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6. Incidences sur les politiques de développement de la foresterie communautaire dans les régions arides et semi-arides de l'Afrique


6.1 Méthodologie pour l'analyse des SLCG
6.2 Applications possibles
6.3 Conditions préalables
6.4 Recommandations
Notes de fin de chapitre


Nous avons vu dans les chapitres précédents que les SLCG jouent un rôle essentiel dans la gestion des ressources naturelles par les populations locales. Nous avons aussi montré de quelle manière ces techniques et ces systèmes ont changé - ou n'ont pas changé - au cours des décennies passées. En outre, nous avons démontré combien les SLCG sont utiles dans la conception et la mise en oeuvre des programmes d'assistance en décrivant et en analysant les résultats de projets plus ou moins récents. Nous allons voir à présent ce qu'il faudrait faire pour incorporer les SLCG de manière efficace dans le processus de développement.

En premier lieu, nous allons examiner comment élaborer une méthodologie pour la collecte et l'analyse des données sur les SLCG. Nous allons ensuite voir rapidement quelques applications possibles des SLCG dans les domaines de la foresterie communautaire et de la gestion des ressources naturelles. Dans une troisième partie, nous examinerons les conditions préalables, c'est-à-dire les mesures à prendre au niveau des politiques et des institutions afin qu'il soit possible d'incorporer efficacement les SLCG. Enfin, nous mettrons en évidence certaines lacunes qui restent à combler au niveau de nos connaissances sur le contenu et la valeur des SLCG.

6.1 Méthodologie pour l'analyse des SLCG

Une des principales raisons pour lesquelles les SLCG sont considérés comme un moyen de renforcer la participation des populations aux activités de développement vient du fait que chaque étape de ce processus (collecte des données, analyse de leur signification, mise en oeuvre des activités, etc. ) fait intervenir activement les populations locales.

Quelques exemples tirés de l'expérience montrent qu'il est possible de vouloir incorporer les SLCG au processus de développement, sans pour autant y parvenir, à cause d'erreurs dans le processus de collecte des données. C'est ainsi qu'en 1921, le District Commissioner du Nord-Est de l'Ouganda voulu faire coïncider les limites des nouvelles unités administratives avec les limites territoriales traditionnelles. Or, ayant fait le relevé pendant la saison des pluies, il a classé une grande partie des pâturages de la saison sèche comme "terres libres", et les a attribuées à des tribus qui n'avaient aucun droit traditionnel dans la région. Cette décision a eu pour conséquence de provoquer un climat d'hostilité et a également contribué à l'écroulement de l'organisation traditionnelle.1

La collecte des données sur les SLCG des ressources naturelles ne peut être uniquement centrée sur les aspects physiques; elle doit couvrir aussi les aspects socio-économiques et institutionnels. L'enquête socio-économique classique, qui se base sur des questionnaires appliqués à un groupe de personnes choisies au hasard, n'est pas suffisante car elle n'explique pas la logique sous-jacente aux systèmes de production. Une méthodologie intégrée doit pouvoir identifier les aspects spécifiques et les contraintes auxquelles doit faire face celui qui prend les décisions; elle doit pouvoir identifier d'une part, les données particulières qui sont effectivement utilisées au moment de prendre la décision et, de l'autre, les renseignements qui ne sont pas utilisés mais sont néanmoins signalés à l'enquêteur. Une telle enquête ne peut se faire sans la participation active de la population locale et sans que l'enquêteur n'ait la possibilité d'observer la routine quotidienne de production.2

