Introduction
Dépendance de la population rurale à légard des produits de la forêt
Contraintes et conditions
Le secteur du développement économique a été ces trente dernières années le théâtre dune intense activité. Gouvernements et institutions internationales et bilatérales ont beaucoup investi dans la poursuite de la croissance économique. Les institutions internationales se sont agrandies, leurs effectifs ont connu une augmentation quasi exponentielle tandis quelles ont envoyé mission sur mission dexperts dune sorte ou de lautre dans le Tiers monde pour en aider les pays à développer leurs économies.
Pourtant, pour beaucoup de ces pays, la faiblesse du développement reste alarmante. Ils sont encore trop en proie à la pauvreté, au sous-emploi, au chômage, et à la malnutrition. A la campagne comme à la ville, le lot des pauvres sest généralement aggravé, tandis que les quelques gains en matière de croissance économique se sont injustement répartis et que lécart entre riches et pauvres sest creusé dans bien des pays du Tiers monde, comme entre pays développés et en développement.
Compte tenu des politiques et programmes actuels, le sort des pauvres est peut-être plus tragique, plus pernicieux, plus désespéré à la campagne quà la ville. Les villes posent en effet des problèmes concentrés et aigus dont ont conscience à tous instants les hommes politiques et les administrateurs qui y vivent. Des solutions de fortune peuvent y être apportées sous forme dusines, dhôpitaux, décoles, ainsi de suite, et il est toujours possible dinvestir des grosses sommes dargent dans une zone circonscrite, facile à inspecter et à contrôler. En revanche, les problèmes que pose la campagne sont diffus et chroniques et souvent perçus du seul expert. Pour remédier à la situation en milieu rural, il faut souvent étaler les investissements sur de vastes zones, ce qui rend malaisé la conception, lexécution et lévaluation de programmes. Il se produit en outre un phénomène de trop-plein en vertu duquel lexcès de pauvreté à la campagne se déverse sur la ville par le truchement des migrations. Cest pourquoi les gouvernements tendent à investir essentiellement dans le développement urbain.
Dune manière générale, le problème de la pauvreté rurale tient essentiellement à la croissance de la population et à celle de ses aspirations. Tant que les populations restaient longtemps stables, le mode de vie qui sinstaurait pour en assurer la subsistance permettait de produire suffisamment pour satisfaire les exigences perçues. Néanmoins, la plupart des pays ayant connu assez récemment une période de croissance démographique rapide, il est devenu impossible de tirer des terres disponibles une production suffisante à laide des méthodes traditionnelles. Dans le même temps, la diffusion de linformation a amené les gens de la campagne à exiger plus et à réclamer les avantages dont profitent, ils le savent maintenant, beaucoup de citadins.
Dans les régions très peuplées, beaucoup de ruraux ont sacrifié leurs forêts, le bois étant moins indispensable que la nourriture (encore quà la longue la disparition des terres boisées risque de nuire à la production agricole). Cette pratique a souvent mené à lérosion et acculé lagriculture à de mauvaises terres. Cest ainsi quon a paré temporairement aux pénuries alimentaires en effritant le capital biologique des arbres et des sols et en ne laissant plus quun maigre héritage pour la production future quelle quelle soit.
A lautre extrême on trouve des collectivités humaines dispersées dans les forêts tropicales. Les effectifs de ces populations ont bien souvent diminué sous leffet de maladies importées, tandis que leurs méthodes traditionnelles de production, cest-à-dire la chasse et la cueillette ou lagriculture itinérante, sont de plus en plus limitées par les activités de sociétés voisines et le recul du couvert forestier. Bien que ces collectivités habitent des régions richement dotées en capital biologique, elles nen tirent pas tous les avantages quelles pourraient. Il faut donc concevoir de nouveaux systèmes daménagement forestier si lon veut que ces collectivités se développent.
Les cas intermédiaires entre ces deux extrêmes sont nombreux. Au premier rang viennent les terres arides consacrées essentiellement au pâturage. Si les populations rurales qui les occupent restent peu à peu près constamment à un niveau faible, leffectif animal y augmente pour répondre à la demande croissante des villes voisines. Sous leffet combiné du pâturage, des feux et de la surexploitation, les forêts naturelles ont été réduites à létat de vestiges pitoyables. Le capital biologique des sols et de la végétation demeure proche de son niveau minimum. Le remède évident, cest-à-dire le reboisement de ces régions, est particulièrement difficile à appliquer et dépend surtout, pour ne pas dire entièrement, de la volonté de la collectivité de restreindre le pâturage.
La croissance démographique nest pas la seule cause profonde de la pauvreté rurale. Bien que, en effet, dans maintes parties du Tiers monde, les pressions de la population sur les ressources en terres soient assez faibles, de vastes secteurs de la population rurale nen restent pas moins pauvres car ils demeurent en marge du courant du développement. Ceci tient aux contraintes politiques et à la vétusté des structures du pouvoir et des institutions qui sont la cause fondamentale de léchec au développement affectant les couches rurales pauvres.
Dans les chapitres suivants, on sefforce de poser des principes applicables à un large éventail des situations physiques et sociales et de donner des exemples de techniques appropriées. Il est évident quon ne saurait dans le cadre de cette étude tenter de prendre en considération tous les aspects des problèmes complexes évoqués ci-dessus et qui sont au coeur de la pauvreté rurale. Aussi se bornera-t-on à trouver des solutions techniques, (par exemple à choisir les essences qui conviennent) les moyens de mieux organiser les collectivités pour mener à bien les opérations forestières, comment améliorer la diffusion des connaissances, ainsi de suite. A signaler néanmoins que, pour ce faire, il est nécessaire dadmettre un concept fondamental du développement rural qui déborde très largement sa composante forestière.
Le développement rural a avant tout pour but daider les ruraux défavorisés à compter sur leurs propres efforts pour améliorer leur sort. Il na de chance de réussir quautant quil reflétera la manière dont la population elle-même interprète ses besoins, ses problèmes et ses aspirations. La foresterie au service du développement communautaire doit donc être une foresterie qui sadresse à la population et lassocier à ses activités. Il doit sagir dune foresterie qui part de la base.
