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4.2 La viabilité des systèmes


4.2.1 Connaissances descriptives
4.2.2 Practiques de conduite et de gestion
4.2.3 Organisation de la gestion


Tous les facteurs que nous venons d'analyser ont un effet sur les SLCG des ressources naturelles élaborés par les peuples pasteurs. Dans certains cas, ces systèmes ont été complètement détruits, dans d'autres, ils ont survécu sous une forme modifiée. Nous allons à présent examiner comment ces systèmes ont survécu et quelle est leur viabilité future. Dans ce contexte, la viabilité ne se réfère pas à l'efficacité du système, ni à "sa capacité de produire, grâce au troupeau, de quoi survivre à long terme",74 mais plutôt à la mesure dans laquelle les techniques et les systèmes peuvent encore être appliqués.

4.2.1 Connaissances descriptives

A mesure que les générations les plus jeunes se déplacent pour aller vivre dans les centres urbains et reçoivent une instruction dans les écoles, les SLCG descriptifs commencent à disparaître dans la majorité des sociétés pastorales. En outre, l'introduction de produits nouveaux comme le riz importé, les médicaments modernes, le ciment et la tôle ondulée réduit les besoins en ressources naturelles. Les systèmes de mesure traditionnels (surtout pour le temps et le poids) sont de plus en plus remplacés par les systèmes modernes grâce à l'introduction de montres et de balances. Pourtant, certaines connaissances demeurent, et nombreux sont les groupes qui gardent encore une grande partie de leurs connaissances traditionnelles, et les utilisent, au moins à l'occasion de cérémonies. D'une façon générale, on peut dire qu'un SLCG reste viable tant qu'il est utilisé de manière concrète. Il est viable tant qu'il peut être "réanimé" lorsqu'apparaît un usage concret auquel il peut s'appliquer, à condition que quelques membres du groupe (spécialistes, personnes âgées, etc) aient conservé les connaissances nécessaires (voir en CADRE 4.6).

CADRE 4.6

Les Mbeere du Kenya n'utilisent plus les plantes qui servaient naguère aux rites et aux cérémonies, et le recours aux plantes médicinales a considérablement diminué. Leurs maisons sont construites aujourd'hui en briques et en ciment.75 Les Mbeere qui ont fait leurs études dans des écoles modernes n'ont pas perdu toutes leurs connaissances traditionnelles sur les ressources naturelles, mais ils ne gardent qu'un souvenir plutôt vague des détails.76 Les jeunes pasteurs Foulani dans le nord du Burkina Faso ne savent plus reconnaître un bon pâturage,77 peut-être parce qu'il n'en reste plus. Dans beaucoup de pays, et notamment au Botswana78 et au Ghana,79 les méthodes traditionnelles utilisées pour mesurer le temps, le poids, etc. ont été remplacées spontanément par des méthodes modernes.

Pourtant, les SLCG n'ont pas complètement disparu. Ainsi, dans les villes de Somalie, les guérisseurs traditionnels ont beaucoup de clients; mais la tâche de collecter les plantes médicinales en brousse est aujourd'hui déléguée aux apprentis. Or, ces derniers n'attachent plus la même importance aux normes traditionnelles concernant les méthodes de récolte.80 Certaines méthodes de médecine traditionnelle ont même été employées dans les sciences modernes; c'est le cas de Hagenia abyssinica, que les Amhara employaient pour se débarrasser des parasites intestinaux, et qui était utilisée aux mêmes fins en Europe vers 1870.81 Les Pokot et les Turkana du Kenya ont conservé leurs connaissances traditionnelles sur la valeur des arbres et sur les systèmes de gestion des parcours; elles peuvent servir de base à l'introduction d'innovations telles que le réensemencement des parcours, ou le reboisement, etc.82