La collecte des données sur les aspects physiques doit aller plus loin que les enquêtes classiques sur l'utilisation des terres, la classification des plantes, et la pédologie. Elle doit couvrir également la manière dont la population perçoit son environnement, et découvrir quels sont les aspects liés aux ressources physiques qui interviennent dans le processus de prise de décisions des habitants. Les ethno-taxonomies par exemple, comme d'autres études d'ethno-écologie, ont tendance à être trop détaillées; il faut toujours se demander quelle est la valeur des renseignements obtenus: que nous apprennent ces renseignements sur le comportement et les stratégies concrètes des habitants; ces renseignements traduisent-ils une norme ou bien un idéal?3 Les enquêtes sur les perceptions de l'environnement doivent couvrir notamment, la perception de la valeur des ressources pour le bétail et pour les autres activités productives,4 le choix des indicateurs utilisés pour prévoir la dynamique de l'environnement, et les connaissances de la variation des ressources dans le temps et dans l'espace (ainsi que leur écart-type), etc. Les enquêtes sur la connaissance de l'environnement, y compris à l'aide de cartes, permettent d'obtenir ce genre de renseignements, car elles nous apprennent comment les habitants décrivent et caractérisent leur paysage, et dévoilent les aspects de leur milieu qui leur semblent importants ou significatifs. Vers la fin des années soixante, quelques chercheurs ont entrepris des études sur la perception de l'espace en Afrique.5 La méthode, qui a été utilisée chez les Masaï6 implique que le chercheur accompagne l'éleveur dans ses activités.

D'autres types d'enquêtes sur les SLCG ont pour but de rassembler des données concernant: les processus de prise de décision et la logique qui les sous-tend; les paradigmes fondamentaux des connaissances (par exemple, l'organisation du monde physique et ses rapports avec le monde social); la manière d'affronter les risques et le manque de sécurité; les connaissances pratiques, manuelles et intellectuelles, etc.7

Il importe que la méthodologie utilisée pour rassembler les données soit un processus itératif commençant par une enquête pilote conçue pour mettre à l'essai la méthode d'enquête, incluant l'observation du déroulement même de l'enquête à des fins de vérification; permette de corriger la méthode d'enquête, et finalement de conduire l'enquête elle-même. Il est parfois nécessaire d'appliquer quatre méthodes d'enquête différentes pour un seul projet: 1) des enquêtes "spécifiques" par lesquelles on obtient des renseignements très détaillés sur certains aspects; les personnes choisies pour répondre à ce type d'enquête sont généralement celles qui ont le plus de connaissances; 2) les enquêtes de "formalisation" par lesquelles on s'assure que toutes les connaissances sont couvertes; pour cela, il est souvent nécessaire d'élargir l'éventail des personnes enquêtées et d'utiliser des échantillons prélevés au hasard; 3) les enquêtes de "généralisation" par lesquelles on obtient des renseignements non spécialisés, pour s'assurer que les données sont représentatives de l'ensemble de la population; 4) les enquêtes de contrôle ou de vérification par le bais desquelles les données sont collectées à nouveau ou comparées à des renseignements existants8 (voir en CADRE 6.1).

Il nous faut aussi nous éloigner de l'approche classique, qui veut que l'enquête ne porte que sur les populations locales, pour interroger aussi les agents de vulgarisation et les chercheurs eux-mêmes, en employant les mêmes techniques ou des techniques analogues. Cela permettra d'identifier les différences d'optique et, de stimuler la discussion entre les deux parties.9

Outre une méthodologie correcte pour le rassemblement des données sur les SLCG, nous devons développer une structure pour l'analyse, qui mettra en lumière les conceptions locales s'opposant au changement là où celui-ci est nécessaire, et celles qui traduisent une appréciation réaliste des problèmes de l'environnement et des solutions raisonnables à y apporter.17 A cause du haut degré d'hétérogénéité des SLCG (aussi bien au sein de chaque groupe qu'entre différents groupes) et compte tenu des changements rapides du milieu social et physique, la mise à l'épreuve définitive de la valeur que peut avoir pour le développement une technique locale ou un système local ne peut être que son application, sur une base expérimentale, dans le cadre d'un projet pilote. Par exemple, la viabilité d'une technique ou d'un système local et sa valeur pour le développement, peuvent être évaluées grâce à un processus selon lequel les SLCG d'une part, et les points de vue scientifiques formels de l'autre, sont comparés et réunis dans le cadre d'entretiens entre les populations locales et les agents de vulgarisation, pendant ou après la phase de collecte des données. De tels entretiens peuvent aussi permettre de découvrir dans quelle mesure la population se souvient d'un SLCG donné et l'applique encore.

