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7. Resumé et conclusions


7.1 Introduction
7.2 Les connaissances descriptives
7.3 Techniques de gestion
7.4 L'organisation de la gestion
7.5 L'enseignement
7.6 Conclusions


Les systèmes traditionnels et les connaissances techniques locales forment un ensemble d'éléments fluide et dynamique qui change et s'adapte aux circonstances nouvelles et constitue la charpente des décisions de la population locale en matière de gestion. Dans les chapitres précédents nous avons examiné un certain nombre de questions fondamentales. Nous avons pu conclure qu'autrefois les SLCG fonctionnaient et répondaient dans la plupart des cas aux besoins de la population. Depuis, ils ont le plus souvent été abandonnés, mais, suivant le type de SLCG, un grand nombre d'entre eux restent encore viables et peuvent être incorporés avec succès dans le processus de développement; dans certains cas ils ont déjà été incorporés avec de bons résultats et il reste encore un grand potentiel à exploiter. Nous avons également conclu que le rapport coût-efficacité de l'incorporation des SLCG est favorable dans la plupart des cas.

Nous avons voulu souligner ci-dessous quelques-uns des points importants qui nous ont permis d'arriver à ces conclusions. Les principales techniques et les grands systèmes sont présentés brièvement et la viabilité de chacun est analysée. En conclusion, nous présentons quelques idées sur la manière de déterminer la viabilité d'un SLCG donné, et sur ce qu'il faudrait faire pour incorporer les SLCG dans le processus de développement.

7.1 Introduction

Contrairement aux suppositions et aux paradigmes qui avaient cours autrefois, nous savons aujourd'hui que les éleveurs africains s'occupent activement de la gestion des ressources naturelles. Ils ne se limitent pas à une simple utilisation du bétail, des parcours et des forêts; ils interviennent activement afin de maintenir un niveau suffisant de production à long terme. Les techniques et les systèmes traditionnels étaient bien adaptés, tant aux nécessités écologiques qu'aux besoins socio-politiques des populations. Leur objectif central n'était pas nécessairement la conservation (au sens d'une préservation absolue), mais plutôt le maintien de la productivité à long terme du milieu et la satisfaction des besoins sociaux et biologiques.

Pour ce qui est de leur effet écologique, les systèmes pastoraux peuvent se situer sur une échelle qui va du "très simple" (où la mobilité, la faible densité de population et le niveau élevé de dispersion ont pour résultat de réduire au minimum leur influence nocive sur le milieu) au "très complexe" (où un système compliqué de régulation sociale est spécialement conçu pour coordonner le comportement des membres du groupe). La plupart des systèmes d'élevage se situent entre ces deux extrêmes. Lorsque les terres sont abondantes et que la main-d'oeuvre ne l'est pas, les systèmes d'élevage sont plus efficaces que les systèmes basés sur l'agriculture ou la chasse. L'élevage n'est pas un système isolé; une coopération étroite existe aussi bien parmi les peuples pasteurs, qu'entre ceux-ci et des peuples pratiquant d'autres systèmes de production.

Mais il est dangereux de trop généraliser. La diversité est très grande, non seulement d'un groupe à l'autre mais aussi à l'intérieur de chaque groupe. Les connaissances techniques de l'éleveur individuel, ses expériences, ses besoins et sa personnalité vont influencer la manière dont il exploite les ressources naturelles et respecte les contrôles exercés par la société. Les techniques et les systèmes de gestion varient aussi en fonction du type de ressource et selon la période d'utilisation. En effet, la gestion des ressources ayant une valeur particulière et de celles qui sont utilisées très fréquement est plus précise que celle des ressources de mauvaise qualité ou d'accès difficile.

Au siècle dernier, des changements énormes sont intervenus dans le milieu physique et social des éleveurs. La plupart sont dus à des facteurs extérieurs, sont intervenus pendant l'ère coloniale et exercent encore une influence aujourd'hui.