4.2.2 Practiques de conduite et de gestion

La conduite de l'élevage (qui comprend le gardiennage, l'abreuvement, etc.) nécessite une main-d'oeuvre importante. La disponibilité de main-d'oeuvre au niveau de chaque ménage définit donc en partie la viabilité des techniques et des contrôles traditionnels liés au pâturage.83 Tant que la main-d'oeuvre est disponible, les systèmes subsistent. Si la main-d'oeuvre devient insuffisante, les habitants ont recours à des simplifications qui entraînent souvent une modification du système ou sa faillite. Or, dans l'ensemble, étant donné que les enfants sont envoyés à l'école et que les jeunes gens cherchent un travail salarié ou d'autres occupations, la disponibilité de main-d'oeuvre sur les parcours a baissé. Les membres des nouvelles générations qui acceptent de rester et de vivre de l'élevage sont de moins en moins nombreux.84 Dans certains cas, lorsque les esclaves ont été émancipés, leurs maîtres ont dû soit garder le bétail eux-mêmes, soit avoir recours à des pasteurs salariés. Des pasteurs salariés travaillent également pour les propriétaires absentéistes; bien souvent il s'agit d'éleveurs plus pauvres. En général, les pasteurs salariés travaillent en marge du système local, soit parce qu'ils le préfèrent, soit à cause des exigences des propriétaires du cheptel; ceci contribue aussi à la faillite des systèmes traditionnels de gestion des parcours. Généralement, ces facteurs jouent un rôle plus important, dans les pays où les systèmes d'instruction de type scolaire sont bien établis en zone rurale et où l'écart dans la distribution des revenus entre les éleveurs est le plus prononcé (voir en CADRE 4.7).

Certains facteurs extérieurs, notamment la nationalisation des terres, l'accroissement du cheptel, et l'expansion des cultures, ont entraîné certains changements et même parfois la desintégration des stratégies de gestion des parcours. Souvent, les pâturages de séjour et les routes de passage ont changé, de manière temporaire ou permanente; la mise en défens traditionnelle des pâturages, pour laisser aux parcours un temps de repos et de régénération, a été soit raccourcie soit complètement annulée. Les distances parcourues pour la transhumance sont devenues en général plus courtes; la concentration autour des forages a augmenté; mais dans ces cas-là, les déplacements autour des camps deviennent souvent beaucoup plus fréquents. En outre, la rotation des membres au sein des unités d'élevage augmente parfois lorsque les ménages doivent penser d'abord à trouver des pâturages suffisants et se soucient moins de maintenir les liens sociaux et de parenté (voir en CADRE 4.8).

CADRE 4.7

Chez les Il Chamus du Kenya, le système traditionnel de conduite du bétail est en train de s'affaiblir du fait qu'un nombre croissant d'enfants sont envoyés à l'école. Ainsi, pendant la saison des pluies, lorsque les enfants ne sont pas là et que l'herbe est abondante, les animaux sont laissés libres autour des habitations. Cela pourrait représenter un danger pour l'avenir des parcours.85 De plus en plus, l'élevage devient aux yeux des Foulani une occupation lourde et désagréable, que la plupart des jeunes n'ont aucun désir d'entreprendre. En outre, le relâchement du lien familial patriarcal s'est traduit par une confiance et une coopération moindres entre le propriétaire de l'élevage et le pasteur, que ce dernier soit salarié ou non.86 Chez les Wodaabe, le nombre de travailleurs sur les parcours a baissé car nombreux sont ceux qui partent à la recherche d'un travail salarié. Les éleveurs sont donc de plus en plus obligés de simplifier leurs activités quotidiennes, par exemple en allant chercher l'eau au forage voisin plutôt que de construire des puits.87

Lorsque les esclaves ont été libérés, certains groupes, et notamment les Touaregs, ont été obligés d'embaucher des pasteurs Foulani, ou de s'occuper eux-mêmes de la conduite de leurs troupeaux. Or, ils ne sont pas de très bons pasteurs et se contentent souvent de pâturages médiocres.88 Les esclaves Touaregs libérés sont devenus éleveurs à leur propre compte.89 Les riches éleveurs absentéistes embauchent aussi des pasteurs. Chez les Wodaabe du Niger, les pauvres s'occupent du cheptel des propriétaires absentéistes en échange de lait et parfois de veaux, ce qui leur permet d'améliorer leur propre troupeau. Ce système est connu sous le nom de "jokkere". Récemment, à cause des longues sécheresses et de l'extrême misère, le nombre de personnes cherchant ce genre de travail a augmenté. La concurrence est telle que le salaire a baissé et n'est plus constitué que de lait, ce qui ne suffit pas pour reconstituer un troupeau. Cette stratégie, qui consiste à chercher un travail salarié afin de reconstituer son propre troupeau, est plus fréquente chez les Wodaabe que chez les Touaregs. Cela vient du fait que les systèmes de prêts traditionnels chez ces derniers sont plus rigides et soumis à des conditions rigoureuses, notamment l'obligation de posséder un certain nombre de têtes de bétail avant de pouvoir obtenir un prêt. C'est pourquoi ceux qui sont très pauvres doivent sortir du cercle Wodaabe s'ils veulent reconstituer leurs troupeaux. Le système de prêts est moins rigide chez les Touaregs et en principe il est en mesure de secourir plus facilement les Touaregs pauvres.90 Dans la pratique, ceux-ci sont souvent mis au ban de la société et finissent par quitter le système pastoral pour devenir des cultivateurs ou des travailleurs salariés.91