CADRE 6.1

Dans un document publié en 1980, C.G. Knight donne une liste des méthodes d'enquête utilisées pour l'étude des SLCG.10 Les enquêtes spécifiques comprennent des entretiens informels avec la ou les personnes les mieux informées, l'observation des participants, des entretiens plus ou moins formels, des questionnaires, et des échanges entre enseignants et élèves si l'enquêté est un enseignant.

Les enquêtes de formalisation comprennent la comparaison par paires (par exemple, l'idéal et la norme, les techniques traditionnelles et les techniques modernes) suivie d'une explication des différences par les participants11; l'utilisation de diagrammes dichotomiques arborescents (série de questions hiérarchisées appelant une réponse oui / non)12; (tri de dessins de plantes, de sols et d'autres ressources); des questions sur la définition formelle de termes; des tests de triades, des méthodes comprenant des jeux, des discussions de groupe. Les épreuves de triade sont utilisées pour montrer et expliquer les différences et les analogies entre éléments tels que les types de plantes, de sols, etc. Ces tests sont parfois trop fatigants si les éléments à comparer sont trop nombreux, c'est pourquoi on les allie parfois à d'autres méthodes.13 Par exemple, les tests de triade ont été utilisés pour comparer la taxonomie et la classification des parties du corps chez les Masaï, les Kikuyu et les Américains afin d'essayer de faciliter la communication entre cultures différentes.14 La méthode faisant appel au jeu (par exemple, les conversations qui commencent par "Supposons que...") est utile pour stimuler les discussions sur un thème central (par exemple la sécheresse, les feux de brousse, etc.). C'est une bonne approche car elle permet à la personne enquêtée de se servir de ses propres opinions et de sa propre logique plutôt que de reprendre celles de l'enquêteur.15 Les discussions de groupe sont particulièrement utiles chez les éleveurs. Elles nous permettent de mieux comprendre la dynamique des décisions collectives qui sont le plus souvent prises par le groupe à l'unanimité.16

Les enquêtes de généralisation utilisent des questionnaires formels, des tests de classement et des exercices où il faut compléter des phrases. Pour une enquête de vérification, il faut le plus souvent se réunir à nouveau avec le même groupe à une date ultérieure pour: observer et comparer; traduire et retraduire les renseignements; extrapoler les données à d'autres situations et poser encore une fois les mêmes questions; utiliser les données collectées sur une base expérimentale (par exemple en testant concrètement sur le terrain les détails techniques de la routine de production).

6.2 Applications possibles

Les programmes et les projets qui ont incorporé les SLCG dès leur conception ne sont pas nombreux. Nous en avons décrit quelques-uns au chapitre précédent. Mais les possibilités, présentées par des chercheurs et par des agents de développement sur le terrain, sont nombreuses. Nous pouvons les regrouper en plusieurs catégories.

La première catégorie, et sans doute la plus importante, comprend l'utilisation des connaissances et des structures sociales locales dans la planification du développement. Cela peut se faire soit au cours de discussions avec les groupes "cibles" pendant la phase d'élaboration du projet, soit par des réunions techniques régionales, nationales ou même internationales. Si l'on opte pour la première solution, il importe d'allonger le délai beaucoup trop court que prévoient habituellement les agences d'aide au développement pour l'élaboration des projets, afin de permettre aux populations locales de trouver le temps nécessaire aux entretiens et aux décisions, en tenant compte de leur calendrier de production et autres activités.