Bois de feu et bois doeuvre
Alimentation et environnement
Revenu et emploi
Pour les populations rurales du Tiers monde, les forêts ainsi que leurs biens et leurs services présentent un triple intérêt. En effet, les arbres fournissent du combustible et autres matériaux indispensables aux besoins fondamentaux du ménage et de la collectivité rurale. Les forêts et terres forestières dispensent la nourriture et la stabilité de lenvironnement nécessaire à une production vivrière continue. Les forêts et les produits forestiers peuvent être sources de revenu et demploi dans la collectivité rurale. Certains des avantages que la foresterie peut apporter à ces collectivités sont récapitulés au tableau 1 et examinés plus en détail dans les chapitres suivants.
Le bois constitue le principal combustible pour les populations rurales des pays en développement et même pour beaucoup de pauvres des villes. Dans maintes régions du Tiers monde, il est aussi le principal matériau pour construire abris et maisons.
Plus de 1 500 millions de gens se servent quotidiennement de bois pour faire cuire leurs aliments et assurer à leur foyer la chaleur indispensable. Cest le combustible le plus prisé parce quon peut sen servir et lécouler sans matériel compliqué, et parce quil ne coûte pas cher, souvent guère plus que le prix de son ramassage. Bien souvent, les pauvres nont pour tout combustible que le bois ou autres matériaux organiques disponibles sur place. Même lorsquil en existe, les combustibles commerciaux demandent lacquisition de fourneaux et autres accessoires que ne peuvent généralement pas sacheter les pauvres des campagnes. La croissance des populations rurales se traduit donc entre autres par des pressions toujours plus sensibles sur les ressources forestières locales et autres sources de matières ligneuses. Peu à peu, on passe de la collecte de bois mort à lébranchement des arbres, à leur abattage, à la destruction totale du couvert forestier, à lenlèvement de la matière organique dans le sol et à la longue au déracinement des souches et à lélimination des arbustes. Puis on en vient à se servir comme combustibles des résidus agricoles et de la bouse animale, au détriment de la structure et de la fertilité du sol.
TABLEAU 1. AVANTAGES DE LA FORESTERIE POUR LES COLLECTIVITES RURALES
Produits |
Avantages |
Combustible |
Dutilisation peu coûteuse |
Matériaux de construction |
Dutilisation peu coûteuse |
Nourriture, fourrage, pâturage |
Protègent les terres agricoles contre
lérosion du vent et de leau |
Produits commercialisables |
Accroissement des revenus de lexploitant et (ou) de la
collectivité |
Matières premières |
Approvisionnement des entreprises artisanales et des petites
industries locales (plus les avantages découlant des produits
commercialisables) |
A la longue, cette pénurie de bois de feu peut nuire à létat nutritionnel de la population. Cest ainsi que dans certaines parties de lAfrique de lOuest, les gens doivent se contenter dun repas cuisiné par jour, que dans les hautes terres du Népal seuls sont cultivés les légumes qui peuvent se manger crus et que, en Haïti, lobstacle majeur à lintroduction, dans les régions montagneuses pauvres en bois, de nouvelles cultures vivrières possédant une meilleure valeur nutritive tient à ce que ces dernières demanderaient plus de cuisson.
Aujourdhui, près de 200 millions de personnes vivent dans les zones forestières tropicales où elles pratiquent la culture sur brûlis (agriculture itinérante) sur quelque 300 millions dhectares de terres forestières pour assurer leur subsistance quotidienne. Dans certaines parties dAsie du Sud et du Sud-Est, cette forme dutilisation des terres sétend sur environ 30 pour cent de la superficie forestière officiellement déclarée. Les systèmes traditionnels de lagriculture itinérante qui prévoyaient une longue période de jachère sous forêt pour rétablir la fertilité des sols qui ne se prêtaient aux cultures que pendant un nombre limité dannées, ont quasiment disparu. Les pressions démographiques croissantes ainsi que la migration des gens sans terres vers les zones forestières ont entraîné un tel raccourcissement de la période de jachère quà lheure actuelle elle ne suffit ni pour rétablir la fertilité du sol ni pour recréer une production forestière utile.
On constate des tendances analogues dans les savanes boisées plus claires des zones plus arides. Les problèmes auxquels se heurte la production de la gomme arabique au Soudan, problèmes évoqués en annexe 2, tiennent beaucoup aux pressions qui sexercent pour mettre en culture davantage de terres au détriment de la période de jachère sous les Acacia. Dans lintérêt futur des zones dont la productivité ne saurait être maintenue indéfiniment par lagriculture, il convient de prévoir des systèmes de production alliant larboriculture à dautres cultures.
Outre la production végétale, les collectivités rurales peuvent, par bien dautres moyens, tirer de la nourriture des forêts dans nimporte quelle partie du monde. Le gibier de brousse et le miel constituent des sources dalimentation supplémentaires, tout comme une grande variété de tubercules, de fruits et de feuilles. La production piscicole dans les forêts marécageuses ou de mangrove peut aussi être une importante source de protéines, ces forêts offrant un habitat des plus précieux pour la protection et la production de poisson.
Dans bien des régions, les arbres sont source de fourrage. Au Népal par exemple, les feuilles entrent pour 40 pour cent environ dans lalimentation annuelle dun buffle et pour 25 pour cent environ dans celle dune vache. Dans les zones forestières sèches, le bétail ne peut souvent survivre sans pâturages forestiers. Cest ainsi quau Sahel, les bêtes se nourrissent surtout de feuilles pendant la saison sèche et que le broutage excessif des arbres pendant la longue sécheresse récente à beaucoup contribué à la destruction massive dun couvert boisé capital.