Pendant la période coloniale, l'introduction de services vétérinaires modernes et l'émancipation des esclaves ont eu des effets positifs; mais elles ont eu également pour conséquence l'augmentation du cheptel. La sédentarisation, le ralentissement de l'économie et la mise en quarantaine du bétail, ont eu pour résultat une concentration du cheptel autour des points d'eau et des agglomérations, et une baisse des quantités de bétail vendues habituellement. Les politiques qui encourageaient activement l'agriculture, et surtout les cultures commerciales sur une vaste échelle, ont eu pour résultat l'expansion des cultures au détriment des parcours et l'expropriation des terres de bonne qualité, ce qui a exacerbé le problème de la surcharge des pâturages. La pacification et le développement des ressources en eau ont eu pour conséquence de permettre l'accès à des pâturages qui n'avaient encore jamais été utilisés, mais qui n'étaient pas suffisants pour compenser la diminution globale des territoires de parcours.

Dans quelques cas, des efforts délibérés ont été entrepris pour détruire les attitudes et les comportements traditionnels. Presque toujours, la taxation, la réforme politique et la nationalisation des terres ont eu pour résultat une érosion progressive de l'autorité politique traditionnelle, qui, à son tour, a miné la cohésion sociale nécessaire au maintien des contrôles traditionnels sur l'exploitation des parcours.

Ces influences externes n'ont pas diminué avec l'ère post-coloniale. Des services de soins vétérinaires encore plus efficaces ont continué à offrir leurs bienfaits sans tenir compte de l'incidence sur l'environnement. Le développement des ressources en eau a permis l'accès à de nouveaux pâturages, mais l'absence de structures pour la gestion des points d'eau a eu pour conséquence une concentration excessive de bétail et d'agglomérations autour des points d'eau. Dans quelques pays, le recours à des fourrages complémentaires subventionnés a permis aux éleveurs d'augmenter leur cheptel bien au-delà de la capacité de charge des parcours. Les meilleurs parcours ont été envahis, en raison de l'expansion des cultures et du développement des cultures commerciales, imputables aussi bien à l'accroissement démographique qu'aux politiques gouvernementales; peu à peu, les éleveurs ont été obligés de déplacer leurs troupeaux vers de moins bons et de moins vastes pâturages. Dans quelques pays, la création de parcs nationaux et de réserves a nécessité l'expropriation des terres pastorales. Encore une fois, l'effet global a été la réduction des parcours et une concentration excessive du bétail.

Le processus de délabrement social et politique a continué avec la création d'autorités locales et d'unités militaires et avec l'influence croissante des villes et du commerce sur l'économie pastorale. Tout cela a eu comme résultat une baisse de la main-d'oeuvre disponible sur les parcours, l'affaiblissement de l'autorité des chefs traditionnels et partant de leur pouvoir de faire respecter les contrôles traditionnels sur les parcours et les forêts, ainsi que des écarts croissants dans les revenus des éleveurs.

Ces facteurs, et bien d'autres encore, intensifiés et compliqués par les sécheresses incessantes, ont détruit une grande partie des techniques traditionnelles de gestion des terres arides et semi-arides.

7.2 Les connaissances descriptives

Les connaissances descriptives du milieu, comme par exemple les typologies et les nomenclatures, nous permettent de mieux comprendre: comment les populations locales perçoivent et classent les éléments de leur milieu; quel niveau de contrôle ils croient pouvoir exercer sur les éléments; sur quoi se basent leurs prévisions des évolutions et des événements écologiques; comment ils corrigent le système et le cycle de production pour tenir compte de la dynamique de l'environnement; sur quoi sont fondées leurs décisions.

Les connaissances descriptives découlent de nombreuses années d'observation continue, de suivi et d'expériences. Elles composent une base acquise et accumulée dans la mémoire des membres de la société (les traditions culturelles), base qui est modifiée par le contact avec les étrangers, et qui ne cesse d'être enrichie progressivement par l'observation quotidienne. Sans avoir une optique régionale ou nationale, ce système de connaissances est riche en particularités locales et en perspectives historiques.

