacle a été la sécurité foncière qui restait l'exclusivité des classes nobles, alors que les anciens esclaves n'avaient de droits fonciers que par l'intermédiaire de leurs maîtres.

  2. Le système foncier a une influence sur la volonté de participer aux activités du projet

    • Des projets de plantation d'arbres dans les champs des villageois risqueront de rencontrer une grande défiance, si l'Etat est propriétaire de tous les arbres et si celui qui a planté l'arbre n'a même pas le droit de l'abattre.
    • Dans de nombreuses communautés, et en particulier quand la terre est répartie de façon très inégale, les paysans ont fréquemment recours à la location de terres. Or, souvent, il est interdit d'y planter des arbres.
    • Il sera difficile de trouver des participants à un projet d'amélioration de terres collectives si l'on n'indique pas clairement les bénéficiaires de celles-ci.

  3. Le système foncier a des implications sur la distribution des bénéfices générés par le projet

    • Dans certaines communautés, même si une femme plante et arrose un arbre fruitier jusqu'à sa maturité, c'est à l'homme chef du ménage que reviendront les fruits de son travail.
    • Un éleveur qui faisait paître ses bêtes sur des terres pendant la saison sèche pourra perdre ses droits si la terre est désormais cultivée en toute saison, grâce à un système d'irrigation permettant des cultures potagères et fruitières.
    • Un projet de construction de petits barrages, de digues ou d'autres infrastructures visant à valoriser certaines ressources risquera de renforcer la mainmise des plus riches et de pénaliser ceux qui jusqu'alors exploitaient ces ressources.

Tout projet consacré aux ressources naturelles qui n'analyse pas le fonctionnement des règles foncières au sein d'une communauté risque de se heurter à des difficultés sérieuses, car les questions foncières sont présentes à tous les stades d'un projet: au début, elles déterminent les conditions d'accès des différentes personnes aux ressources nécessaires à la participation au projet: en cours de projet, la volonté des habitants de participer pleinement aux activités prévues dépend des droits dont ils disposent sur les ressources, et donc de leur motivation à investir ou à protéger ces ressources. Souvent, les règles foncières déterminent les bénéficiaires du projet au cours de son déroulement. Il serait dangereux d'imaginer que les systèmes fonciers sont statiques et de ne pas reconnaître et accepter l'adaptabilité des systèmes locaux. Les intervenants extérieurs ont souvent eu tendance à favoriser des systèmes fonciers plus formels et légalistes qui semblaient adéquats sur le moment, mais qui n'ont pu s'adapter aux changements des conditions sociales et écologiques.

Plus l'information est recueillie tôt dans le cycle du projet, meilleur est le résultat. L'idéal est de le faire au cours de la planification, afin d'éviter certaines erreurs dès le début. Il est cependant fréquent que de nouvelles informations s'avèrent nécessaires au fur et à mesure que se déroule le projet. Il n'est jamais trop tard pour le faire, si cela permet de comprendre les difficultés rencontrées et de chercher des solutions à ces problèmes.

Qu'est-ce qu'un diagnostic rapide?

Nous utilisons dans ce manuel la méthodologie du diagnostic rapide (DR), qui regroupe une série de méthodes conçues pour obtenir rapidement des informations pratiques sur des problèmes de développment au sein de communautés locales. Ce groupe de méthodes de diagnostic rapide a des caractéristiques communes, comme la triangulation (voir l'encadré de la page 8), qui permet non seulement de réduire les possibilités de distorsion éventuelle des résultats de la recherche, mais aussi d'enrichir l'information obtenue au cours de l'étude. Plutôt que d'utiliser exclusivement des questionnaires établis à l'avance, toutes les méthodes de diagnostic rapide ont recours à une vaste gamme d'outils et de techniques de collecte d'information, par exemple l'élaboration de cartes et de diagrammes, les exercices de classification et les entretiens semi-structurés avec des groupes de personnes et des individus.

Une des principales différences entre les différentes méthodes de diagnostic rapide a trait au contrôle du processus de recherche. Dans le cas de la méthode appelée couramment diagnostic rural rapide (DRR), cette responsabilité incombe souvent aux intervenants extérieurs. En général, une équipe de recherche pluridisciplinaire choisit les objectifs de l'étude, mène la recherche sur le terrain, se charge de l'analyse des résultats et décide souvent du sort des informations. En revanche, le diagnostic rural participatif3 (DRP) confie la gestion du processus de recherche à la communauté locale. Le rôle des intervenants extérieurs se limite tout d'abord à familiariser les membres de la communauté avec les méthodes utilisées et, par la suite, à les aider pour les appliquer. Dans ce deuxième cas de figure, ce sont les villageois eux-mêmes qui choisissent les objectifs de l'étude, qui collectent et analysent l'information et décident en fin de compte de son utilisation. Après avoir été initiés à ces techniques, ils décideront s'ils souhaitent la participation d'intervenants extérieurs.