A la pression que lagriculture itinérante fait peser, de lintérieur, sur la forêt sajoute celle qui sexerce pour détourner des parcelles forestières au profit des populations rurales croissantes qui ont toujours plus besoin de terres pour y faire pousser de quoi manger. Dans la plupart des régions, les forêts demeurent le plus important réservoir de terres, le seul qui permette détendre sensiblement encore la superficie sous production agricole. On estime que la superficie actuelle de la foret dans le Tiers monde recule tous les ans de 5 à 10 millions dhectares en Amérique latine, de 2 millions dhectares en Afrique et de 4 millions dhectares en Asie. Dans la mesure où ce processus libère, aux fins de production vivrière, des terres qui sont capables de supporter à long terme la pratique de lagriculture, cest là une chose logique quil faut planifier. Mais, sur de vastes superficies, les pressions de la croissance démographique contraignent les agriculteurs sans terres à cultiver des sols qui sont impropres à la production vivrière et des terrains en pente qui ne peuvent être exploites sans danger, du moins avec les techniques et les ressources dont disposent ces agriculteurs. Les conséquences de ces pratiques, à savoir lérosion par le vent et le sol, lenvasement, linondation et la sécheresse, sont bien connues. Etant donné que 10 pour cent à peu près de la population mondiale vit dans des zones montagneuses et les 40 autres pour cent dans des basses terres voisines, une bonne moitié de lhumanité est directement touchée par les ravages causés aux environnements des bassins versants.
En Inde, 50 pour cent de la superficie totale du territoire seraient sérieusement érodés par le vent et leau, qui arracheraient à la couche superficielle fertile du sol quelque 6 millions de tonnes de matériau par an. Au Pakistan, lérosion touche 76 pour cent de la superficie totale du territoire. Mais le Népal est peut être le cas le plus dramatique de son genre en Asie. Dans bien des régions de ce pays en effet les forêts ont été abattues jusquà 2 000 mètres daltitude (m), et des pentes de 100 pour cent sont sous culture. Pendant les périodes de pluies incessantes, dénormes glissements de terrains se produisent qui détruisent vie et cultures et entraînent lhumus nécessaire; ces glissements de terrain se manifestent de plus en plus souvent dans les montagnes népalaises et ce en partie à cause de la disparition rapide des arbres fixateurs.
A lheure actuelle, la dégradation de la couche superficielle du sol constitue une menace pour la productivité agricole des autres champs. Partout, dans les zones montagneuses dautres parties du monde, on peut observer des paysages analogues, quoique peut-être un peu moins altérés.
Lérosion des sols agricoles se traduit souvent par lenvasement des cours deau et des réservoirs. Cest ainsi quau Népal, le lit du Terai monte de 15 à 30 cm par an. Cette élévation du lit des cours deau, due à lérosion accélérée du sol et à lenvasement, est une cause majeure des crues plus fréquentes et plus dangereuses dans toute la région. Mais la sédimentation réduit aussi la capacité demmagasinage de leau des réservoirs. Dans le sous-continent indien, le réservoir de Mangla recevrait tous les ans 100 millions de tonnes de sédiments, quantité à laquelle contribuerait à raison de 80 pour cent environ le fleuve Jhelum, par suite dabattages et de feux anarchiques dans la forêt de ce bassin versant. Alors que le réservoir de Mangla a été construit pour durer au moins un siècle, sa capacité sera quasiment réduite à néant dici 50 à 75 ans à en juger par lampleur de son envasement après quelques années de fonctionnement. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant dautres analogues.
Le processus de dégradation de lenvironnement consécutif à la destruction du couvert forestier est souvent accéléré par la collecte de bois de feu. Ce phénomène est en général plus accusé au voisinage des grandes villes. Le bois est en effet le combustible le plus prisé non seulement des pauvres de la population rurale mais aussi de pauvres de la population urbaine qui sen servent principalement sous forme de charbon de bois. La concentration et limportance de la demande de ce produit entraîne le pillage des zones boisées à la périphérie des centres urbains dans maintes parties de lAfrique, de lAsie et de lAmérique latine et les superficies ainsi touchées sétendent souvent à un rythme effrayant.
Les forêts et les arbres peuvent être source de récoltes de rapport (champignons, châtaignes, noisettes et pignons). Le bambou pour sa part peut se cultiver pour ses pousses, comme cela se fait au Japon. Dans bien des pays, la sylviculture se pratique au niveau du petit exploitant qui en tire du bois de feu pour le vendre dans les zones urbaines et semi-urbaines. En Inde, le revenu que procure le ramassage et la vente du bois de feu constitue une partie importante de léconomie des villages forestiers, surtout des pauvres qui les peuplent. La petite sylviculture peut aussi fournir des produits ligneux industriels lucratifs, comme par exemple le bois à pâte que cultivent les exploitants aux Philippines. Parmi les produits non ligneux, la gomme arabique que produisent les agriculteurs au Soudan est une des denrées les plus importantes de ce pays.
Outre le revenu et lemploi que founissent leur exploitation industrielle, les forêts sont également source de bois doeuvre et autres matières premières pour lartisanat, la petite industrie et lindustrie de transformation indigènes. Dans tout le Tiers monde, portes et autres articles de menuiserie, mobilier, outils et autres articles agricoles, comme les pieux de clôture, sont fabriqués sur place par la collectivité. Ces produits, ainsi que les articles dartisanat en bois et autres produits en matières premières non ligneuses comme la soie tasar peuvent aussi être vendus à lextérieur.
La foresterie peut aussi contribuer aux revenus ruraux de façons moins directes. Sil nexiste aucun autre moyen intéressant daccroître les revenus des pauvres en milieu rural, létablissement de parcelles pour la production de bois de feu peut être une bonne solution à cette fin car elle permet de garder le fumier animal et les résidus agricoles pour enrichir le sol et par conséquent augmenter le rendement des cultures. Les forêts peuvent ainsi contribuer à une distribution plus équitable du revenu. Il peut être plus aisé daider les pauvres en leur fournissant du combustible sous forme de bois quen leur offrant les avantages analogues moyennant fiscalité et redistribution.