Les réunions techniques sont employées depuis quelque temps pour aider les populations locales à définir les contraintes et les obstacles qui s'opposent à leur développement et à les exprimer aux autorités publiques et aux représentants des agences d'aide. C'est ainsi qu'une réunion technique régionale ayant pour titre "La survie dans les régions arides" a récemment eu lieu au Mali sous l'égide d'une ONG; son objectif était de renforcer les liens de coopération entre les ONG dans le Sahel et d'élaborer un plan d'action pour combattre la dégradation des terres et évaluer l'impact des politiques locales et nationales en faveur des régions arides.18 Des réunions techniques ont également été organisées à l'intention des populations locales, sans le parrainage d'aucune ONG. Une réunion technique du PNUE, à laquelle ont participé des éleveurs appartenant à quatre tribus différentes du Kenya, a eu lieu en mai 1986. Elle avait pour but de permettre un échange d'idées entre représentants de groupes ethniques différents, et entre représentants de la communauté scientifique. Cette réunion a été suivie d'un autre groupe de travail et d'une visite sur le terrain; deux autres groupes ethniques ont participé à la deuxième phase.19

Une deuxième application des SLCG intéresse particulièrement le système d'éducation. Par exemple, les étudiants pourraient plus facilement situer leur peuple et comprendre ses rapports avec le monde extérieur si l'histoire de leur tribu était inclue dans les cours d'histoire. En outre, les concepts locaux de mesure et de mathématiques (voir section 2.1.2.8) peuvent être utilisés pour enseigner les mathématiques modernes.20

De nombreux auteurs ont proposé d'utiliser les structures sociales locales (voir section 2.2.2) comme base pour de nouvelles institutions. Dans le cas des associations pastorales (associations d'éleveurs, ranchs collectifs, etc.), la plupart des chercheurs estiment que le niveau socio-politique pertinent est celui de l'unité d'élevage plutôt que celui d'associations21 plus élevées dans la hiérarchie: en effet la coopération est plus étroite dans une unité d'élevage, elle peut être rapportée plus précisement à un territoire donné, et elle est plus facile à gérer en raison de sa petite taille. Le problème de l'instabilité se pose cependant: les membres d'une unité d'élevage ne sont pas nécessairement les mêmes d'une année à l'autre, alors que l'appartenance à un niveau social plus élevé (clan ou tribu) est plus constante.

Les détails techniques des SLCG sont souvent encore valables et peuvent servir à élaborer localement des solutions appropriées aux problèmes de l'environnement. Par exemple, les connaissances relatives aux arbres et au fourrage, les techniques traditionnelles pour la protection des jeunes plants provenant de la régénération spontanée (voir section 2.2.3) peuvent être utilisées dans le cadre de programmes de reboisement comme ceux proposés aux Pokot et aux Tourkana.22 Le système traditionnel de gestion des parcours, qui comprend des techniques telles que la rotation et la mise en défens (voir section 2.2.2), peut être modifié par l'introduction de techniques modernes pour obtenir un système mieux adapté aux pénuries actuelles de parcours et aux sécheresses. En outre, l'analyse d'un système traditionnel de gestion des parcours - pour savoir, par exemple, où le situer par rapport aux deux extrêmes, pâturage continu et pâturage par rotation - permet de mieux orienter la conception de nouveaux systèmes et de réduire le temps nécessaire à la recherche et aux essais. Des éleveurs ont été recrutés dans le cadre de plusieurs projets pour assurer les services vétérinaires de base. Cette initiative a permis de reconnaître des circonstances où il est possible de faire intervenir utilement les connaissances vétérinaires locales.23

Les SLCG peuvent également être utiles dans les programmes de suivi environnemental. L'un des objectifs de ces programmes est d'identifier à quel moment et de quelle manière les populations locales doivent changer leurs stratégies d'exploitation des ressources afin d'éviter ou de minimiser les dégâts écologiques. L'emploi de méthodes locales de suivi, (voir section 2.2.2.2), associées à des méthodes "occidentales", permettrait de mieux faire comprendre les conclusions aux populations locales, qui accepteraient alors plus facilement de modifier leurs stratégies. En outre, les populations locales pourraient assister les enquêteurs dans le travail de suivi. Des observateurs locaux pourraient prendre note de tout changement au niveau de la végétation, car ces indications peuvent constituer un système d'alerte permettant de prévoir à l'avance la dégradation du milieu et les invasions de sauterelles et de parasites; les cultivateurs pourraient noter le rendement des récoltes pour les recensements et accompagner les expériences entreprises sur les exploitations agricoles.24 Les éleveurs pourraient rendre compte des épidémies et participer aux efforts visant à faire respecter les limites territoriales des ranchs collectifs et les autres mesures d'aménagement et de régulation des parcours. Des agents de vulgarisation devraient sans doute travailler aux côtés de ces observateurs locaux, mais un tel système permettrait néanmoins des économies de main-d'oeuvre, surtout dans les régions pastorales les plus éloignées.