 Triangulation 
Un chercheur doit toujours être conscient des risques de distorsion. Si l'information est biaisée, les résultats ne refléteront pas la réalité, parce qu'on aura privilégié telle ou telle situation ou perspective. Une étude qui laisse de côté le point de vue des femmes sera biaisée. Une autre qui se contente d'étudier les difficultés des villages proches de la route sera faussée au plan géographique. Une étude qui n'approfondit pas les questions importantes péchera par sa superficialité, car les personnes interrogées se contenteront de dire ce qui, selon elles, fait plaisir à l'enquêteur.
La triangulation est un des principes du diagnostic rapide qui vise à garantir des résultats aussi exacts et objectifs que possible, car elle consiste à étudier tout problème au moins sous trois angles différents. Au cours de l'étude, la triangulation fonctionne à trois niveaux:
  1. au niveau des membres de l'équipe, en présentant au moins trois points de vue distincts: homme/femme, spécialiste des sciences sociales/spécialiste des questions techniques, intervenants extérieurs/membres de la communauté, jeunes/personnes âgées, etc.;

  2. au niveau des personnes interrogées, en privilégiant la diversité des interlocuteurs et en s'assurant que toute information recueillie provient d'au moins trois sources différentes: hommes/femmes, jeunes/personnes âgées; différents groupes ethniques, etc.;

  3. au niveau des méthodes de collecte d'information, en étudiant le même problème à l'aide d'outils différents: entretiens historiques, élaboration de cartes et de calendriers saisonniers, etc.

De façon schématique, le diagnostic rural rapide donne l'impression d'être mené par des personnes ne faisant pas partie de la communauté, alors que le diagnostic rural participatif appartient davantage à la communauté locale. En réalité, cette distinction n'est pas si nette. Il existe en fait un certain nombre de points communs entre les deux. Des équipes efficaces qui effectuent des diagnostics ruraux rapides, même si elles sont composées d'intervenants extérieurs, tiennent à établir des relations solides avec les communautés locales (voir l'encadré suivant), afin que l'étude soit réellement le fruit d'une collaboration, et pour cela elles recherchent une participation communautaire à tous les stades du projet. Les outils du diagnostic rapide visent à encourager cette forme de participation locale au cours des processus de collecte et d'analyse de l'information.

On sera à mi-chemin entre diagnostic rural rapide et diagnostic rural participatif lorsqu'un intervenant extérieur démarrera le processus, mais demandera par la suite à la communauté locale de désigner certains de ses membres pour s'intégrer activement à l'équipe. Quand la communauté locale se sera familiarisée avec les techniques de diagnostic, elle pourra assumer plus de responsabilités. D'ailleurs, au sein de nombreuses études de DRP, on retrouve des intervenants extérieurs, et c'est l'attitude et le comportement de ceux-ci qui feront pencher ou non la balance vers une plus grande responsabilisation de la communauté locale dans la gestion du projet.

 La primauté des relations humaines 
La plupart des utilisateurs chevronnés de diagnostic rapide seraient certainement d'accord pour dire que le facteur le plus important, permettant d'obtenir de bonnes informations à partir de ces techniques, est l'attitude des chercheurs et les relations humaines qu'ils auront nouées au sein de la communauté locale. Robert Chambers, l'un des «pères» du diagnostic rapide explicite ce qu'il entend par «primauté des relations humaines» (Chambers, 1991).
Les relations humaines sont la clé de la participation. Au premier abord, on peut s'étonner qu'il ait fallu attendre 1990 pour «découvrir» la richesse des connaissances, la créativité et la capacité analytique des villageois, mais si l'on considère l'attitude et le comportement des intervenants extérieurs, et leurs présomptions initiales, on ne s'étonne plus. En effet, ils ont été conditionnés à croire que les villageois sont ignorants, et au cours des entretiens ils se contentent de poser des questions rapides, ne cherchent pas à aller au-delà des premières réponses et n'hésitent pas à interrompre. Une grande partie du problème vient de la façon dont nous menons les entretiens et sermonnons nos interlocuteurs. L'ignorance des populations rurales n'est en fait que le reflet de notre propre ignorance, car nous sommes incapables de les laisser s'exprimer, de partager et approfondir leur savoir. Ce qui fait défaut, ce sont les attitudes et les comportements qui permettent d'établir ces relations humaines. Parmi ceux-ci, on peut citer:
  • la participation aux activités du village
  • le respect pour les villageois
  • une écoute attentive à ce que les villageois ont à dire et à montrer
  • la patience (disposition à se promener, à prendre son temps et à ne pas interrompre les gens)
  • la modestie
  • l'utilisation de méthodes et matériels qui incitent les villageois à s'exprimer et à analyser leurs connaissances.