La course à la terre
Temps de rapport de la foresterie
Distribution des avantages dans lespace
Contraintes institutionnelles et techniques
Là où il existe une forêt exploitable mais qui ne profite pas pleinement aux collectivités locales, les ajustements à apporter aux pratiques daménagement devraient être assez faciles à concevoir et à mettre en oeuvre. Si, par contre, les forêts ont été détruites, soit pour faire place à lagriculture ou aux pâturages, soit au mépris des principes du renouvellement des ressources, leur rétablissement poserait sans doute bien des problèmes. Cest pourquoi on étudiera surtout dans les paragraphes suivants ce dernier cas. Il ne sensuit pas pour autant que la foresterie au service des collectivités devra essentiellement se consacrer au boisement et au reboisement. La plupart de ses efforts devront tendre à améliorer laménagement des forêts naturelles pour le bien des populations locales.
Le tableau 2 récapitule certains des facteurs dont il faut tenir compte pour analyser la place de la foresterie dans une économie rurale; ces facteurs ainsi que quelques solutions possibles sont examinés de façon plus détaillée dans les sections suivantes.
Les systèmes forestiers communautaires pratiqués traditionnellement conviennent en général à des régions faiblement peuplées où labondance de terre permet de consacrer une partie de la superficie à la foresterie et lautre à lagriculture ou encore dutiliser une bonne partie de cette superficie pour la sylviculture et le pâturage. Le premier de ces cas se caractérise par les systèmes dagriculture itinérante avec leurs périodes de jachère sous couvert boisé et par les versions modifiées de ce système comme celui, par exemple, de la production de gomme arabique au Soudan. Le deuxième cas est illustré par lassociation élevage/sylviculture pratiquée au Sahel. Comme signalé plus haut néanmoins, ces systèmes bien souvent nont pu résister à la pression démographique croissante. Les premiers signes de leur rupture se manifestent généralement par un accroissement de lagriculture intensive au détriment de la foresterie extensive.
TABLEAU 2. FACTEURS A PRENDRE EN CONSIDERATION POUR ANALYSER LA PLACE DE LA FORESTERIE DANS UNE ECONOMIE RURALE
Facteurs |
Solutions possibles |
Utilisations concurrentielles de la terre (les arbres
utilisent moins intensivement la terre que les cultures) |
|
- Concurrence faite aux terres forestières |
- Intercaler arbres et cultures |
- Concurrence entre culture/pâturage et
boisement |
- Planter des arbres en bordure des routes, des cours
deau, des champs et autres surfaces inutilisées; dans les zones
marginales pour la production végétale; dans les zones sujettes
à érosion et impropres à la production
végétale ou au pâturage |
Temps de rapport de la foresterie (rapport
différé de larboriculture) |
|
- Le rendement des arbres ne répondra pas
immédiatement aux besoins |
- Planter des essences polyvalentes, ou des mélanges
dessences qui rapporteront rapidement |
- Le producteur risque de ne tirer aucun profit |
- Veiller à garantir la sécurité de
tenure de la terre utilisée pour larboriculture |
Distribution dispersée des avantages de la
foresterie |
|
- Les avantages découlant des forêts de
protection ou de la production de bois peuvent aller en partie à
lextérieur de la collectivité |
- Indemniser la collectivité pour les avantages
quelle abandonne ou les inputs quelle a fournis et qui rapportent
ailleurs |
Pénurie saisonnière de
main-doeuvre |
- Adopter des systèmes forestiers qui ne fassent pas
appel à la main-doeuvre en périodes de pointe et dans
dautres secteurs |
Absence de toute tradition forestière (ignorance des
techniques nécessaires, incompréhension des causes et des effets,
comportements hostiles à la foresterie, cadres institutionnels
inadéquats) |
- Dispenser conseils et soutien par
lintermédiaire des services de vulgarisation: éducation de
la population, avis et apports techniques, formation à la base |
Dès linstant où léconomie locale repose sur lagriculture de subsistance, le régime alimentaire constitue le principal facteur déterminant de lutilisation des terres, les autres étant limportance de la population et les techniques de production, et ses exigences prennent le pas sur les besoins en bois. Dans les régions où les régimes sont à base dune céréale unique cultivée en alternance avec la jachère, il faut à chaque famille une grande superficie et la sylviculture risque beaucoup dêtre exclue. Pour les régions où la population consomme davantage de produits carnés provenant danimaux pâturant librement, il est pratiquement impossible de régénérer la forêt, même à de faibles niveaux de densité de la population humaine, surtout si les animaux excédentaires se vendent aisément.
Les habitudes alimentaires sont parmi les éléments les plus profondément enracinés et stables dun mode de vie. On les acquiert très tôt, et elles sont souvent renforcées par les vertus quon leur attribue sur le plan de la santé, de la fertilité ou même des qualités morales, et elles sont parfois consacrées par la religion. Il est donc très difficile de faire adopter de nouveaux aliments et il faut, dans ce domaine, procéder lentement. Souvent, néanmoins, cette adoption est importante car dès linstant où lon introduit une plus grande variété de denrées alimentaires, on peut faire alterner les cultures et intégrer lagriculture à lélevage, ce qui permet de produire davantage de denrées alimentaires sur une plus grande surface. Grâce en outre à lintroduction de cultures de rapport, on peut acheter une partie des aliments habituels en échange de la production dune superficie encore plus petite. Il est ainsi possible de libérer de la terre pour la sylviculture.
Bien que les techniques connues de production vivrière noccupent pas dans le contexte culturel une place aussi fondamentale que le régime alimentaire, elles nont rien de fortuit. Les pratiques de lagriculture et du pâturage fixent les heures et les époques des travaux et sont fonction de la division du travail entre les sexes et les groupes dâge, qui, à leur tour, font partie intégrante de la structure sociale. Des gens habitués aux loisirs que leur laisse le pâturage libre ou la pratique dune seule culture principale auront du mal à sadapter à des méthodes plus intensives. Dans le cas où cest aux femmes que revient le soin de cultiver la terre ou aux enfants de garder les troupeaux, il faut sattendre à ce que les hommes manifestent une vive résistance à des systèmes plus efficaces qui exigeront deux dassumer une part du travail. Cest là un autre obstacle qui empêche de libérer la terre au profit de la sylviculture.