Les connaissances descriptives sont essentiellement fonctionnelles et pratiques. Elles disparaissent de la mémoire des habitants dès qu'elles cessent d'avoir un usage pratique. Les connaissances sont plus ou moins détaillées suivant leur degré d'utilité. D'autres facteurs, tels que l'esthétique et le symbolisme, jouent aussi un rôle important.

Certains éléments fondamentaux sont connus de tous, mais tous les membres du même groupe n'ont pas les mêmes connaissances. La spécialisation des connaissances provient de la division du travail, de l'âge et de l'expérience, des capacités individuelles, des aptitudes et de l'intérêt de chacun, et certaines occupations ainsi que de la spécialisation exigée par les forgerons, les guérisseurs, etc.. Pour couvrir les connaissances collectives d'un groupe, il faudrait interroger un très grand nombre de personnes. Etant donné qu'il n'existe pas de documents écrits, les connaissances descriptives sont transmises par les chansons, les dictons, les proverbes, les jeux, en d'autres termes par les biais de la "culture populaire". Bien souvent, nous pouvons apprendre beaucoup plus sur les SLCG, par une analyse de celle-ci que par une stricte application des techniques classiques d'enquête. La culture populaire peut aussi servir à la transmission de nouvelles connaissances.

La plupart des connaissances descriptives sont encore conservées aujourd'hui, surtout dans la mémoire des personnes les plus âgées. Ce réservoir de connaissances est cependant en train de disparaître à mesure que les jeunes quittent leurs groupes pour aller en ville et se consacrent à d'autres occupations. Il est également en train de se perdre là où des produits nouveaux sont introduits pour remplacer les anciens éléments et pratiques (par exemple, le riz remplace les graminées spontanées, les montres remplacent l'observation du soleil), et là où ces derniers ne sont plus employés que rarement, à l'occasion de cérémonies. Généralement les connaissances descriptives peuvent être rétablies si un membre du groupe les possède encore et à condition qu'elles aient une application pratique.

7.3 Techniques de gestion


7.3.1 La gestion du troupeau
7.3.2 La gestion des parcours et la régulation sociale du pâturage
7.3.3 La gestion de l'arbre, des l'arbuste et des autres ressources


La gestion quotidienne des ressources naturelles incombe à l'éleveur individuel, qui agit de concert avec les autres éleveurs conformément à un ensemble de règles traditionnelles formelles et non formelles. L'éleveur/propriétaire de bétail n'est pas motivé par un objectif unique et immuable. Ses objectifs dépendent de sa situation économique et sociale, qui peut changer au cours de sa vie.

7.3.1 La gestion du troupeau

L'unité d'élevage est l'unité essentielle de gestion. Elle peut comprendre le bétail d'une seule famille ou les troupeaux appartenant à un groupe de ménages. De cette unité d'élevage dépend la dispersion ou la concentration du bétail sur le territoire ainsi que la nature de toute coopération communautaire. La composition d'une unité d'élevage peut varier en cours d'année, étant donné que les ménages individuels peuvent changer librement d'unité. La plupart des éleveurs préfèrent cependant ne pas en changer et rester sur un territoire qu'ils connaissent bien. Ainsi, la structure de l'unité de gestion de base peut être élastique en théorie, comme elle l'est parfois dans la pratique, mais elle conserve en fait un niveau remarquable de continuité et de cohérence. Il faudra décider en fonction des conditions locales si l'unité d'élevage (plutôt qu'une unité communautaire plus large) peut être à la base du processus de développement.

La technique de division du troupeau est bien adaptée à la dynamique écologique et aux besoins nutritifs des animaux. L'éleveur peut partager son troupeau de plusieurs manières différentes afin de tirer le maximum de profit de la productivité des parcours et de réduire la concurrence entre les différents types de bétail au sein de son troupeau. Cette technique permet souvent une meilleure utilisation des parcours et une plus grande dispersion du bétail. Elle exige cependant davantage de compétences et une main-d'oeuvre abondante.