Si elles sont utilisées de concert avec les sciences formelles, les connaissances locales sur la dynamique de l'environnement (voir section 2.1.2) peuvent permettre des raccourcis dans la préparation d'inventaires des ressources, en ce qui concerne notamment la distribution des sols et les types de végétation.25 Les observateurs locaux pourraient entreprendre certaines formes de recherche pour assister les chercheurs, en se servant de méthodes de mesure locales, surtout si l'écart type des unités de mesure traditionnelles est évalué au préalable. Une autre possibilité serait de classer les zones qui sont encore gérées selon un système traditionnel viable comme "postes de recherche", pour établir l'importance des connaissances traditionnelles et en prévenir l'effondrement prématuré.26 Ces postes de recherche pourraient être utilisés pour mener des expériences en apportant des modifications et des améliorations aux systèmes traditionnels, et en appliquant les enseignements tirés à d'autres régions.

6.3 Conditions préalables

Faire semblant d'incorporer les SLCG à l'élaboration d'un programme de développement peut être tout aussi dangereux que faire semblant d'encourager la participation des populations locales. Bien trop souvent, on rajoute une phase de "recherche sur les SLCG"; elle produit des quantités de rapports intéressants, mais souvent beaucoup trop détaillés et peu appropriés, qui restent dans les archives et ne sont utilisés ni dans la phase de conception ni au moment de la mise en application du projet. Il est essentiel d'incorporer réellement les SLCG au processus de développement, mais il faut pour cela apporter quelques changements au processus lui-même.

Par exemple, l'élaboration d'un projet doit prévoir un calendrier élastique d'entretiens avec la population locale, un processus de recherche-action avant la formulation du projet afin d'identifier les SLCG utiles et viables, ainsi qu'un processus de formulation mixte qui associe populations locales et intervenants l'extérieur.

Un autre obstacle vient du fait que la formation professionnelle des experts occidentaux comme celle des Africains formés à l'étranger, ne les prépare pas à admettre le potentiel des SLCG. Les "méthodes scientifiques" sont considérées comme étant bien supérieures aux SLCG et il n'y a donc guère de volonté politique d'incorporer les SLCG au processus de développement.27 Très souvent, les fonctionnaires publics, "habitués à un mode de communication paternaliste et à sens unique, n'ont guère la patience" de recourir à la participation des populations locales et aux SLCG.28 Il est nécessaire d'examiner en détail la question de l'introduction des SLCG, en soulignant les résultats déjà obtenus, dans le cadre de réunions entre les personnes chargées de l'élaboration des politiques (fonctionnaires publics et représentants des agences d'aide au développement) et les scientifiques nationaux et internationaux. Au niveau des agents de vulgarisation, des entretiens analogues doivent être accompagnés de changements dans les programmes de formation en matière de vulgarisation: on pourrait par exemple introduire dans les cours et les examens des questions relatives aux SLCG, et une formation pratique visant une bonne méthodologie de la collecte des données.29 Les populations locales devront également changer leurs attitudes, surtout les groupes qui ont déjà assisté à l'échec de nombreux projets et qui s'attendent à n'avoir que des rapports marqués par le dirigisme avec les représentants du gouvernement et des agences d'aide.