Les façons de préparer les aliments semblent moins capitales que les techniques de production. Dinnombrables sociétés ont abandonné le bois de feu pour utiliser le fumier animal comme combustible ou les combustibles fossiles. La rareté du bois de feu est donc moins vivement ressentie que beaucoup des changements qui simposent pour libérer de la terre en vue sa production. Pour encourager les populations à mieux se servir du bois et à cultiver ou soigner les arbres nécessaires à sa production, on peut donc être amené à modifier ces attitudes et ces habitudes. Ce but ne pourra sans doute être atteint que si lon prend en considération les us et coutumes locaux.
On peut éviter que la foresterie ne dispute directement les terres à la production vivrière en recourant à des superficies inexploitées. Même dans ce cas, il faut néanmoins veiller à choisir des essences qui soient aussi productives que possible et qui puissent rivaliser avec dautres cultures non alimentaires (y compris dautres cultures arborescentes comme lhévéa et le palmier à huile). Dans certaines parties de lInde, notamment au Bengale occidental, on exploite largement les bords des routes et les lisières des champs pour y planter des arbres comme le Ahisham (Dalbergia latifolia) et le sissoo (D. sissoo) qui réduisent la concurrence de lombre et des racines pour les cultures voisines. En Chine également, on plante des arbres de manière quils concurrencent le moins possible les cultures vivrières. La culture intercalaire entre les rangées darbres dans les plantations seffectue pendant les deux premières années. Des arbres sont plantés sur les terres stériles, autour des maisons, le long des routes et des cours deau et à la périphérie des villages. On choisit de préférence des essences à croissance rapide et celles qui donnent des feuilles, des noix, des fruits ou de lécorce propres à lutilisation domestique et artisanale. En pratiquant cette plantation le long des routes, des cours deau ainsi quautour des demeures et des villages, la population contribue activement à résoudre les problèmes des disponibilités de bois de feu.
Moyennant diverses combinaisons de cultures intercalaires, on peut introduire des arbres dans les plans dutilisation intensive des terres pour employer ces dernières à des fins multiples. A Java où les pressions sur les terres sont particulièrement fortes, on cultive sous les arbres des graminées pour récolter du fourrage à lintention des animaux alimentés à létable. Dans les régions montagneuses du Népal la production de fourrage, cette fois sous forme de feuilles de certains arbres, est lun des moyens importants que lon essaie actuellement pour résoudre le problème. Tout aussi importantes sont les mesures visant à accroître la productivité végétale dans les zones plus planes et plus cultivables et à améliorer dautres secteurs de léconomie des collectivités et leur infrastructure physique et sociale pour leur permettre de consacrer de la terre aux couverts forestiers.
On saisit généralement très mal toute la question de lutilisation des terres faute de renseignements sur la vocation agricole et sur les facteurs dont il convient de tenir compte pour laménagement du territoire. Il est bien rare en effet que lon connaisse les frontières entre les terres capables de porter des cultures de façon soutenue et celles qui doivent périodiquement ou en permanence être consacrées à la forêt. Et cest ainsi que, par ignorance, on défriche beaucoup de terres forestières qui ne se prêtent pas à lagriculture sédentaire alors que, à côté, il en existe qui conviendraient parfaitement à cette fin.
Bien souvent, les délais que demande la foresterie pour donner un rapport renforcent encore lattachement à un régime alimentaire ou à une technique particulière de production. Au cours des siècles, les populations rurales ont pris lhabitude de dépendre des produits de la forêt, celle-ci leur offrant un réservoir abondant de ressources naturelles à portée de main dans lequel elles pouvaient puiser à volonté. Tant que ce réservoir restait abondant, on pouvait continuer dexploiter ainsi le capital forestier sans se préoccuper le moins du monde des délais assez longs que requiert la production de bois de dimensions utiles. A partir du moment néanmoins ou lon ne peut plus assurer lapprovisionnement en bois quen faisant pousser des arbres à cette fin, les délais de rendement en jeu peuvent devenir un obstacle important.
Le temps quexige une forêt pour devenir productive ne peut qualler à lencontre des priorités des pauvres en milieu rural qui, cest bien naturel, veulent avant tout satisfaire leurs besoins de première nécessité. Dans limmédiat, ces besoins ont toute chance dêtre impératifs, notamment pour ceux qui vivent au niveau de la subsistance. La terre, la main-doeuvre et les autres ressources que lon peut consacrer à se procurer la nourriture, le combustible et le revenu dont on a besoin tout de suite, ne sauraient être mobilisées aisément pour produire du bois dont on ne disposera quau bout de nombreuses années. Cest justement sur cet obstacle quont trébuché les gros efforts déployés pour amener les collectivités indiennes vivant de la forêt à abandonner leurs droits dusage sur la forêt et à adopter des méthodes forestières rationnelles. Le pillage du bois dans la forêt et sa vente comme combustible sur les marchés urbains et semi-urbains proches sont une source importante de revenu pour les pauvres des villages. Aucun encouragement au niveau de la collectivité na eu suffisamment de poids pour faire céder ceux qui avaient tout intérêt à maintenir le statu quo.
La foresterie ne peut se maintenir ou gagner du terrain au niveau de la collectivité que si elle tient compte de ses besoins actuels bien réels. Là où le couvert forestier existe encore, on pourrait peut-être assurer la même production mais de façon moins destructive. Cest ainsi, par exemple, que dans une région de lInde centrale, on a mis fin aux coupes destructives de la forêt et renversé la situation en concentrant les abattages sur des coupes annuelles et en protégeant le reste de la forêt de manière quelle puisse se régénérer naturellement. De récentes expériences dans des régions aussi diverses que les montagnes du Népal et la frange méridionale du Sahel montrent aussi la capacité quont les forêts de se régénérer sans autre moyen que la protection.