Le plus souvent, les hommes et les garçons sont responsables de la conduite des grands ruminants, tandis que les enfants et les femmes sont chargés de garder les petits ruminants, d'engraisser des animaux particuliers, et de traire tous les animaux à lait. Il est fait mention de quelques groupes où les femmes ont une plus grande responsabilité dans l'élevage. Dans l'ensemble, le rôle des femmes dans le système de production pastoral n'est pas bien connu. Il deviendra sans doute plus important à mesure que les hommes, attirés par la ville, quittent les parcours.

La main-d'oeuvre sur les parcours devient de moins en moins abondante, et les éleveurs doivent simplifier leurs activités quotidiennes de conduite. Par exemple, ils ne divisent plus autant leurs troupeaux en groupes différents, ne dispersent pas autant le bétail et ont tendance à rester plus longtemps près du camp principal. Cela réduit la mobilité et augmente la concentration autour des agglomérations et des points d'eau. Dans l'ensemble, ces changements ont intensifié la dégradation des ressources naturelles.

L'écart croissant dans les revenus, les longues sécheresses et la dégradation des sols obligent un nombre toujours croissant d'éleveurs à chercher un travail salarié comme pasteurs auprès des éleveurs les plus riches (bien souvent d'anciens transhumants devenus citadins) dans l'espoir d'augmenter ainsi la taille de leurs propres troupeaux. Les pasteurs salariés ont souvent recours à une simplification des pratiques car leur nombre est insuffisant par rapport à la taille de l'unité d'élevage. En outre, ils proviennent souvent de groupes différents et ne se sentent pas obligés de respecter les règles et contrôles des populations locales. Leur impact négatif sur les parcours est donc plus marqué.

7.3.2 La gestion des parcours et la régulation sociale du pâturage

La mobilité est une stratégie bien adaptée que chaque éleveur emploie à des degrés divers. Elle est adaptée aux besoins écologiques d'un milieu changeant, autant pendant les années normales qu'en période de sécheresse. La mobilité peut être accrue en période de sécheresse (si le territoire est grand et le nombre d'animaux relativement petit), ou diminuée (si la disponibilité en terres n'est pas suffisante). Certains parcours exigent une plus grande mobilité que d'autres, et parfois un type différent de mobilité. Mais, dans l'ensemble, chaque fois que la mobilité a baissé considérablement par rapport au niveau traditionnel, il y a toujours eu dégradation des terres.

La mobilité et la transhumance suivent un rythme qui n'est pas dicté par le hasard. Les routes sont bien définies ainsi que les pâturages de séjour. Le calendrier des déplacements varie parfois selon les phénomènes écologiques, les besoins socio-économiques et les exigences politiques, mais les territoires utilisés restent plus ou moins les mêmes. La production pastorale dans les régions arides et semi-arides requiert de vastes territoires que les éleveurs obtiennent en appartenant à un groupe et en protégeant les droits du groupe sur ce territoire, et par des alliances avec leurs voisins en cas de besoin. A la suite des bouleversements récents et de la pression croissante sur les ressources, les éleveurs ont dû apporter des changements plus ou moins importants dans le choix des pâturages de séjour et des routes suivies. En même temps, les limites territoriales des tribus sont devenues de moins en moins précises. Le plus souvent, les droits traditionnels sur certains territoires sont reconnus de facto, mais certains ont profité du fait qu'ils ne soient pas reconnus de jure. On a parfois l'impression d'une mêlée générale où chacun saisit ce qu'il peut.

Autrefois, les peuples pasteurs pouvaient réaliser un équilibre entre le cheptel et la capacité de charge des terres en envoyant l'excédent de bétail sur des territoires voisins et en partageant encore plus le troupeau. Aujourd'hui les terres des voisins sont tout aussi surchargées et les troupeaux ont déjà été divisés autant que le permettent les contraintes d'une main-d'oeuvre limitée. Malgré cela, le taux de prélèvement n'a pas dépassé les niveaux habituels à cause d'un manque de sécurité à court terme et des besoins économiques de subsistance.