Au Kenya, les pasteurs salariés ne travaillent en général pas au sein de leur système local et ne se sentent donc pas obligés de respecter ses lois.92 Les éleveurs "jokkere" du Niger ont tendance à s'occuper moins du troupeau de leur maître que de leur propre bétail. Par exemple, ils conduisent le troupeau qui ne leur appartient pas vers un site de forage surpeuplé plutôt que de construire un puits, donnent moins de lait aux veaux et en gardent davantage pour eux-mêmes. D'autres Wodaabe préfèrent ne pas vers un site de collaborer avec les éleveurs "jokkere", à cause de la mauvaise réputation de ces derniers en matière de gestion de l'élevage. En outre, le propriétaire absentéiste exige souvent que son troupeau ne s'éloigne pas trop de la ville, ce qui lui permet de faire de temps en temps des visites de contrôle. Cette pratique a pour résultat le surpâturage autour des villes.93

CADRE 4.8

Au Kenya, les éleveurs ont dû changer leurs routes de migration traditionnelles parce que leurs troupeaux avaient augmenté.94 L'accroissement du cheptel et l'empiétement des cultures sur les parcours ayant provoqué le surpâturage dans la partie sahélienne du Burkina Faso, les Touaregs et les Foulani ont été obligés d'abandonner leur transhumance traditionnelle vers des pâturages de saison des pluies pour rester toute l'année dans les régions de saison sèche, qui ont ainsi été dégradées à leur tour.95 Depuis la sécheresse des années soixante-dix, l'organisation traditionnelle du système de pâturage de nombreux Touaregs Kel Adrar de Kidal au Mali a été complètement déréglée du fait qu'ils ont été obligés d'abandonner leurs régions habituelles pour migrer vers le sud, vers Gao, ou vers le nord, vers les oasis de l'Algérie méridionale.96 Pendant la sécheresse de 1969-70, les Zaghawa ont abandonné leurs routes traditionnelles pour aller plus au sud; à la fin de 1970, presque tous étaient cependant revenus.97 Etant donné la pénurie croissante de zones de parcours, et l'existence d'autorités nationales, la stratégie traditionnelle n'est plus aplicable au vingtième siècle; elle consistait à envahir de nouvelles régions lorsque les terres ne suffisaient plus, et à tuer, exproprier et absorber au passage les populations existantes.98 De même, la stratégie principale des sociétés agro-pastorales consistait à déplacer la population entière vers une région complètement nouvelle au bout de quelques décennies, pour trouver de nouvelles ressources et permettre à la région précédente de se reposer. Cette stratégie a permis pendant longtemps de maintenir un équilibre écologique mais elle n'est plus viable à cause de la pénurie de terres et de l'augmentation démographique.

Bien souvent, les systèmes traditionnels de mise en défens ne sont plus pratiqués, ou leur durée est réduite, parce qu'il y a moins de parcours disponibles. Par exemple, la transhumance traditionnelle dans les steppes algériennes, qui prévoyait une période de repos de 9 à 10 mois, ne comporte plus aujourd'hui que 8 à 9 mois de repos et contribue aujourd'hui à la détérioration des steppes.99 Chez les Rufa'a al-Hoi de l'est du Soudan, le système traditionnel prévoyait une coordination du déplacement vers le sud qui n'avait lieu qu'une fois que les paysans avaient terminé leurs récoltes; aujourd'hui, ce système n'est plus respecté car les ressources ont diminué et la concurrence pour les terres entre nouveaux et anciens éleveurs a augmenté.100 Chez les Rendille et les Gabra du nord du Kenya, la tendance générale est à présent de limiter peu à peu les déplacements et/ou de s'établir autour des points d'eau. C'est en particulier le cas des Rendille. Cependant, pour compenser le fait qu'ils ne se transhument plus sur d'aussi longues distances, ils déplacent plus souvent leurs troupeaux.101 Chez les Dinka du Kongor, les ménages individuels changent plus fréquemment d'unité d'élevage, à mesure que les ressources deviennent plus limitées; les principaux critères dans le choix d'une unité d'élevage ne sont plus les liens de parenté ou d'amitié, mais plutôt les conditions des pâturages et leur productivité.102

La viabilité des autres techniques de gestion, telles que l'aménagement, l'évaluation et le suivi des parcours, n'est pas étudiée dans les rapports consultés à ce jour. Il est cependant raisonnable de supposer, que toutes les techniques qui nécessitent une action communautaire et la mise en défens des parcours, ne sont plus pratiquées, alors que les techniques appliquées par les ménages individuels, telles que l'évaluation des parcours, le sont encore.