Avec lintroduction de la foresterie de plantation, les délais entre létablissement et la production peuvent constituer une contrainte plus grave encore. Aux Philippines, des crédits ont été octroyés aux fermiers qui plantent des arbres. En Thaïlande et dans le bassin du Solo en Indonésie, il a fallu, pour cette période initiale, opérer des versements en espèces. En République de Corée, on a recouru, dans les parcelles de village, destinées à la production du bois de feu, à un mélange dessences, parmi lesquelles Lespedeza qui rapportent dès la première année, intercalées avec des essences capables de donner, pendant longtemps, du bois de feu et du bois industriel. Dans bien des systèmes, on a introduit la sylviculture en même temps que dautres activités qui permettent à lagriculteur de faire la soudure jusquà ce que ses arbres soient en âge de produire.
Dans le cas des collectivités forestières, les considérations de temps comptent moins que celles touchant la distribution dans lespace des avantagea de la forêt. Celle-ci représente pour le cultivateur itinérant de la terre sur laquelle il peut pratiquer ses cultures alimentaires et commerciales, ainsi quune source de combustible et de matériau de construction, voire même de fourrage, dombrage, etc. De toute évidence, lidée ne lui vient même pas que les arbres quil détruit ou quil utilise ainsi pourraient fournir la matière première à une industrie et par conséquent un revenu et de lemploi ainsi que des produits manufacturés qui profiteraient à dautres. Il serait peu réaliste dattendre de lui quil modifie son mode de vie dans lintérêt dautrui. Cest pourquoi linstauration de systèmes forestiers plus stables associant lagriculture à la sylviculture ne saurait se concrétiser que si la collectivité bénéficie raisonnablement du changement dune manière ou de lautre. Cest ainsi par exemple que la formule du village forestier en Thaïlande décrit à lannexe 2 na commencé à devenir attrayante à la population forestière quà partir du moment où elle sest assortie de loctroi de terres leur permettant de pratiquer lagriculture sédentaire, ainsi que dun soutien financier et autre pour ce faire et de linfrastructure sociale et physique nécessaire.
Le problème réside donc avant tout dans ce que les collectivités forestières tirent en général insuffisamment profit de la forêt. Sil en est ainsi, cest souvent par la faute des objectifs classiques de laménagement forestier et des pratiques administratives, axés essentiellement sur la conservation, la production de bois, la perception dimpôts et la réglementation exercée par le truchement dune législation et de règlements punitifs. Pour développer ces collectivités, il faut donc les associer de façon plus complète, positive et plus avantageuse à lutilisation, laménagement et la protection de la forêt. Pour ce faire, on peut par exemple intensifier leur participation aux travaux forestiers en créant des coopératives dexploitation ou de sciage, tirer parti de la source potentielle de revenus que permettent des produits secondaires de la forêt, en aidant à mettre sur pied des systèmes de production, de distribution et de commercialisation de denrées comme le miel, ou en attribuant des terres forestières pour la production simultanée de cultures sylvicoles et agricoles, ou encore de pâturages. Comme signalé plus haut, il est possible que pour cela il faille réorienter radicalement les concepts et pratiques traditionnels en matière de foresterie.
La question de la distribution des avantages peut aussi surgir avec des systèmes visant à établir des cultures arboricoles industrielles par lintermédiaire de systèmes agricoles qui intercalent arbres et cultures vivrières et de rapport 1/. Les arbres eux-mêmes ne donnent aucun avantage direct à lagriculteur. Pour lui, ils sont plutôt une gêne et lui compliquent beaucoup la tâche. De tels systèmes nont donc de chance de réussir que si lagriculteur y trouve une juste rémunération. Dans bien des régions des tropiques ou ces systèmes ont été introduits, on y a surtout été poussé par le simple besoin de terres et le fait que, ailleurs, il nen existe pas que la population puisse cultiver. Mais on a constaté quà la longue ces systèmes tendent à se transformer en une agriculture sédentaire, dans laquelle sont éliminés les arbres cultivés en association, à sorienter vers lemploi forestier à plein temps, comme cela vient de se produire au Kenya et au Bangladesh. Ceci donne à penser que la terre en soi ne constitue pas un encouragement suffisant, si ce nest dans limmédiat.
1/ Voir page 49 pour une description plus détaillée de ces systèmes.
Ces mêmes considérations sont valables pour dautres types de sylviculture. Si le couvert forestier en haut des pentes montagneuses à Java, au Népal, en Colombie et ailleurs peut fort bien apporter des avantages directs tangibles aux collectivités qui les peuplent en les protégeant des glissements de terrain et dun ruissellement excessif des eaux, ce sont surtout les régions en aval qui en profiteront du fait que les inondations, lenvasement, lérosion, ainsi de suite, sen trouveront réduits. Là encore, il ne serait ni réaliste ni raisonnable dattendre des gens quils cèdent à cette fin terres, main-doeuvre et autres ressources dans lintérêt dautrui, à moins quils nen soient convenablement récompensés.
Restent les cas ou les problèmes ne tiennent ni à un manque dintérêt à légard de la foresterie, ni au fait quelle va à rencontre dautres aspects du mode de vie, nais seulement au manque dorganisation ou de moyens. Le programme particulièrement réussi des parcelles boisées de village que met en oeuvre la République de Corée utilise des terrains qui sont trop abrupts pour être cultivés et que la loi réserve exclusivement à la foresterie. Il mobilise donc à cette fin des terres inexploitées que les agriculteurs pauvres nont pas les moyens de boiser. Dans certaines parties de lEthiopie, de la Tanzanie et du Nigéria, des collectivités auxquelles manque le bois de chauffage ont affecté au boisement des zones impropres à la production agricole, comme le sommet et les pentes des montagnes.