Nous savons aujourd'hui que les peuples pasteurs appliquent des modes de rotation et de mise en défens des pâturages qui sont complexes et variés. La rotation peut prendre la forme d'une transhumance saisonnière, d'une certaine fréquence de déplacements, d'une durée plus ou moins longue de séjour dans un pâturage donné, d'un rythme différent de retour au même pâturage et de mises en défens en temps de sécheresse. Certains parcours sont plus utilisés que d'autres mais semblent encore en bon état. Les contraintes récentes ont fait que les techniques traditionnelles de rotation et de mise en défens ne sont plus respectées ou ont été simplifiées. Cependant, le type de rotation traditionnelle peut fournir des renseignements précis sur les besoins écologiques du parcours (pour les niveaux traditionnels) qui peuvent être utiles au moment d'élaborer de nouveaux plans pour la gestion du parcours.

Les éleveurs ont conçu un système de suivi précis et global de la productivité et des conditions des parcours. Etant donné qu'il observe constamment le parcours et l'état de ses animaux, l'éleveur n'a pas besoin de quantifier la "capacité de charge" du parcours, même si c'est un concept qu'il connaît. Les indicateurs écologiques employés par les éleveurs peuvent être repris dans les programmes de suivi et les systèmes d'alerte.

Les éleveurs n'utilisent pas beaucoup de techniques d'amélioration des parcours, mais cela est peut-être dû au fait que le besoin ne s'en est fait sentir que récemment. Parmi les quelques techniques qu'ils appliquent, citons l'aménagement des sources, l'élimination des arbustes par les chèvres, l'ébranchage sélectif, ainsi que les feux de brousse (pour obtenir une nouvelle poussée et une biomasse de meilleure qualité l'année suivante, pour limiter la repousse des arbustes, pour faciliter l'accès des hommes et du bétail et pour détruire les vecteurs des maladies). Rien n'indique une philosophie qui s'oppose à l'amélioration des parcours, mais il faut que les nouvelles techniques proposées soient rentables.

Dans l'ensemble, les techniques de suivi et d'amélioration des parcours qui nécessitaient un travail en commun et la coopération de la communauté ne sont plus pratiquées. Celles qui dépendent de l'éleveur individuel ou du ménage le sont encore.

La coopération entre unités d'élevage est garantie par des régles de conduite, formelles et non formelles. Les éclaireurs, les chefs, les conseils des anciens et les surveillants des parcours constituent diverses structures chargées de faire respecter ces normes. La coopération existe également dans bien des cas à des niveaux supérieurs, tels que le clan, la sous-tribu ou le réseau inter-tribus, où elle est réglementée par des codes et des accords traditionnels. L'emploi quotidien des ressources est réglé en outre par une coordination "passive", les unités d'élevage appliquant certains principes dictés par le bon sens qui ne constituent pas des règles formelles. Toutes ces normes, formelles ou non, sont conçues pour contenir l'individualisme et éviter "une tragédie des terres collectives".

Récemment, la coopération entre unités d'élevage a généralement diminué et un certain nombre de codes formels ne sont plus respectés. Les assemblées communautaires, où se prenaient autrefois les décisions collectives, se réunissent toujours. Elles ont encore des fonctions symboliques et de justice, mais elles sont en train de perdre leurs fonctions de gestion du fait précisément que la coopération entre unités d'élevage s'affaiblit. Les règles formelles sont souvent les premières à disparaître. Elles dépendent en effet de la cohésion sociale et de l'autorité des chefs chargés d'en assurer le respect, deux éléments qui ont subi des changements profonds imposés par les politiques gouvernementales. Les règles non formelles sont souvent encore viables, mais elles doivent aussi changer pour s'adapter à la pénurie de ressources.