Certaines politiques gouvernementales, qui intéressent les régions arides et en particulier les éleveurs, doivent également être modifiées. Il faudra en particulier: revoir les législations relatives aux régimes fonciers; introduire une planification de l'utilisation des terres et des instruments de mise en application; combattre les problèmes économiques qui incitent les jeunes éleveurs à quitter les parcours; modifier les systèmes scolaires axés sur la vie urbaine, etc. Il faut, en outre, que les gouvernements intéressés exigent que chaque projet soit accompagné d'une sérieuse étude d'impact sur l'environnement. Ces études doivent aller au-delà des aspects physiques pour couvrir l'incidence sur le système social, sur le système de production et en particulier sur les SLCG qui les sous-tendent.30

6.4 Recommandations

Le présent document a été préparé dans un double but: tout d'abord, décrire les différents types de SLCG qui pourraient être utiles au processus de développement, mais aussi signaler certaines lacunes dans notre compréhension des SLCG des ressources naturelles dans les régions arides et semi-arides d'Afrique. Dans cette optique, certaines recommandations s'imposent.

Quelques aspects des SLCG ont reçu moins d'attention que d'autres. Ainsi, nous disposons de renseignements sur les utilisations auxquelles sont destinées différentes ressources naturelles, mais nous savons moins bien de quelle manière et à quelle époque elles sont récoltées, emmagasinées et transformées. De plus, si nous comprenons assez bien comment les différentes ressources sont nommées et classées, nous savons moins bien de quelle manière se font les prévisions des changements de climat et des autres dynamiques écologiques. En d'autres termes, il est important de procéder à de nouvelles recherches pour mettre en relief les aspects des SLCG qui sont directement utiles à la gestion des ressources naturelles.

Dans l'ensemble, les pratiques de gestion quotidiennes ne sont pas aussi bien comprises que les connaissances descriptives et les structures d'organisation. Les études sur les pratiques d'aménagement des parcours doivent être approfondies et dépasser le stade des simples descriptions des mouvements saisonniers pour traiter en détail la fréquence des déplacements, la durée des séjours, et les autres rotations. Les techniques traditionnelles d'aménagement des parcours doivent aussi être identifiées afin d'essayer de trouver une base locale sur laquelle pourront s'appuyer de nouvelles techniques d'amélioration et de régénération. Un autre sujet qui n'a pas été traité en profondeur est l'organisation interne des groupes d'éleveurs et des unités d'élevage, qu'il est essentiel de connaître en détail si l'on veut réhabiliter des techniques traditionnelles ou en introduire de nouvelles. Il importe en particulier de clarifier le rôle des femmes dans l'élevage.

Pour ce qui est de la gestion et de la conduite des arbres et des arbustes, nous connaissons beaucoup moins bien les méthodes des éleveurs que celles des cultivateurs des régions plus humides. I1 faudra obtenir des renseignements plus détaillés sur la manière dont ils récoltent le fourrage, le tanin et autres produits (techniques et fréquence de coupe, durée de la période de repos, quantités récoltées, etc.), et sur leurs techniques de protection et de régénération des arbres et des arbustes.

Nous nous rendons compte, peu à peu, de l'extraordinaire variété des systèmes de droit sur les ressources et des régimes fonciers à travers l'Afrique. Il existe une vaste gamme de modes de régimes de propriété collective des ressources, y compris les zones réservées et les bosquets sacrés; chaque mode de tenure comporte des implications particulières pour la gestion des ressources. Prenons l'exemple des Tourkana du Kenya: ce n'est qu'après vingt ans de recherches détaillées qu'on a découvert que des ménages ont des droits privés sur certaines sections du lit des fleuves et sur certains arbres. Cela s'explique par le fait qu'au début, les recherches n'avaient porté que sur les Tourkana habitant dans les régions plus humides du Sud, tandis que ce mode de possession privée des arbres n'a été découvert que chez les Tourkana vivant dans les régions plus arides du Nord.31 Il est donc nécessaire, malgré toutes les études qui existent déjà sur les régimes fonciers et les droits sur les ressources, de procéder à des recherches complémentaires pour découvrir les variantes entre différentes tribus et à l'intérieur de chaque tribu.