Mais les zones qui sont marginales pour lagriculture peuvent lêtre aussi pour la foresterie. Tel est le cas en particulier des régions arides et semi-arides qui en général imposent des contraintes climatiques rigoureuses à la sylviculture, en particulier aux essences à croissance rapide dont on a besoin pour obtenir des résultats dans des délais acceptables. Laridité soulève aussi dautres problèmes, dont celui de la disponibilité de main-doeuvre. La plupart des systèmes forestiers communautaires ne se heurtent, dans ce domaine, à aucune difficulté. Cest ainsi que, dans le système dexploitation de la gomme arabique au Soudan, le gros des travaux forestiers coïncide avec la morte - saison. Dans les régions où la tradition veut que ce soient les femmes qui travaillent aux champs, les hommes de la famille sont ainsi libres pour exécuter concurremment les travaux forestiers. Dans les Tropiques humides, la plantation peut sétaler sur une période suffisamment longue pour éviter que celle des arbres comme des cultures est très brève et se situe en même temps. En conséquence, la main-doeuvre disponible pour planter les arbres peut être limitée et il faut donc prévoir une souplesse suffisante pour surmonter cette difficulté.
La foresterie en région aride se heurte à une autre contrainte. En effet, le boisement efficace de terres arides requiert souvent des techniques élaborées comme le labour profond, qui exige un matériel sophistiqué et coûteux. Ce sont là des travaux que bien souvent la collectivité locale naura ni les possibilités ni les moyens de faire. Bien que là, comme partout ailleurs, il est tout aussi nécessaire dassocier la population locale aux activités pour quelle se rende compte du rôle bénéfique de la forêt et de la nécessité de réserver la terre et de protéger la récolte forestière ultérieure, bien souvent la collectivité ne pourra se borner, en matière dactivités forestières, quà aménager la végétation existante, par exemple en assurant comme au Sahel le contrôle de lutilisation et de la régénération en réglementant le pâturage. Il se peut quon doive fréquemment confier la foresterie aux services techniques officiels responsables.
Il est vraisemblable aussi que les activités locales ne pourront pas résoudre les problèmes techniques que soulèvent les terrains montagneux abrupts. Dans ces régions, où la difficulté réside surtout dans la stabilisation des sols et la prévention du ruissellement des eaux, létablissement dun couvert forestier sur certaines parties du bassin versant doit généralement saccompagner de mesures comme la construction de terrasses pour permettre une production végétale stable en dautres parties. Bien souvent, les agriculteurs nont pas les moyens de le faire. Pour construire des terrasses, par exemple, il faudrait en effet quils abandonnent une culture. Il convient donc de leur dispenser le genre dappui extérieur dont ils bénéficient par exemple au Java central par lintermédiaire dune assistance alimentaire et en Tunisie par lintermédiaire de crédits et daide alimentaire.
Les problèmes techniques que suscite la pratique de la foresterie au niveau de la collectivité ne sont pas propres aux régions arides ou montagneuses. Bien quil y ait des cas où il existe une tradition sylvicole, comme au Soudan, ou des exemples attestant de la naissance ou de la propagation spontanée dune telle tradition, comme dans certaines parties de lInde méridionale, de lAfrique orientale et de la Sierra Andine, le plus souvent, toute pratique traditionnelle de laménagement forestier fait défaut dans tous le Tiers monde. Les agriculteurs ignorent donc tout de la sylviculture, des propriétés des différentes espèces, de leur aptitude à sadapter à différents sites et usages, des techniques de plantation, des soins à donner aux arbres, des méthodes de récolte, etc.
Il nest donc pas étonnant que les initiatives récentes les plus heureuses en matière de foresterie au service de la collectivité doivent leur succès à un système solide dappui technique soutenu capable de fournir les conseils et inputs indispensables, comme le matériel de plantation, et dassurer cet appui tout le temps nécessaire pour que la foresterie devienne une activité autonome dans une zone donnée.
Mais laccès aux seuls techniques et inputs ne peut pas toujours suffire. Pour instaurer et mettre en oeuvre une activité forestière, la communauté peut avoir besoin dune organisation interne nouvelle ou renforcée. Cest ainsi par exemple que pour instituer le système de production de bois de feu dans les villages en République de Corée, des associations forestières ont été créées dans chaque village pour exécuter le travail, lampleur de laide fournie à chacun deux étant fonction du niveau dautodépendance atteint. En Thaïlande, ce même système a exigé la création dinstitutions communautaires entièrement nouvelles. Quant à lInde, la sylviculture y a exigé jusquà présent des changements qui dépassaient généralement la compétence et le pouvoir du panchayat élu du village.
Un autre problème institutionnel se pose, celui de la sécurité de tenure de la terre. Lagriculteur ou la collectivité doit en effet être suffisamment sur que la terre sur laquelle il plante les arbres lui appartiendra encore au moment où ceux-ci seront en âge de produire. Ainsi, une des premières choses qui a été faite dans le cadre du projet philippin de production de bois à pâte par les petits exploitants a été de nantir chacun de ceux-ci dun titre de propriété sur sa terre. Il faut signaler toutefois que lon a eu en loccurrence peu de mal à procéder de cette manière, les superficies en question étant classées comme terres forestières vacantes pouvant être aliénées et mises à la disposition de lagriculture. Dans bien des régions du Tiers monde néanmoins la chose est beaucoup moins aisée. Dans de vastes zones, notamment en Amérique latine et en Asie du Sud, où la plupart des agriculteurs sont des exploitants à bail, linsécurité de tenure des terres qui en résulte milite fortement contre des activités à assez long terme comme la sylviculture. Ailleurs, en particulier dans certaines parties de lAfrique, les schémas et les traditions de lutilisation des terres tribales ou communales ne prévoient aucune disposition permettant de sen servir à dautres fins, par exemple pour la foresterie qui exige quon les mette en réserve dans un but bien précis pendant des périodes assez longues. Cest pourquoi, dans bien des cas, il peut être difficile dinstaurer la foresterie sans au préalable réformer radicalement le régime foncier ou lutilisation des terres.