7.3.3 La gestion de l'arbre, des l'arbuste et des autres ressources

Nous n'avons que très peu de renseignements sur les techniques de gestion de l'arbre et de l'arbuste par les éleveurs africains. Selon l'opinion générale, l'éleveur récolte ces ressources par des méthodes destructrices et ne fait rien pour assurer leur régénération ou leur protection. Pourtant, quelques études détaillées ont montré qu'il n'en est rien. Beaucoup de groupes ont des règles précises pour la récolte (qui spécifient quand et où couper), pour la protection des essences et des bosquets qui ont une valeur particulière, et pour l'établissement de jeunes plants. Il semble qu'il n'y ait eu négligence et abus qu'à l'extérieur des territoires appartenant à ces groupes. Les peuples pasteurs, et notamment ceux qui sont entièrement transhumants, utilisent plus de bois de feu (bois mort) que de bois de construction (qui nécessite la coupe d'un arbre). Mais grâce à leur mobilité et à la dispersion qu'ils pratiquent, leur effet collectif sur les ressources forestières n'est pas important. Ces dernières années, à mesure que leur mobilité a baissé, la dégradation du milieu a augmenté. En outre, à mesure qu'augmente la concurrence pour des ressources qui tarissent, les normes traditionnelles de protection des arbres et des arbustes ne sont plus appliquées aussi strictement.

En général les peuples pasteurs africains ne cultivent pas les plantes fourragères car ce n'est pas une activité rentable. En effet, l'éleveur n'a pas à sa disposition le temps et la main-d'oeuvre nécessaires pour assurer une quantité suffisante de fourrage à son troupeau. L'herbage des parcours reste donc dans l'ensemble la meilleure solution, même lorsque sa qualité est inférieure. Par ailleurs, beaucoup d'éleveurs coupent du foin. Le plus souvent, le foin est coupé pour quelques animaux particuliers (les vaches ou les béliers à engraisser); les besoins en main-d'oeuvre ne sont pas importants et l'effet sur les parcours est limité. Dans certains endroits, il existe espaces clos, privés ou communs, de haute qualité et réservés à la coupe du foin. Ces dernières années, le nombre de réserves privées pour la coupe du foin a considérablement augmenté au Soudan, en Somalie et au Kenya. Dans la plupart des cas, la création de ces réserves a donné lieu à des polémiques car les terres en question étaient autrefois des terres communautaires.

L'utilisation d'un parcours dépend des points d'eau et de leur distribution, ainsi que du rythme habituel d'abreuvement. Nous n'avons trouvé aucune mention de normes formelles fixant une distance minimale entre des points d'eau artificiels. Cependant, la plupart des groupes s'efforcent de distribuer les points d'eau sur un territoire suffisamment vaste pour permettre l'accès à plusieurs types de végétation. Beaucoup de groupes ont mis au point des techniques pour désenvaser les étangs naturels et purifier l'eau des étangs; ces techniques peuvent servir de point de départ pour introduire de nouvelles méthodes. On rencontre plus fréquemment des techniques de collecte d'eau de pluie, dans les régions où il y a eu une forte influence arabe (Afrique du Nord, Soudan, Somalie). Presque tous les groupes ont des normes non formelles pour l'utilisation des puits, mais seuls quelques uns ont adopté des règlements formels et des structures d'organisation pour la gestion des puits communs, qui prévoient des normes précises pour l'utilisation, l'entretien et même la fermeture des puits. Les systèmes traditionnels de gestion des points d'eau sont en général encore viables, mais le niveau de coopération est en baisse. Les structures de gestion traditionnelles n'ont pas été appliquées aux nouveaux puits construits par le gouvernement; cela provient sans doute du fait que personne ne sait à qui appartiennent ces puits, qui ont été mis à la disposition de tous les éleveurs. Dans quelques endroits, des éleveurs ont construit des puits, avec l'autorisation de l'Etat, des terres qui appartiennent par tradition à d'autres groupes, ajoutant ainsi à la confusion générale régnant dans le domaine des droits fonciers sur les parcours.

Il n'existe pas suffisamment d'études sur la gestion (plutôt que l'utilisation) des plantes à des fins alimentaires et médicales, et sur l'effet des méthodes de récolte sur les ressources naturelles. Certaines études semblent indiquer que les quantités de plantes cueillies à des fins médicales et pour l'auto-consommation sont moins importantes que les quantités cueillies pour la vente. Dans certains cas, il existe des règles formelles régissant la récolte de ces plantes. Actuellement, ces règles ne sont plus respectées aussi strictement et les récoltes pour l'autoconsommation ont baissé, tandis que celles pour la vente ont beaucoup augmenté, créant des pénuries aux abords des grands centres urbains.


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