Il est sans doute très intéressant du point de vue spéculatif d'analyser les SLCG dans le plus grand détail; mais ce genre de recherche pure représenterait un gaspillage de fonds pour le développement. Dans la mesure du possible, il faut concentrer les efforts sur la recherche visant une application concrète, c'est-à-dire l'identification de SLCG qui peuvent être utiles et, le cas échéant, l'intégration de ces SLCG dans des essais et des expériences pratiques. Une description des différents SLCG qui pourraient s'intégrer au processus de développement devrait être accompagnée d'une évaluation de leur utilité dans cette perspective. Il faudrait pour cela disposer d'un cadre d'orientation pour analyser leur viabilité et la façon dont ils peuvent être modifiés et réhabilités. L'élaboration d'un tel cadre sera sans doute facilitée par le nombre sans cesse croissant de projets qui essaient actuellement d'incorporer des SLCG. Mais il faudra songer à organiser une réunion d'agents de développement travaillant dans ce domaine pour commencer à formuler des idées directrices.

Nous pouvons déjà suggérer quelques études de cas qui pourraient être très utiles. Certains pays et certains groupes des régions arides et semi-arides d'Afrique sont moins bien représentés que d'autres dans la documentation disponible en français et en anglais. Il serait utile de les étudier en entreprenant des recherches sur place, mais aussi de traduire les documents rédigés dans d'autres langues. Citons par exemple l'Angola, et les documents écrits en italien sur la Somalie, l'Ethiopie et la Libye. D'autres groupes et d'autres pays ont des formes particulièrement intéressantes de SLCG qui ont un effet direct sur le développement, ou bien qui pourraient être appliqués dans des régions voisines. Citons par exemple la structure complexe du système de gestion des ressources en eau des Borana dans le Sud de l'Ethiopie, le rôle des femmes dans l'élevage en Somalie, l'apparition des enclos privés sur les parcours du Soudan et de la Somalie, en rotation des parcours chez les Foulani Wodaabe, la viabilité actuelle des systèmes de régulation des parcours conçus par les Foulani Macina, les différences de mode de conduite des troupeaux entre les Touaregs et les Foulani, le régime de tenure des parcours chez les Tonga de Zambie, les assemblées du "kgtola" chez les habitants du Botswana. Enfin, il serait bon d'étudier plus en détail les groupes qui ont établi des réserves traditionnelles et des bosquets sacrés, tels que certains peuples de la Zambie, du Kenya, du Botswana, du Mali, du Burkina Faso et du Maroc.

Notes de fin de chapitre

1. Baker 1975, p.192.
2. Richards 1980, p.185; Gladwin 1980, pp. 9-11; Warren & Meehan 1980, p.327.
3. Johnson 1980, p.49.
4. Stiles & Kassam 1986, p.14.
5. Knight 1980, p.222.
6. Western & Dunne 1979, p.95.
7. Knight 1980, p.221.
8. Knight 1980, p.226.
9. Knight 1974a, p.62; Richards 1980 p. 190.
10. Knight 1980, p.226.
11. Johnson 1980, p.63.
12. Gladwin 1980, p.25.
13. Richards 1980, p.189.
14. Burton and Kirk 1980, pp.269-302.
15. Richards 1980, p.186.
16. McDermott & Ngor 1983, p.5.
17. Richards 1975, p.109.
18. "Survival in the Drylands: Regional NGO Workshop", Segou, Mali, September 14-17 1988, organisé par l'International Institute for Environment and Development (IIED), London and UNEP.
19. UNEP 1986a, and UNEP 1986b.
20. Fink 1980, p.261.
21. Bourgeot 1981, p. 178; Barrow 1988, p. 15.
22. Barrow 1988, p.21.
23. McCorkle 1986, p.137.
24. Warren & Meehan 1980, p.327; Howes 1980, p.339; Richards 1980, p.193.
25. Aubert & Newsky 1949, p.109; Howes 1980, p.339.
26. Brownrigg 1985, p.41.
27. Warren & Meehan 1980, p.332; Howes 1980, p.339; Brokensha et al 1980, p.5.
28. Brokensha & Riley 1980b, p.266.
29. Brokensha et al 1980, p.7.
30. Brokensha & Riley 1980b, p.268.
31. Dr. James Ellis, Natural Resources Ecology Laboratory, Colorado State University, 1989, pers. comm.


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