Des événements récents ont eu de graves conséquences pour la régulation sociale de l'utilisation des parcours. La hiérarchie socio-politique locale basée sur les chefs et le conseil des anciens a perdu presque partout de son pouvoir et a été remplacée dans la plupart de ses fonctions par les autorités administratives désignées par le gouvernement central. Elle n'a donc plus le pouvoir nécessaire pour faire respecter les contrôles traditionnels sur les pâturages et les règles d'utilisation des ressources. Néanmoins, quelques groupes ont pu conserver une certaine autorité, et certains ont modifié leurs systèmes de façon à surmonter les nouvelles contraintes. Les assemblées de la communauté, au sein desquelles les lois étaient conçues et discutées avec tant de succès, s'y réunissent encore régulièrement et détiennent dans l'ensemble un certain pouvoir. La coopération entre unités d'élevage a généralement diminué. Les normes et les codes tribaux qui régissaient les mouvements de transhumance sont peu à peu abandonnés (voir en CADRE 4.9). Nous n'avons pu trouver de données sur l'application des normes et des principes informels, mais il est raisonnable de supposer que les trois règles fondamentales (donner priorité au premier venu; éviter les zones déjà occupées ou qui l'ont été récemment; rester loin des autres) sont toujours observées dans la mesure du possible.

CADRE 4.9

L'administration coloniale française a en apparence reconnu le système traditionnel des Berbères du Maroc en insérant leurs chefs à des postes salariés dans l'administration. L'éleveur individuel a compris à ce moment-là qu'il pouvait avoir recours aux autorités publiques plutôt qu'au système traditionnel et il a cessé de tenir compte de ce dernier. Après l'indépendance, le gouvernement marocain a continué dans la même voie, ce qui fait qu'aujourd'hui les autorités publiques se sont emparées du pouvoir qui appartenait jadis au conseil des anciens qui, pourtant, existe encore. En outre, le poste de Chef de l'herbe semble avoir disparu.103 Chez les Tswana du Botswana, le surveillant traditionnel des droits de pâturage ("badisa") a disparu il y a 20 ou 30 ans pour des raisons telles que l'accès à de nouveaux pâturages, la sédentarisation, et le commerce.104 Cependant, les nouveaux "administrateurs des pâturages" sont une variante du "badisa".105

Dans le nord du Nigéria, le système des chefs installés par les autorités coloniales parmi les Foulani pour faciliter la collecte des impôts (notamment, l'impôt sur le bétail, "jangali"), a été aboli en 1976. Les chefs, eux-mêmes sédentarisés, et qui jouent encore leur rôle de leaders politiques et de représentants des Foulani sédentaires,106 n'ont plus aucune raison de s'intéresser aux Foulani transhumants.107

L'organisation sociale a survécu dans certains groupes. C'est ainsi qu'au Lesotho, les terres sont aujourd'hui administrées par le Roi, et le Ministère de l'agriculture donne des directives concernant les niveaux de charge du bétail; néanmoins, les chefs locaux qui sont chargés de faire respecter ces niveaux, hésitent à le faire car ce serait contraire au système traditionnel.108 Chez les Masaï Kaputiei (comme chez d'autres Masaï), ce sont certains "groupes d'âge" qui détiennent le pouvoir; lorsque le gouvernement du Kenya a voulu créer avec les membres du groupe un ranch coopératif, des problèmes de succession sont apparus au sein du comité directeur (le groupe d'âge qui le contrôlait refusait de céder sa place au groupe suivant) ce qui a empêché la création du ranch. En d'autres termes, le système sociopolitique local ne s'était pas du tout effondré, bien au contraire; il fonctionnait normalement et correctement, et le gouvernement ne pouvait pas agir sans tenir compte de son existence.109