Labsence de tradition forestière a des conséquences qui tendent à aller plus loin que la simple ignorance de la sylviculture ou le manque de cadres institutionnels appropriés pour la pratiquer. Elle va généralement de pair avec une tradition agricole profondément enracinée. Doù, inévitablement, un contraste marqué dans les attitudes à légard de la foresterie par rapport au comportement à légard de lagriculture et de lélevage. Mis à part les rapports harmonieux entre la forêt et ceux qui la peuplent, beaucoup des exploitants pauvres en milieu rural tendent à considérer cette dernière comme im élément négatif de lenvironnement. Le colon, pour sa part, ny voit quun obstacle au défrichement de ses terres quil doit éliminer au plus tôt, et un havre pour ses ennemis. Ce sont là points de vue qui peuvent persister sous une forme ou une autre longtemps après que la limite de la forêt sest éloignée du voisinage immédiat de la collectivité. Cest ainsi que lhostilité à légard des forêts et des arbres peut subsister dans des régions qui ont déjà souffert du manque de bois de feu et de poteaux de construction à cause des dommages occasionnés aux cultures par les oiseaux qui nichent dans les arbres.
Dautres attitudes et comportements inspirés par lexpérience passée tendent aussi à être hostiles à la forêt. Comme signalé plus haut, il y a une tendance très généralisée à considérer le bois comme un matériau abondant que lon peut récolter à volonté. On méconnaît par ailleurs le rôle que jouent les arbres pour maintenir la fertilité du sol et lon ne peut pas ou lon ne veut pas reconnaître les conséquences des pertes de sol, des pénuries de combustible, etc. qui découlent inévitablement dune destruction incessante du couvert forestier. Bien que, de toute évidence, ce comportement soit en partie du moins dû à la priorité du besoin présent sur le besoin futur, il tient souvent en partie à une certaine ignorance de linconnu. Pour les populations de la plupart des régions qui se heurtent maintenant aux conséquences de lamenuisement ou de la disparition des forêts et de leurs produits, cest là une expérience sans précédent. Rien dans leur passé ne peut les éclairer ni les avertir de ce qui va sans doute leur arriver jusquà ce que cela leur arrive vraiment. Il en va de même généralement pour linfluence de la forêt; des gens en effet peuvent avoir du mal à concevoir ou à admettre les effets bénéfiques de la foresterie tant quils nen profitent pas vraiment.
Cest pourquoi lintroduction de la foresterie ou le passage dune utilisation destructive de la forêt à une utilisation rationnelle demandera souvent une modification profonde des attitudes et du comportement.
Nous nentendons pas ressortir ici la vieille rengaine de la résistance paysanne au changement car les exemples abondent dans le monde entier qui prouvent que beaucoup de populations rurales sont capables dévoluer profondément. Comme, toutefois, les populations sont fortement attachées à une certaine échelle de valeurs, elles sarrangent généralement pour modifier les aspects de leur vie qui, à leurs yeux, sont les moins importants pour sauvegarder ce quelles considèrent comme capitaux. Plutôt que de changer leurs systèmes de production alimentaire, bien des villages ont opté pour des stratégies radicales en recourant par exemple à lémigration temporaire des jeunes gens qui vont vivre en ville pendant plusieurs années, laissant souvent derrière eux femmes et enfants, pour envoyer à leur famille largent nécessaire à leur subsistance. Leur sacrifice est récompensé par la possibilité quils ont de rentrer au pays pour y vivre le genre dexistence auquel ils sont habitués, encore que beaucoup dentre eux soient trop profondément marqués par leur expérience pour retourner définitivement.
Il ne sagit donc pas tant dimposer le changement à des gens qui le refusent en bloc, mais de concilier les modifications techniques souhaitables avec les échelles de valeur quapparemment elles menacent. Toute solution volontairement acceptée suppose confiance de la part de la population et, de la part des promoteurs du développement, ingéniosité et compréhension de son mode de vie, faute de quoi il ny a dautre choix que dimposer le changement à des gens qui nen veulent pas, ce qui généralement est intolérable.
Amener la population à évoluer se heurte aussi à des contraintes dun autre ordre, à savoir celles qui sont dues aux lacunes de la structure bureaucratique chargée de cette tâche. Certains de ces défauts sont communs à la plupart des bureaucraties: procédure rigide, interprétation des règlements plutôt que de lesprit des règlements, formation insuffisante aux niveaux subalternes, arrogance de petits fonctionnaires, surtout à légard des pauvres, etc. On a aussi tendance à disperser leffort du développement rural en le confiant à divers organes qui nharmonisent pas et ne coordonnent pas leurs activités comme ils le devraient. Il importe que les programmes destinés à encourager la foresterie dans le développement rural ne contribuent pas à cette dispersion. La foresterie nest en effet quune partie dun complexe dactivités différentes quexige le développement rural. Sa contribution doit donc être intégrée à celle des autres secteurs pour être efficace.
Enfin, la foresterie présente certains traits particuliers qui nen favorisent pas toujours une influence positive sur la collectivité. Comme on la déjà fait remarquer, le souci traditionnel qua la sylviculture de préserver la forêt, tout en laménageant de manière à lorienter vers la production de bois pour lindustrie risque dêtre en conflit avec les besoins des populations rurales qui en vivent et en dépendent. Cette attitude erronée se traduit généralement dans la structure et la dotation des effectifs des administrations forestières, ainsi que dans les priorités budgétaires de la foresterie. Elle se reflète aussi dans la formation classique des forestiers qui se retrouvent ainsi mieux armés pour traiter avec des arbres quavec des gens. Pour assurer sa propre part dans lamélioration du sort des couches rurales pauvres, il est donc vraisemblable que la foresterie devra se réorienter radicalement depuis ses politiques jusquà ses bases techniques.