On commence à voir des exemples de DRP dans lesquels les communautés locales prennent complètement en charge le projet. Dans le sud de l'Inde, par exemple, une organisation non gouvernementale (ONG) locale avait familiarisé les habitants d'une communauté aux techniques du diagnostic rural participatif, afin d'étudier les problèmes du village et de concevoir des solutions. Quelque temps après, les villageois ont fait passer un message à l'ONG, expliquant qu'ils avaient prévu d'organiser un DRP la semaine suivante, mais, ajoutaient-ils, «cela à titre d'information, votre présence n'étant pas nécessaire».

Un grand nombre de facteurs contribuent à déterminer si une étude rentre plutôt dans la catégorie du diagnostic rural rapide ou du diagnostic rural participatif. La plupart des lecteurs de ce manuel sont des intervenants extérieurs, qui n'appartiennent pas complètement à la communauté locale. Il est donc probable qu'au départ le processus de recherche n'appartiendra pas totalement aux villageois, et il est bon que l'intervenant extérieur réfléchisse un peu à la façon dont il envisage le développment du projet. Son équipe mènera-t-elle l'enquête (ce qui correspond davantage à une forme de diagnostic rural rapide), ou bien va-t-elle chercher à former la communauté locale qui pourra alors prendre la relève (ce qui correspond plus alors à un diagnostic rapide participatif)?

Nombreuses sont les raisons qui mènent à collecter des informations sur la gestion des ressources et les régimes fonciers, mais il en existe deux qui reviennent fréquemment: i) les villages pourront préparer des plans de gestion pour mieux utiliser leurs ressources et ii) les législateurs et les autorités nationales seront ainsi mieux informés et prendront des décisions plus éclairées sur les questions foncières et la mise en valeur des ressources.

Dans le premier cas, il est bon d'encourager les villageois à mener l'enquête dans le cadre d'un diagnostic rapide participatif aussitôt que possible. Cela implique la maîtrise villageoise du processus de collecte et d'analyse de l'information. Les solutions éventuelles seront certainement plus viables que si le processus avait été conduit par des intervenants. En revanche, quand il s'agit de recueillir des informations en vue de réformes politiques, une démarche plus proche du diagnostic rapide rural permet d'obtenir des informations provenant de sites divers. En fait, un des objectifs de ces études est de familiariser les décideurs extérieurs avec les réalités locales.

Figure 1. Organisation d'un diagnostic rapide

Figure 1

La figure 1 montre les trois phases du diagnostic rapide. La première phase est la phase de préparation, au cours de laquelle sont définis les objectifs de l'étude. On procède au choix du site et de l'équipe; les informations de base sont recueillies, et on règle les questions logistiques pour le travail de terrain. La deuxième phase couvre l'étude sur le terrain, pendant laquelle l'équipe, logée dans le village où se déroule le travail, se consacre à la collecte d'informations et prend les premiers contacts pour l'analyse préliminaire. C'est au cours de la troisième phase que toute l'équipe réfléchira et analysera soigneusement ces informations pour savoir comment les utiliser au mieux. Dans le cas d'un diagnostic rural participatif, surtout si l'on envisage un plan d'action communautaire, l'analyse complète se déroule dans le village, et la communauté locale y participe de façon active. Pour un diagnostic rural rapide, l'analyse initiale se fera au sein de la communauté locale, qui vérifie et étudie les informations recueillies, mais, en général, une partie de l'analyse finale se fera après que l'équipe a quitté le village, quand il sera possible de comparer et d'analyser des données provenant de sites différents.

Les trois chapitres qui suivent décriront tour à tour ces trois phases du diagnostic rapide: la préparation, la collecte d'informations et l'analyse.


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