On est surpris de voir que les assemblées traditionnelles se réunissent encore, malgré tous les changements qui se sont produits, et que c'est toujours au sein de ces assemblées que les décisions communes sont prises. Par exemple, chez les Pokot du Kenya, les assemblées communales, dites "kokwo", ont lieu chaque fois que le besoin s'en fait sentir, pour parler de problèmes qui intéressent la communauté entière; ces réunions ont suffisamment de poids pour être utilisées dans le cadre de projets.110 Au Botswana, la "kgotla" est une institution qui existe encore, bien qu'elle ait perdu une grande partie de son pouvoir pendant l'ère coloniale; les chefs, pour vieux et illettrés qu'ils soient, sont encore écoutés aujourd'hui avec plus de respect que les dirigeants des nouvelles institutions locales. En outre la kgotla s'est adaptée aux besoins modernes: les femmes et les groupes minoritaires sont de plus en plus admis à y participer.111

Le plus souvent, lorsque l'organisation sociale d'un groupe s'effondre, les systèmes de gestion des parcours disparaissent aussi. Dans le nord du Nigéria, l'affaiblissement des liens sociaux et de parenté chez les Foulani a eu comme résultat de réduire la coopération dans les déplacements des unités d'élevage, même au sein des familles élargies.112 Les propriétaires absentéistes qui habitent la ville ne se sentent plus obligés de respecter les règles traditionnelles et sont indifférents à l'incidence qu'ils peuvent avoir sur les parcours.113 Aujourd'hui les Berbères du Maroc entreprennent rarement des actions collectives, et ils ne se sentent responsables vis-à-vis d'aucune institution. Récemment, cependant, le gouvernement a commencé à encourager et à promouvoir des initiatives collectives (coopératives, associations, etc.) par des primes d'encouragement et les éleveurs semblent avoir réagi de manière positive.114

Chez les Somali, l'effondrement des normes traditionnelles de pâturage a entraîné un surpâturage autour des puits, mais les éleveurs prétendent qu'ils retourneraient volontiers aux méthodes traditionnelles (telles que le pâturage centripète) s'il n'y avait pas d'intervention extérieure.115

Les Foulani n'ont jamais tous accepté le Code Dina institué par les Foulani Macina (par exemple, les Diallube sont toujours restés en marge). Ceux qui refusèrent d'y adhérer ont accéléré l'effondrement du système en participant aux incursions des Toucouleurs à la périphérie de l'Empire. Les autorités françaises ont finalement soumis les Toucouleurs et les Macina entre 1887 et 1903 et ont amorcé le processus d'érosion progressive du Code Dina.116 Le Code doit aussi son effondrement au fait que beaucoup d'autres groupes ont voulu intervenir. Au moins huit groupes différents se trouvent actuellement dans la région: les populations agro-pastorales Foulani du delta (les anciens Macina), les Foulani pasteurs transhumants du Sahel, les Maures, les participants au projet d'irrigation de l'Office du Niger, les commerçants de bétail qui utilisent le fourrage du delta pour engraisser les animaux, les propriétaires de bétail absentéistes (fonctionnaires d'Etat, commerçants et grands cultivateurs), et les Touareg qui utilisaient la région avant la période de l'Empire Macina.117 L'objectif principal du Code Dina était la sédentarisation des Foulani; son effondrement (ainsi que les sécheresses) a en fait eu pour résultat une reprise de la transhumance et du pastoralisme intégral par une grande partie des Foulani sédentarisés.118

Dans bien des cas, les connaissances sur les principes de gestion des parcours, et sur les routines quotidiennes demeurent, et le principe de la coopération entre unités d'élevage est encore reconnu. Par exemple, en Afrique du sud, les européens ont détruit, repoussé et dispersé les Hottentots, mais en les engageant comme pasteurs dans leurs propres élevages, ils ont perpétué les connaissances et les coutumes traditionnelles des systèmes de gestion des parcours.119 Le fait que le gouvernement du Kenya ait distribué des armes à feu aux Gabra a favorisé une plus grande coordination dans les mouvements des unités d'élevage et un retour aux principes traditionnels de régulation des parcours.120 Le système traditionnel des Touaregs de Gourma semble avoir mieux résisté aux changements que ceux des autres Touaregs, bien que tous aient été touchés au même titre par l'émancipation des esclaves et l'expansion des cultures; les marabouts locaux en sont arrivés à craindre que cette résistance au changement puisse donner lieu à l'avenir à des problèmes de subsistance et de cohésion.121

La croissance démographique, l'appauvrissement des ressources, l'écroulement du système social traditionnel se sont traduits par l'abandon des techniques de conservation et de régénération des arbres de arbustes à mesure que les pressions sur les ressources devenaient plus fortes. Au Kenya par exemple, à cause de la croissance démographique rapide et de la sédentarisation, "les contrôles traditionnels sur l'abattage des arbres pour la production de bois de feu, de charbon de bois, de fourrage pour le bétail, de poteaux de construction, et pour l'entretien et la conduite des jardins, [à Kekarongole, dans le District Turkana] n'ont pas suffi à éviter une destruction de la forêt sur une grande échelle".122 Dans le nord du Burkina Faso, la technique traditionnelle d'élagage d'Acacia albida, en vue de favoriser sa régénération, a conduit à des abus lorsque la population a commencé à pratiquer un élagage et un ébranchage plus intenses pour obtenir du fourrage. En outre, la tradition consistant à protéger la génération spontanée des arbres dans les champs est en train de disparaître.123 Dans la plupart des systèmes, le fourrage fourni par les arbres n'était utilisé que pendant la saison sèche, lorsque les graines ingérées étaient mûres et pouvaient passer à travers le système digestif des animaux sans subir aucune détérioration. Aujourd'hui le brout et le fourrage sont moins abondants, les graines sont consommées même pendant la saison des pluies, avant d'avoir atteint leur maturité, et les probabilités d'une régénération spontanée des arbres s'en trouvent réduites.124

Dans l'ensemble, les méthodes traditionnelles de gestion des puits sont encore en vigueur, comme par exemple chez les Borana du Kenya.125 Le niveau de coopération a cependant régressé dans certains endroits. C'est ainsi que dans le District de Kitui au Kenya, le système traditionnel d'utilisation des puits par rotation pendant la saison sèche (pour éviter la surexploitation) s'est effondré à la suite des changements dans la structure sociale et de l'accroissement démographique. Les activités communautaires n'ont lieu aujourd'hui que sur une échelle réduite.126 Dans la région centrale du Mali, chez les Bambara de Kala, le nombre de puits qui ont été construits collectivement par le village entier est inférieur au nombre de puits construits par chaque ménage individuel (3 puits contre 29 depuis l'Indépendance).127 Cette tendance est due non seulement à la baisse des activités communautaires, mais aussi au fait que le nombre "d'individus aisés" est en augmentation. En outre, les systèmes traditionnels ne sont pas appliqués aux nouveaux puits, qui ont été construits par l'Etat et qui souvent lui appartiennent, car les populations locales estiment que la responsabilité de l'entretien de ces puits incombe à l'Etat. Par exemple, les Somali du nord n'appliquent pas leur système aux puits construits par le gouvernement car, à leurs yeux, ces puits n'appartiennent pas à la communauté.128 La commercialisation a également eu un impact important sur la gestion des sources d'eau minérale et des exploitations de sel. Par exemple, les Foulani du nord du Cameroun n'utilisent plus les sources minérales avec la même fréquence, et ils ne contrôlent pas aussi activement l'utilisation collective des sources; en effet, les éleveurs préfèrent à présent acheter le sel pour ne pas avoir à traverser les territoires très peuplés et intensivement cultivés qui les séparent de ces sources.129

Les autres ressources naturelles ont subi le même sort. De plus en plus, les graminées naturelles sont récoltées pour la vente plutôt que la consommation domestique; la récolte se fait donc moins souvent, mais les quantités récoltées chaque fois sont plus importantes et les méthodes utilisées sont souvent destructives. Par exemple, les Zaghawa ne sont plus dépendants des graminées naturelles (sauf en période de sécheresse) parce qu'ils cultivent le millet; les femmes récoltent maintenant les graminées naturelles pour les vendre pendant le Ramadan et d'autres occasions particulières.130 Les Touaregs Kel Oulli, près de Gao au Mali, dont les esclaves récoltaient souvent les graminées naturelles, se procurent maintenant les céréales sur le marché (souvent d'ailleurs en les achetant à leurs anciens esclaves) plutôt que de les récolter eux-mêmes.131 Nous n'avons pas beaucoup de données sur les changements dans les systèmes traditionnels de pêche dans les régions arides; cependant, il semble que l'introduction par les autorités coloniales de redevances et de permis, suivie de l'introduction des filets en nylon, ait eu pour résultat l'effondrement du système traditionnel communautaire de régulation de la pêche.132


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